076 R&F SEPTEMBRE 2019
The Nick
Moss Band
“Lucky Guy!”
ALLIGATOR/ SOCADISC
La fièvre blues retomba au début
des années 2000.Histoire de survivre
aux houserockersqui avaient fait sa
réputation, Alligator sortit des albums
de plus en plus blancs, de plus en
plus rock et de plus en plus produits.
En fait, le saurien n’avait pas attendu
d’être en slip pour caréner sa
production, ça devenait même
une caractéristique de la maison.
L’excellent “Lucky Guy!” dit tout ça :
beaucoup de souffle et d’énergie,
une épaisse tranche d’enthousiasme
et un maximum de préméditation.
Avec cette belle emphase sonore
qui louche vers la bande FM, tout
devient too much, les contractions
d’harmo, les tombées de saxo, même
les crises d’un piano excessivement
cristallin. Question style, c’est du
rhythm’n’blues passé au biceps
par les meilleurs tueurs de la ville.
Ce gros lard, qui chante un croone
de camionneur d’une voix gominée,
soliste puissant, décapeur de manche
au rock’n’roll spirit, s’appelle Nick
Moss. 13 albums au compteur.
“Lucky Guy!” est son deuxième
avec cet harmoniciste dantesque
nommé Dennis Gruenling, vampire
psychédélique aux ongles peints.
Dans un studio de San Jose,
Californie, ils retrouvent Taylor Streiff,
Rodrigo Mantovani, Patrick Seals
et Kid Andersen, clavier, bassiste,
batteur, producteur (et guitariste
des Nightcats, autres familiers de
l’Alligator). Ils ne sont pas des
réciteurs vintage ni de vulgaires
gonfleurs de blues. Leurs petits
sacrifices à l’air commercial du
temps façonnent un R&B original et
contemporain, irrigué par une culture
de terrain, cette émotion historique
qui monte des racines. Et ils servent
la messe en latin, en jive, en dolby
surround et en tartes dans la gueule.
✪✪✪✪
CHRISTIAN CASONI
Perry Farrell
“Kind Heaven”
BMG
Personnage clé de la scène
alternative américaine,leader du
génial Jane’s Addiction, mais aussi
de Porno For Pyros et Satellite Party,
cofondateur du carnavalesque
festival itinérant Lollapalooza, Perry
Farrell, qui a désormais atteint l’âge
respectable de 60 ans, peut se flatter
d’une existence bien remplie. Toujours
hautement perchée, la voix nasale
de cet artiste politisé reste en quête
de spiritualité, mais sait toujours
se faire colère dès qu’elle ouvre
la fenêtre. L’extravagant militant
écologiste chante désormais en duo
avec madame Farrell, Etty Lau, et
s’est entouré d’une équipe de choc
pour ce premier album sous son nom
en 18 ans, avec des arrangements
de cordes et un bon groupe de studio,
mais aussi Tommy Lee de Mötley
Crüe, Elliot Easton des Cars et Taylor
Hawkins des Foo Fighters. Coproduit
par Tony Visconti, “ Kind Heaven”
propose une collaboration logique
et alléchante qui fait jaillir quelques
étincelles psychédéliques au début de
ce vaudeville hallucinatoire qui évoque
le Alice Cooper des années 70 sur
“(Red, White And Blue) Cheerfulness”.
Avec son riff façon Killing Joke,
“Pirate Punk Politician” apparaît
comme une chanson engagée et
enragée. Las, si l’enthousiasme se
révèle sans faille, le résultat n’est pas
toujours à la hauteur de la barre que
semble s’être fixée le chanteur, qu’on
a connu plus visionnaire. Ramassé en
31 petites minutes, le second album
de Perry Farrell trouve le moyen de
retomber aussi vite qu’un soufflé.
A l’instar du dévotieux “Let’s All
Pray For This World”, final totalement
superflu, le matos présenté ici
fait malheureusement office
de remplissage ampoulé.
