Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1

Courrier international — no 1504 du 29 août au 4 septembre 2019 15


Nicola Longobardi est un photographe italien.
Il est l’auteur de toutes les images de ce dossier.
En 2014, alors qu’il vit à Pékin, il part à Hong
Kong pour couvrir le “mouvement des
parapluies”. Il décide de s’y installer en 2017.
Au mois de juin 2019, après quelques jours
de photos de manifestations, il met en place
son projet B e Water, une série de portraits
de manifestants, sur fond blanc, sur les lieux
mêmes des événements, afin de montrer,
dit-il, que “ce mouvement concerne toute
la population”, sans distinction
d’âge, de genre
ou de milieu.

d’impuissance a envahi la jeunesse. Contre
toute attente, celle-ci s’est une nouvelle fois
mobilisée contre la loi autorisant les extradi-
tions vers la Chine, en tirant les leçons des
expériences passées.
Après le tourbillon de protestations
des mois de juin et de juillet contre le
projet d’amendement sur l’extradi-
tion, Billy a encore du mal à accep-
ter l’indifférence du gouvernement
face aux citoyens : “Leur posture
est inacceptable ; ils regardent les
gens de haut !”
Au moment du “mouvement des
parapluies” [qui s’est soldé par un
échec], Billy, qui était encore lycéen,
n’avait pas bien compris tout ce qui se
passait, mais avait constaté malgré tout
l’absence de solidarité et la confusion qui
régnaient entre les “grands tribuns”, les parti-
sans d’un mouvement pacifique et les factions
radicales. Il se félicite qu’aujourd’hui, malgré
la présence de quelques “excités”, la plupart
des gens soient animés par le même objectif,
sans fracture interne.
Lui, qui se présente comme un “pacifiste, rai-
sonnable et non violent”, n’a pas beaucoup d’ex-
périence des mouvements sociaux. Le 12 juin,
c’était la première fois qu’il défilait jusqu’au
LegCo [Legislative Council, le Parlement hong-
kongais]. Il portait juste un masque chirurgi-
cal et, quand les grenades lacrymogènes sont
tombées de plus en plus près de lui, il a inspiré,
complètement paniqué, une grande quantité
de gaz : “Ça sentait un peu comme du vinaigre,
j’avais du mal à respirer.”


Il a vu des manifestants s’effondrer par
terre, inanimés, et un adolescent, qui éteignait
un feu de poubelle, être pourtant aspergé de
gaz poivre par la police. Plusieurs jours après
les incidents, Billy a toujours du mal à cacher
son indignation : “Quand on utilise plus d’une
centaine de grenades lacrymogènes contre juste
cinq excités, peut-on vraiment parler de brigade
d’élite? La police n’a-t-elle pas abusé de sa force?
Le gouvernement n’a toujours pas mené d’en-
quête à ce sujet.”
Billy n’a pris conscience de l’importance d’in-
tensifier la pression pour forcer le gouverne-
ment à réagir que ce jour-là, alors que le texte
de loi allait être soumis en deuxième lecture au
Parlement [le débat a finalement été ajourné].
“S’il n’y avait pas eu ces affrontements, le texte
serait sans doute adopté aujourd’hui grâce aux
partis ‘royalistes’ [ pro-Pékin].”
Alors qu’il se reposait un peu dans une petite
rue, exténué, Billy a reçu un coup de téléphone
de sa famille le pressant de rentrer chez lui.
Depuis, la question est souvent cause de dis-
putes avec ses parents. Il regrette que les gens
plus âgés ne comprennent pas les jeunes et qu’ils


aient peur que l’éti-
quette de “fauteur de
troubles” ne leur nuise
plus tard, mais Billy ne
mâche pas ses mots : “C’est
vraiment dommage, je trouve,
de vivre en ne pensant qu’à
son propre avenir. Je ne sou-
haite pas une vie qui n’ait pas
de sens, ni qu’elle se résume
à aller au boulot pour gagner
de l’argent. Je veux la liberté et
la démocratie pour la généra-
t ion suivante.”
Mi-juin, Chan Kin-por,
président de la com-
mission des finan-
ces du LegCo, a
souligné qu’en
cas d’adoption
de la loi seuls
200  Hongkongais
tout au plus risque-
raient d’être extradés
chaque année, soit “rien
du tout”, et il est allé jusqu’à
dire que les jeunes mani-
festants étaient en train de
détruire leur propre “période
de moisson”. Billy n’est pas
du tout d’accord : il estime
que l’adoption d’une telle loi
créerait un précédent ris-
quant d’encourager par la
suite le gouvernement à accen-
tuer la restriction des libertés
individuelles ; par ailleurs, il ne
veut pas que les générations sui-
vantes pâtissent de son indiffé-
rence politique et que ce soit pour
lui une source de regrets : “Je ne
souhaite pas que Hong Kong devienne
comme la Chine populaire.”
Gary Tang Kin-yat, lecteur à la
faculté de sociologie de l’univer-
sité Hang Seng de Hong Kong, fait

“NE PAS SE DIVISER,


NE PAS SE DÉNONCER,


NE PAS SE DÉSOLIDARISER !”


Les images

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