Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1

  1. 7 JOURS Courrier international — no 1504 du 29 août au 4 septembre 2019


GROENLAND
(Dan.)

ÉTATS-UNIS

DANEMARK

Nuuk

Base de Thulé
(É-U)

Cercle polaire

Océan
Arctique

Océan
Atlantique
Nord

1 500 km

CANADA

ISLANDE

COURRIER INTERNATIONAL

OUI


Pour


des questions


de sécurité


—The Washington Examiner
Washing ton

L


’intérêt soudain de Trump pour
le Groenland a été le plus sou-
vent tourné en dérision. Et le
Danemark, qui possède ce territoire, n’a
pas du tout l’intention de le vendre.
Mais ne riez pas! L’achat de ce ter-
ritoire par les États-Unis serait
sans doute une excellente affaire
pour notre sécurité nationale et
nos intérêts économiques, sans
parler de la défense de l’environnement.
Même si elle paraît sortie de nulle part,
une telle acquisition du Groenland n’est
pas le moins du monde une idée étrange
ou irrationnelle. En 1940, après la défaite
du Danemark face à l’Allemagne nazie,
les forces américaines ont défendu le
Groenland. L’amitié entre les États-Unis
et ce territoire ne date pas d’hier et revêt
même un caractère officiel. En 1946, un
certain Harry Truman a même essayé
d’acquérir le Groenland pour 100 mil-
lions de dollars. Truman était-il fou? Au
contraire, c’est le président qui a mis fin
à une guerre mondiale.
Aujourd’hui, le Groenland représente
une valeur stratégique extraordinaire.
Avec la base de l’US Air Force déjà pré-
sente à Thulé, le Groenland dispose de
moyens très importants, en matière de
renseignement, pour mener des opéra-
tions par satellite et détecter d’éventuels
lancements de missiles au-dessus du
pôle Nord, depuis la Chine ou la Russie.
Grâce à cette base, les États-Unis sont en
mesure de mieux avertir leurs citoyens
d’une attaque imminente.
L’intérêt de Thulé ne s’arrête pas là.
Grâce à son port en eau profonde et à sa
longue piste, la base fournit une plaque
tournante logistique vers l’Arctique. De
plus, elle donne à l’armée américaine la
possibilité de dissuader et de contrer
d’éventuelles agressions.
La Russie, en particulier, œuvre pour
assurer un contrôle territorial sur les

CONTROVERSE


Trump a-t-il raison de vouloir acheter le Groenland?


En faisant part de son intérêt pour ce territoire autonome rattaché au Danemark, le président américain a été applaudi
par certains mais décrié par d’autres comme réveillant des appétits coloniaux qu’on croyait appartenir à un autre temps.

zones riches en ressources de l’Arc-
tique. Aussi la présence des États-Unis
au Groenland est-elle plus que jamais
pertinente.
L’achat du Groenland renforcerait
encore ces atouts en matière de sécu-
rité. Libérés des susceptibilités politiques
du Danemark, par exemple, les États-
Unis pourraient installer des missiles au
Groenland, notamment des missiles de
moyenne portée. De quoi tempérer les
ambitions des Russes en Arctique.
En outre, le Groenland abonde en res-
sources. Déjà indépendants sur le plan
énergétique, les États-Unis auraient accès
à un territoire riche non seulement en
hydrocarbures, mais aussi en terres rares,
ces dernières étant seulement dispo-
nibles à l’heure actuelle chez l’un
de nos adversaires, la Chine. Le
Groenland possède également des
eaux très poissonneuses.
Mais les intérêts américains ne
sont pas seuls en jeu. La petite
population du Groenland a elle aussi
tout à gagner d’un afflux massif d’inves-
tissements américains. Le tourisme à lui
seul constitue certainement un immense
potentiel inexploité.