✪✪
VINCENT HANON
Robert
Randolph
& The Family Band
“Brighter Days”
PROVOGUE
Grand maître de la pedal steel,
Robert Randolphest un musicien
extraordinaire de fluidité et d’énergie,
un prodigieux showman dont les
concerts électrisent les spectateurs.
Formé à son instrument dans les
églises pentecôtistes, il s’imprègne
de gospel avant d’aborder la musique
profane, devenant un accompagnateur
très sollicité dans les registres les plus
variés. Après un premier album studio
en 2003, “Brighter Days” est son
sixième studio avec sa famille, dont
font partie ses inamovibles cousins
Marcus Randoph (batterie) et Danyel
Morgan (basse). Dave Cobb (guitare
et production) et Philip Towns (claviers)
complètent la formation actuelle.
Les parties vocales se partagent entre
Robert, Steven Ladsen et Lenesha
Randolph soutenue par le Nashville
Urban Choir sur deux titres gospel,
“Have Mercy” et “Cry Over Me”. La
plupart des compositions portent les
signatures du trio Robert Randolph/
Dave Cobb/ Aaron Raitiere, à l’exception
de “I’m Living Off The Love You Give”
et de la magnifique ballade “Simple
Man” de Pops Staples, dans laquelle la
pedal steel souligne tout en délicatesse
les variations de la voix. Si, sur scène,
la structure des morceaux sert de
support à de longs développements
instrumentaux jusqu’au paroxysme,
ce n’est pas le cas ici. Comme sur
un disque rhythm’n’blues des années
60, s’entrecroisent tempos rapides,
parfois à vitesse maximale (“Don’t
Fight It”), et ballades (“I Need You”)
sans sortir du cadre. Les solos de pedal
steel sont concis, incisifs, explosifs
et virtuoses. Avec un final féroce et
jouissif (“I’m Living Off The Love
You Give”, suivi de “Strange
Train”), “Brighter Days” est un
superbe album de soul blues.
✪✪✪✪
PHILIPPE THIEYRE
John Prine
“The Tree Of Forgiveness”
OH BOY
John Prine, né en 1946 dans l’Illinois,
a enregistré une vingtaine d’albums.
Découvert par Kris Kristofferson en
1971, engagé par Atlantic, il s’inscrit
d’emblée dans une noble lignée
dylanienne, voix nasale et textes
matois. Ses chansons — entre
autres “Angel From Montgomery”,
“Hello In There”, “Paradise” —
réapparaissent chez les plus grands,
Everly Brothers, Johnny Cash, etc.
Il passe chez Asylum avant de créer
le label Oh Boy (clin d’œil à Buddy
Holly). Suite à un cancer en 1998,
sa voix est maintenant aussi cabossée
que son visage sur cette pochette.
L’âge et les épreuves poussent à une
forme de mélancolie : la fin de l’été
est venue plus vite qu’on pensait
(“Summer’s End”)... John Prine co-
signe parfois avec des gens comme
Keith Sykes ou Dan Auerbach. En
1978, il écrit “If You Don’t Want My
Love” avec Phil Spector. De la même
période date “God Only Knows” (sans
rapport avec les Beach Boys) révélé
ici. Comment ne pas penser à ce que
Spector a vécu depuis, quand le texte
dit : “Dieu seul sait/ le prix à payer/
pour ceux qu’on a blessés.”Ailleurs,
l’écriture se teinte d’humour. Dans
“The Lonesome Friends Of Science”,
Pluton, déchue de son statut de
planète devient étoile... à Hollywood,
vue du bar à sushi... Dans “When I
Get To Heaven”, le poète veut ouvrir
au paradis un night-club baptisé Tree
Of Forgiveness. L’art de John Prine
sonne totalement américain, dans
ses références, ses accents, son
instrumentation (mandoline, slide,
fiddle, kazoo), sa fantaisie (“Egg &
Daughter Nite, Lincoln Nebraska,
1967 (Crazy Bone)”! La parfaite
adéquation entre le fond et la forme
(composition, paroles, interprétation)
est le fruit d’une totale authenticité.
✪✪✪✪
JEAN-WILLIAM THOURY
Disques classic rock