Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1

080 R&F SEPTEMBRE 2019


Un bon investissement pour les apprentis
musicologues : trois CD regroupant 87 titres
sortis au Royaume-Uni en 1977, l’année où le
punk a explosé. Comme le précise justement
le livret très détaillé, chacun sait que 1976
fut l’année zéro du genre, mais, le temps
que tout le monde soit signé, il fallut attendre
près d’un an pour qu’une vague d’albums
et de singles sortent enfin. Même si, pour
les raisons juridiques habituelles, les deux
poids lourds du punk britannique (Sex
Pistols et Clash) manquent à l’appel, on peut
dire que ce coffret est, de tous ceux qui sont
sortis depuis plusieurs décennies, celui qui
montre le mieux la diversité de ce que l’on
appelle aujourd’hui punk, que les plus jeunes
lecteurs ont tendance à imaginer parfaitement
uniformisé (la faute aux mauvais groupes oi!
apparus quelques années après, ainsi qu’aux


Rééditions du mois


vilaines, formations surgies durant les années
90, déterrant le vieil étendard). Le coffret en
question réunit donc des groupes classiques
de l’école hérissée, mais également d’autres
qui n’étaient pas franchement punks mais
qui subissaient ouvertement l’influence
du genre inventé dans ce pays par les Sex
Pistols. L’inspiration des punks anglais
et de la multitude de groupes apparaissant
en 1977 est complexe à résumer. Beaucoup
avaient, de toute évidence, adoré Bowie et
Roxy Music tout en vénérant les pères
fondateurs américains : Velvet Underground,
Stooges, MC5... Certains avaient adoré les
groupes mod sixties (Paul Weller des Jam,
Glen Matlock des Pistols, Steve Diggle des
Buzzcocks), d’autres le krautrock, d’autres
le pub rock, d’autres le reggae et le dub,
d’autres encore les groupes anglais déjantés
du début des seventies (Hawkwind, Pink
Fairies), et Mick Jones des Clash vénérait
Mott The Hoople. Puis, les Ramones sortirent
leur premier album en mai 1976 et tout ce
beau monde se retrouva en état de choc.
La brièveté des morceaux, leur simplicité,
l’absence de solo, l’ironie des paroles, la
brutalité des guitares, le tempo ne baissant
jamais, ce fut une révolution que les sujets
de Sa Majesté se prirent en pleine face. Il
fallut alors, pour beaucoup mais pas pour
tous, remettre tout en ordre, et, lorsque les
maisons de disques commencèrent à signer
des nouveaux groupes à tour de bras, une
scène bourgeonnante, mais très hétéroclite
apparut. C’est ce qui fait l’intérêt du
punk anglais des débuts : il n’y avait
pas deux groupes qui se ressemblaient
(un ou deux ans plus tard, les suiveurs
tardifs se ressembleraient tous, à
l’exception notable de Stiff Little Fingers).
Et c’est le grand mérite de ce coffret : tout n’y
est pas exceptionnel, mais la vue d’ensemble
est parfaite dans la mesure où l’on aperçoit,

en trois CD, toute la variété d’une scène
nouvelle encapsulée dans 365 jours
seulement. On n’avait rien vu de pareil
depuis les années 1964/ 1965. Le résultat
est impressionnant : Jam, Damned,
X-Ray Spex, Generation X, Stranglers,
Buzzcocks, Vibrators, Slaughter And The
Dogs évidemment, mais aussi des groupes
satellites du genre brassant d’autres
influences comme Motörhead, Tyla Gang,
Larry Wallis, les Gorillas de Jesse Hector,
Wreckless Eric, Deaf School, Count Bishops,
Doctors Of Madness, Graham Parker & The
Rumour, Eddie And The Hot Rods... Certains,
trop originaux ou inclassables, brillent par
leur inventivité : c’est le cas des Only Ones
(magnifique “Peter And The Pets”), de John
Cooper Clarke, des Swell Maps, d’Ultravox (!),
mais aussi des Outsiders d’Adrian Borland,
futur chanteur de The Sound, alors en pleine
crise stoogienne. Puis, arrivent les seconds
couteaux : Cock Sparrer, Sham 69, 999,
Eater, Lurkers, Menace, qui annoncent
la triste vague oi!. Enfin, émergent des
groupes pas vraiment finis : les New Hearts
deviendront Secret Affair pour sauter
à pieds joints dans le revival mod, et le
chanteur des Killjoys deviendra plus tard
la star absolue des Dexy’s Midnight Runners.
Ailleurs, quelques groupes oubliés qui,
en leur temps, sortirent quelques bons
singles, comme les Cortinas, les Rezillos
ou les Carpettes. Le coffret s’achève avec
un sommet de crétinerie signé Norman
& The Hooligans, intitulé “I’m A Punk”.
Un an plus tard, le genre sera récupéré
(“turning rebellion into money”, comme le
chanterait Joe Strummer), pour bientôt laisser
la place à la très fertile scène post-punk,
qui n’aurait, par définition, jamais pu
exister sans celle qui l’avait précédée.

NICOLAS UNGEMUTH

“1977 -


The Year Punk Broke”
Cherry Red (Import Gibert Joseph)


Il n’y avait pas deux groupes qui se ressemblaient

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