Le Groenland offre par ailleurs d’im-
menses débouchés pour la protection
de l’environnement. Ses eaux territo-
riales recèlent une myriade d’espèces
de baleines, ses terres abritent de nom-
breuses espèces de plantes et d’ani-
maux, son ciel compte une multitude
d’espèces d’oiseaux.
Le Groenland représente un potentiel
de nouvelles réserves naturelles gigan-
tesques, et donnerait aux scientifiques
américains la possibilité d’étudier l’en-
vironnement arctique en ayant un point
de vue privilégié.
Si étrange que cela puisse paraître de
prime abord – aussi étrange qu’en son
temps l’achat [en 1867] de l’Alaska, rap-
pelons-le –, les Américains de tous bords
politiques auraient tout intérêt à ce que
le Groenland et ses 56 000 habitants
rejoignent notre famille nationale.—
Publié le 17 août

NON


C’est un retour


de l’impérialisme


—Die Tageszeitung (e x t r a i t s)
Berlin

E


n 1884, les principales puissances
européennes se sont réunies à
Berlin. Elles y ont discuté argent,
pouvoir, influence, matières premières,
routes maritimes, rôle stratégique, bref
tout ce qu’exige une doctrine impérialiste.
Durant la conférence de Berlin, les puis-
sances coloniales ont négocié leurs inté-
rêts en Afrique. Il en est résulté que le roi
Léopold II de Belgique s’est vu accorder
une sorte d’État privé [le Congo belge].
La conférence a donné lieu au partage du
continent au profit des puissances colo-
niales. Naturellement, personne n’a rien
demandé aux habitants concernés, ces
“sauvages” insignifiants.
Cent trente-cinq ans plus tard, le prési-
dent américain s’est mis en tête d’acheter
le Groenland au Danemark. La présence
de matières premières – libérées par la
fonte des glaces – et l’ouverture d’un pas-
sage au nord-est vers l’Asie comme future
route commerciale attisent son intérêt.
Donald Trump n’a toutefois pas jugé bon
d’informer les habitants du Groenland
de ses intentions d’achat.
Jusqu’à la semaine dernière, aux yeux
des historiens, l’ère de l’impérialisme était
considérée comme un chapitre clos de l’his-
toire mondiale. Les analogies historiques
sont toujours délicates. Donald Trump n’est
pas le roi Léopold II. Sa proposition d’achat
du Groenland ne peut toutefois que nous
rappeler un passé qu’on croyait révolu.
Celui qui a l’argent et le pouvoir est
aussi celui qui décide. Les solutions multi-
latérales – dont la conférence de Berlin
fait partie, en dépit de ses conséquences
désastreuses – ne suivent pas ce précepte :
elles servent aussi à définir un équilibre
entre différents intérêts.
L’absurde proposition de Trump de
racheter un pays comme un vulgaire bien
immobilier peut faire sourire et devrait
être vouée à l’échec. Il en va toutefois
autrement de l’idéologie qui l’a inspirée.
—Klaus Hillenbrand
Publié le 19 août

La petite population
du Groenland a elle aussi
tout à gagner d’un afflux
massif d’investissements
américains.

Contexte


●●● “I don’t want you, I want
Greenland. Unless I change my mind”
(“Je veux le Groenland, et pas vous.
Sauf si je change d’avis”) : c’est avec
ce dessin faisant référence à la célèbre
affiche créée pour l’armée américaine
en 1917 que le journal danois
Politiken a répondu le 22 août
à l’annulation de la visite du président
américain au Danemark,
prévue pour les 2 et 3 septembre.
Donald Trump avait expliqué ne pas
vouloir se rendre au Danemark
après que la Première ministre danoise,
Mette Frederiksen, avait qualifié
d’“absurde” son idée d’acheter
ce territoire autonome rattaché
à la couronne danoise, idée
que le Wall Street Journal
avait été le premier à rapporter
le 16 août. Le président américain
l’avait ensuite confirmée.
L’île couverte de glace, grande
comme quatre fois la France, est
peuplée de seulement 56 000 habitants.
Son sous-sol riche en minerais
et en ressources énergétiques,
ainsi que son emplacement
de plus en plus stratégique à mesure
que la calotte polaire fond, aiguisent
la convoitise des grandes puissances.

ÉDITO
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