Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1
072 R&F SEPTEMBRE 2019

Bon Iver
“I, I”
JAGJAGUWAR
Justin Vernon s’est fait connaître il
y a plus de dix ansavec le désormais
classique “For Emma, Forever Ago”.
Il n’a jamais retrouvé cette pureté, ce
dépouillement presque archaïque qui
en faisait la force. En laissant sur les
routes ses premiers fans attachés à
cet opus comme au souvenir de leur
premier chagrin d’amour, le musicien
a toujours cherché à se moderniser.
Il a défini avec ces voix pitchées
et découpées, une esthétique qui
alimente la musique populaire depuis
une décennie à l’instar d’un Kendrick
Lamar ou d’un James Blake, qui
participe d’ailleurs à ce disque. Son
dernier album, plutôt décevant, date
déjà de 2016. S’il a gardé le goût
pour les titres de chansons pénibles
et abscons, il semble avoir enfin

atteint le juste milieu entre modernité
et classicisme folk. Sa voix n’est
plus trafiquée et dénaturée. On ne
peut s’empêcher de penser à Prince
dans cette façon très particulière
d’harmoniser. Avec des aigus
puissants et féminins qui ne semblent
pas être chantés en voix de tête, et
une voix grave toujours suave. Il est
difficile de penser, sans le savoir, que
ce chanteur est blanc. Le magnifique
“U (Man Like)” sonne comme un
hommage au prodige de Minneapolis.
Bruce Hornsby y joue le piano avec ce
style instantanément reconnaissable
et y pose des chœurs. Il a aussi
participé à l’écriture du morceau.
Le minimaliste mais conquérant
“Naeem”, titre le plus fort du disque,
est le morceau que Kanye West aura
toujours rêvé de sortir. Sur “Marion”,
Justin retrouve le son de guitare de
ses débuts avec un open tuning à la
Joni Mitchell. Il semble s’être enfin
libéré de sa casquette d’idole des
hipsters avec cet album, le plus
accessible et élégant de sa carrière.
✪✪✪✪
BRIAG MARUANI

The Dead
Daisies
“Locked And Loaded 
— The Covers Album”
SPITFIRE MUSIC/ SPV
Depuis son dernier album “Burn It
Down”, le groupe de Sydney, emmené
par David Lowy, gagne en importance
sur la planète heavy metal. Cette
année, le quintette participe même
à une web série d’horreur nommée
“Welcome To Daisyland!” dont la
bande-son est richement pourvue en
titres de “Burn It Down” et succombe
ici à un plaisir simple : enregistrer un
album de reprises. En dix titres plus
ou moins connus, les Dead Daisies
proposent une idée qui a le mérite
d’être sympathique, avec un risque
de ratage relativement minime, mais,
il y a ici une paire de classiques qui
nécessitent autre chose que de l’huile
pour ne pas faire couiner les rouages.
Populariser “Midnight Moses” est
judicieux, tant cette chanson du
Sensational Alex Harvey Band est à
découvrir. Simplement, il manquera
toujours les dents pourries du
chanteur écossais pour donner ce
petit truc qui manque cruellement
à la version Dead Daisies. Autre
close, but no cigar, la version de
“Revolution” proposée par les
Australiens restera éternellement
à des années-lumière de celle
des Beatles. Trêve de chicaneries,
apprécions à leur juste valeur

ces nouvelles versions musclées
tirées du répertoire de Neil Young,
Grand Funk Railroad, Deep Purple,
Creedence Clearwater Revival,
Rolling Stones, Who et l’hommage
à Led Zeppelin qu’est la version
du “Evil” de Howlin’ Wolf.
✪✪✪
GEANT VERT

Tropical
Fuck Storm
“Braindrops”
JOYFUL NOISE/ DIFFER-ANT
Dans la famille australienne, voici
les weirdos. Alors que la scène rock
de l’île est plus vivace et variée
que jamais — de King Gizzard à
Ausmuteants en passant par Bench
Press, Tame Impala, The Chats, The
Stroppies et tous les héritiers d’Eddy
Current Suppression Ring — et qu’elle
porte en elle des valeurs d’avant-
gardisme et de radicalité, voici qu’un
groupe met tout le monde à l’amende.
Formé par deux membres des Drones
qui ont décidé de quitter Melbourne
pour se planquer dans l’outback
afin d’y laisser libre-court à leur
imagination (et se libérer du poids de
ce groupe populaire aux Antipodes),
Tropical Fuck Storm est un groupe
insaisissable, déstabilisant.

A la première écoute, le projet
navigue entre brouhaha et
capharnaüm, puis, une ligne
mélodique accroche l’oreille et
l’évidence apparaît. Derrière le
chant mi-parlé mi-scandé de Gareth
Liddiard, les rythmes incertains et
les instrumentations louches, se
cachent des chansons magnifiques.
La musique de Tropical Fuck Storm
s’apparente parfois à une sorte de
punk lent (à l’image de ce “Paradise”
qui sonne comme une explosion en
slow motion), à de la pop girly passée
à la moulinette post-punk (“Who’s
My Eugene?”) ou à de l’afrobeat
joué par des blancs-becs défoncés
(“Braindrops”). Fil conducteur de
l’album, la guitare déglinguée d’Erica
Dunn (vue aussi chez les excellents
Mod Con) maintient l’album dans un
climat d’apesanteur permanent et,
avec sa voix déchirée, Liddiard
n’oublie pas de temps à autre de
nous rappeler qu’il vient du pays
de Nick Cave sur des chansons
tristes et ténébreuses (“Maria 63”).
✪✪✪✪
ERIC DELSART

The Murder
Capital
“When I Have Fears”
HUMAN SEASON/ WARNER
Dernière petite merveille post-punk
en date,The Murder Capital, de
Dublin, a mis le feu à toutes les
scènes sur lesquelles il a posé les
pieds depuis sa récente formation.
A l’instar des deux premiers singles
jusqu’alors uniquement disponibles sur
des plateformes de téléchargement, ce
premier album enregistré à Londres
est produit par le célèbre Flood. Dès
le premier titre, “For Everything”, long
de plus de cinq minutes, le groupe
de James McGovern fait étalage de
son sens de la composition. Sur
ces accords distordus, le quintette
revendique des racines solidement
ancrées chez Joy Division et Echo
And The Bunnymen. Animé par une
flamme qui lui appartient, The Murder
Capital a parfaitement digéré ces
influences pour en faire quelque chose
de plus radical encore. La rythmique
s’apparente à un mur infranchissable,
comme sur “More Is Less”, se fait
plus tribale sur “Green And Blue”,
mais le fil conducteur reste toujours
la voix de McGovern qui n’a pas son
pareil pour créer un climat anxiogène
tout au long de l’album avec sa façon
d’alterner le chant et le parlé-chanté.
Il est aussi possible de déceler ici
un peu d’humour grinçant à l’écoute
de “How The Streets Adore Me Now”.

“When I Have Fears” est très
surprenant pour une raison : on
pouvait le percevoir comme une
capsule spatiotemporelle réalisée
par des nostalgiques d’une époque
révolue, il n’en est rien ; cet album
est totalement d’aujourd’hui.
✪✪✪✪
GEANT VERT

Disques rock pop

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