Rock et Folk N°625 – Septembre 2019

(Darren Dugan) #1
C’est certain — et probablement irréversible —
le monde va de plus en plus mal. Les causes? En
vrac : la pollution, la mondialisation, le réchauffement
climatique, les trottinettes électriques, les guerres
pour rien et Cyril Hanouna. Tout ce qui participe en
fait à une régression physique et mentale de la société
qui, heureusement, arrive encore à survivre grâce
aux tomates bio, aux films coréens hype (“Parasite”,
vraiment de la bombe) et, bien sûr, au rock et au folk.
Il faut bien ça pour rêver face à certains individus
de pouvoir. Tel Donald Trump, qui, malgré son
prénom de canard cool, a fait de son pays une
véritable idiocraty, pour reprendre le titre d’une
comédie déjantée culte et prophétique réalisée voici
déjà 13 ans. Mais, si Trump a accédé au bureau Ovale,
il a largement été aidé par des hommes dans l’ombre
au service d’une Amérique raciste et réactionnaire.
Dont l’eurosceptique Rupert Murdoch, l’une des plus
grandes fortunes du monde à qui appartenait, parmi
mille autres sociétés, la célébrissime Fox (avalée il y
a quelques mois par Disney). La même Fox qui, côté

cinéma, aura fait rêver pendant des décennies en
produisant “Titanic”, “Alien”, la série des Indiana
Jones, ou, beaucoup plus anciennement, “Les Raisins
De La Colère” de John Ford. Par la suite, Fox a fini par
se tailler une mauvaise réputation. Non pas pour sa
production cinématographique, mais télévisuelle, avec
Fox News, la chaîne antidémocratique par excellence
et gérée par un dirigeant sorti droit des enfers : Roger
Ailes, ex-conseiller en image de Richard Nixon, Ronald
Reagan et George Bush et nommé président de Fox
News par Rupert Murdoch en 1996. Pour le meilleur
des audiences et pour le pire de l’Amérique. En sept
épisodes, “The Loudest Voice” montre comment
Ailes a réussi à faire de Fox News la première
chaîne d’information en battant CNN, sa concurrente.
Et, surtout, comment Ailes, à coups de campagnes de
désinformation et de théories complotistes a réussi à
entraîner dans son sillage une partie de l’Amérique qui,
au final, élira Trump. Didactiquement dénonciatrice,
affreusement historique, forcément prodémocrate
(mais en douceur), “The Loudest Voice” plonge dans

les arcanes d’un pouvoir malsain, encensé et porté
par Roger Ailes, incroyablement interprété par Russell
Crowe dont on peut dire que c’est ici le grand retour.
L’ex-héros du “Gladiator” de Ridley Scott (le film qui
l’a starisé il y a bientôt 20 ans) se faisait plutôt discret
ces derniers temps, sans rien de vraiment transcendant
dans sa filmographie. Citons une série B d’action
à la Tarantino (“L’Homme Aux Poings De Fer”), un
rôle de père de Superman dans un énième film de
superhéros (“Man Of Steel”) ou un Dr Jekyll empâté
dans un remake lourdaud d’un classique du fantastique
(“La Momie”, pire rôle de Tom Cruise par ailleurs).
Rien qui ne mette en avant les subtilités du jeu
d’acteur de Crowe. Avec “The Loudest Voice”,
il incarne à la perfection Roger Ailes. Aussi bien
mentalement (un homme obsédé par le pouvoir et
pratiquant le cynisme, la pression psychologique,
les coups tordus et la manipulation — y compris
sexuelle — sans sourciller) que physiquement. Le
ventre rebondi, le crâne à moitié dégarni et la gorge
épaissie par la grâce du latex, il erre nonchalamment,
tel un ogre, à la recherche de proies démocrates dans
les locaux de Fox News tout en balançant ses vérités
douteuses à qui veut les entendre. Son antienne
favorite : “Les gens ne veulent pas être informés,
ils veulent se sentir informés !” Ainsi, Ailes engendre
donc info polémique sur info polémique, l’équivalent
des actuellesfake news. Les épisodes, découpés
par période (la création de Fox News, la charte
des mensonges, les attentats du 11 septembre
qui boosteront la chaîne...) font pénétrer le spectateur
— avec autant de fascination que de dégoût —
dans un nouveau monde médiatique où celui
qui parle le plus fort a raison. Quitte à bafouer la
démocratie (en diffusion sur Canal + Séries).❏

Série du mois
PAR CHRISTOPHE LEMAIRE

Pour le meilleur des audiences et pour le pire de l’Amérique


Cold Skin (Condor)
Signataire de quelques séries B de genre comme le gore “Frontière(s)”,
ou le postapocalyptique “The Divide”, le Français Xavier Gens réalise
son meilleur film avec le formidable “Cold Skin” qui, injustement,
ne sera pas exploité en salles. Dommage, car cette confrontation
dans un phare entre deux hommes et des créatures subaquatiques
fait à la fois renaître l’esprit de Jules Verne et de certains films bis
des années 70 comme “Le Continent Des Hommes Poissons” et
autre “Monstres De La Mer”. L’émotion et les métaphores en plus.

SEPTEMBRE 2019 R&F 099

The


Loudest


Voice


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