Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1
064 R&F SEPTEMBRE 2019

n’y comprendront rien ou pire, pas grand-chose. Femme de caractère à
mémoire longue, la duettiste se fend d’un hommage à son père de
guerre, histoire, peut-être, de faire un semblant de paix avec elle-même.
Sur un autre ton, juste derrière, elle enfonce le même clou (“Les Guerriers”).
Les Rita qui, au début des années 80, ont été repérés par un homme de
goût (Jean Constantin) comme on n’en croise plus dans l’industrie musicale,
ironisent, dans “Pense A Ta Carrière”, sur le sort d’une profession qui,
à l’époque, n’était pourtant pas condamnée. Judicieusement, Delabel allait
publier “Alors C’est quoi”, premier de deux titres à bénéficier des services
de Martin YouthGlover, en single, mais en omettant un détail : les
temps avaient changé. Dans le second, “Jam”, Catherine et Fred
condensaient les faces B de “Low” et “Heroes”. Ça tassait ou ça cassait.

“La Femme Trombone” (2002)
Controversé (coproduit par Iso Diop, Thomas Dutronc à la guitare sur deux
titres...), “La Femme Trombone”, sauf son respect, a effectivement le cul
entre deux ou trois champs de fraises, mais, sans rire, ne peut-on pas en
dire autant de l’entière discographie du groupe? La musique des Rita,
après tout, dès le départ et jusqu’au bout, est un jeu sans frontières, un
combat de polochons dont une des extrémités est décousue et qui devient
bourrasque de plumes. Dans ce disque
homogène (mixé à + 30, masterisé à
Metropolis par le maître Ian Cooper),
on trouve de la pop à se prendre le chou
sur fond de boîte à rythmes (“Evasion”)
ou une boucle de fortune (“Vieux
Rodéo”), des tourneries fabriquées
en asservissant les machines (“Trop
Bonne”), des dégringolades de rock
organique (“Tous Mes Vœux”, “Inter-
lude”, “Ce Sale Ton”), un ovni ou deux
(“Tu Me Manques”), des rengaines qui
volent au-dessus du lot (“Melodica”, “Sacha”) et cette chose réaliste et
variétoche, bien de chez nous et qui n’est pas moins de chez eux
(“1928”). Ce qui manque aux compos et à la réalisation ici, c’est le grain
de folie des textes de Catherine, toujours torchés, à l’encre pentatonique.
Mais durer, c’est dur. Et ce foutu grain, s’il tombe par terre, on n’a pas
forcément assez du reste de la vie pour le retrouver. Ceux qui ne font que
commenter le travail des créateurs (des chercheurs de grains) n’ont pas
idée. Suivront des concerts qui rallieront une partie des sceptiques, “Concha
Bonita”, une comédie musicale qui concernera uniquement Catherine, et
la publication en 2004, d’un live (le second des Rita) avec l’Orchestre
Lamoureux, capté deux ans plus tôt. Ferré (et Verlaine), Neil Young (“A
Man Needs A Maid”, obligé...), Philip Glass, Gainsbourg et Trenet seront
bons pour une mention spéciale, aucun par hasard.

“Variéty” (2007)
A leur place, on aurait mis la photo du couple présente dans le livret en
couverture. Elle tue. Elle dit tout. Ce qu’il y a à savoir, à comprendre et
à aimer chez les Rita Mitsouko. Lui, beau comme une lame dans
l’ombre rougeoyante, la chemise psyché ; elle, la mèche canaille, le regard
qui défie tout ce qui bouge et tout ce qu’on ne voit pas, l’imprimé géométrique
comme du papier peint 70’s qui file la migraine. “Variéty” n’est qu’un
au revoir, un disque pop qui glisse en douceur vers ailleurs. Riche idée
que d’avoir suggéré à Mark Plati d’en être. Bowie, encore lui, a amplement
contribué à ce que ce New-Yorkais qui respire la musique par tous les
pores se fasse un nom, et ses multiples talents ont fait le reste. “Variéty”
est un album qui ne touche pas vraiment terre car il tutoie un futur
impossible. Il fait les questions (“Communiqueur D’Amour”, “Même Si”,
forcément sublime...) et les réponses (“Soir De Peine”, “Terminal Beauty”).
C’est un peu, et on pèse les mots, le “Coney Island Baby” de la discographie
des Rita. La guitare acoustique y est proéminente, la fureur est contenue
(“Rendez-Vous Avec Moi-Même”), le folk-rock dompté (“She’s Cameleon”),
l’âme est... dans l’état qu’elle peut (“Ma Vieille Ville”). Le disque, au
printemps, est aussi sorti en anglais (“Variety”, sans accent). Parce que,
si ça se trouve, ça l’aurait fait : le fantasme d’après les vagues, toujours.
On ne saura jamais la suite. Car une nuée de mouches a pris le bol
de lait pour cible. L’hépatite, lente salope, a viré au drame. Quelques
concerts d’été et un automne pourri,
l’Olympia sans Fred qui canne aux
portes de l’hiver. On comprend alors
qu’il ne vieillira jamais, mais ça ne
console guère.
Douze ans plus tard, Because réédite
tous les Rita. Et Catherine repart au
front pour ce qui est désormais une
parenthèse dans sa carrière qu’elle a,
coup de chance, continuée. Pour lui
qui la regarde? Surtout pour elle qui
aime tellement la vie. Comme nous,
elle n’oubliera jamais Les Rita Mitsouko dont elle n’arrête pas de chanter
des tubes, même lorsqu’elle défend ses albums à elle. Et Catherine constate,
comme tous ceux qu’elle déplace : son public, en majeure partie, a l’âge
de ses enfants, de leurs enfants qui, il n’y a pas de hasard, sont aussi
dans la musique. A la différence de pas mal d’artistes de la chanson de
sa génération, la Ringer ne tapine pas devant les EHPAD. Elle laisse
venir à elle les petits excentriques, les dingos et les dinguettes qui ont
un mixeur-batteur dans la tête, des kaléidoscopes à la place des yeux et
un cœur qui ne bat pas que pour eux.
En 2019, on célèbre aussi les premiers pas de l’homme sur la lune.
Ça tombe bien. Catherine, comme Marcia, est forte comme une fusée. ★
Coffret“Les Rita Mitsouko — Intégrale” (Because)
Catherine Ringer Chante Les Rita Mitsouko, en tournée à partir du 21 septembre

Pop brocantée et rock de chiffonnier


Mark Plati :“J’ai eu le plaisir de
produire le dernier album des Rita Mitsouko,
‘Variéty’, mais bien sûr, je connaissais déjà leur
travail. Je me souvenais de ‘Marcia Baïla’ et
aussi de ‘The No Comprendo’, et lorsque j’ai été
sollicité pour travailler avec eux, je ne me suis
pas fait prier. Pendant six semaines, nous avons
campé au studio Gang, un endroit sombre mais
chaleureux, avec pléthore d’instruments et de
matériel vintage. Apprendre à nous connaître n’a
pas pris longtemps. J’ai constaté que, comme

moi, ils avaient une curiosité d’enfant et après
avoir créé une atmosphère très ouverte, on a
commencé à se passer les instruments et à jouer
de ceux qui nous tombaient sous la main.
Sur ‘Ding Dang Dong’, ça ne m’était jamais
arrivé, j’ai joué la partie de basse pendant que
Catherine me la soufflait à l’oreille ! J’ai été
bluffé par leur faculté à sortir des idées de nulle
part, exactement comme David Bowie l’aurait
fait. Une de leurs meilleures suggestions a été
d’enregistrer ‘Terminal Beauty’ avec Serj
Tankian de System Of A Down. Sur le papier,

ça paraissait un peu saugrenu, mais il s’avère
que c’est un des temps forts du disque. Il est
arrivé que Catherine et Fred soient en désaccord
à propos d’un détail, l’utilisation d’un mot dans
un texte par exemple. Mais une fois le problème
résolu, le soleil brillait à nouveau et ils passaient
à autre chose. A la sortie du disque, ils étaient
excités comme des puces ! Ils me parlaient de
tout ça en se coupant la parole, comme des
gosses. J’étais également à Paris quand Fred
est décédé et Catherine m’a invité à le voir à la
morgue. Ça a été un honneur pour moi.” JS

LES RITA MITSOUKO


Photo Denis Darzacq-DR
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