Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1

HONG KONG N’EST PAS


TIAN’ANMEN


La crainte d’une opération chinoise musclée entraîne des comparaisons un peu hâtives,
écrit cette journaliste italienne installée dans le territoire depuis plus
de trente ans. Mais Pékin ne sait toujours pas parler aux manifestants.

Courrier international — no 1504 du 29 août au 4 septembre 2019 HONG KONG : LA LIBERTÉ À TOUT PRIX. 17


—The New York Times (extraits) New York

A


lors que l’été de la contestation se pro-
longe à Hong Kong, pas un jour ne passe,
pas une heure même, sans que quelqu’un
évoque la répression exercée autrefois
contre un autre groupe de manifestants
prodémocratie, à Pékin, voilà trente
ans. On ne compte plus le nombre de posts
sur Twitter montrant des photos d’exercices
militaires aux portes de Hong Kong, laissant
entendre que la fin approche pour les contes-
tataires. Pourtant, qui sait exactement où et
quand ont été pris ces clichés, et pour quelle
raison ils ont été rendus publics.
Le massacre de Tian’anmen en juin 1989 n’est
pourtant pas le prisme le plus pertinent à tra-
vers lequel analyser la situation actuelle à Hong
Kong. Il pousse, voire conditionne, les obser-
vateurs – ainsi que les participants – à croire
que l’escalade de la violence est inévitable. Et
cela risque de nous faire oublier l’importance
de ce qui se passe aujourd’hui à Hong Kong.

Non seulement nous ne sommes pas à Pékin
en 1989, mais la Chine dans son ensemble
n’est pas non plus ce qu’elle était alors. Le
pays n’est plus un débutant débarquant sur la
scène internationale après des décennies de
troubles politiques ; c’est une des premières
puissances mondiales, entièrement intégrée
à l’économie mondiale. Le Parti communiste
chinois (PCC) exerce toujours un contrôle poli-
tique absolu et il recourt toujours à la répres-
sion pour étouffer ou empêcher l’émergence
de dissidence. Mais s’il a moins de choses à
craindre aujourd’hui qu’hier, il a plus de choses
à perdre dans un bain de sang perpétré contre
des civils. Il perdrait notamment toute cré-
dibilité en tant que système politique propo-
sant une alternative viable aux démocraties
dites occidentales.


  1. Y a-t-il un risque d’intervention?


Les dirigeants de Pékin n’ont pas
besoin de prendre de tels risques. Ils
disposent de bien d’autres armes que la
force brute pour faire plier les citoyens
chinois ou de Hong Kong. Oui, les auto-
rités ont bien veillé à faire diffuser ces
photos et vidéos de leurs démonstra-
tions de force, mais elles peuvent aussi
faire taire les voix de la discorde par de
simples mesures de coercition, des textes
de loi et peut-être bientôt – à
Hong Kong comme en Chine
continentale – grâce à des
technologies de contrôle
ultrasophistiquées. Le
gouvernement a éga-
lement soufflé sur les
braises du nationalisme
de manière à pouvoir
diriger l’indignation
des masses contre
une entreprise ou
tout un pays. Ces
opérations peuvent
faire des victimes
sans verser une
goutte de sang.
En se focalisant
sur la vision d’un
Tian’anmen  2.0 à
Hong Kong, on prend
le risque de ne pas voir ce
que l’actuelle crise révèle –
notamment la façon dont la
Chine se comporte avec le
reste du monde : comment
elle traite les accords qu’elle
conclut, comme la déclara-
tion commune signée avec le
Royaume-Uni en 1984 et qui
devait garantir jusqu’en 2047
un haut degré d’autonomie et
d’indépendance judiciaire à la
colonie britannique après sa
rétrocession en 1997 ; comment
la Chine applique les nombreux
engagements pris envers Hong
Kong, notamment sa mini-
Constitution qui promettait
l’introduction du suffrage uni-
versel. Elle ne les respecte pas.

L’an dernier, le PCC a célébré quarante ans
de “réforme et d’ouverture”. À Hong Kong,
pourtant, on n’observe rien de cela. Après
onze semaines de manifestations massives,
Pékin refuse toujours d’engager le dialogue
avec les manifestants – quels qu’ils soient – ou
de répondre à la moindre de leurs revendica-
tions, que ce soit directement ou par l’inter-
médiaire de la chef de l’exécutif hongkongais,
Carrie Lam. Le pouvoir central n’a pas bougé
d’un iota alors même qu’il aurait pu transfor-
mer de petites concessions en victoires diplo-
matiques ou de realpolitik – par exemple en
retirant définitivement le projet de loi d’ex-
tradition qui a mis le feu aux poudres [et qui
n’est que suspendu] ou en créant une com-
mission d’enquête sur de possibles violences
policières. Au lieu de cela, il s’est fait offen-
sif, accusant certains manifestants d’être
des agents de la CIA, d’autres des “mains
noires” – des agents étrangers – venues
de Taïwan et leur reprochant de n’être
pas des patriotes. Le pouvoir chinois
répond par le mépris, les accusations et
la propagande.
Le gouvernement chinois multiplie éga-
lement les menaces voilées. Il a qualifié
les manifestants de “terroristes”
après l’occupation de l’aéroport de
Hong Kong. Plutôt que des signes
annonciateurs d’une épreuve de
force à venir, ces déclarations
révèlent surtout le profond
fossé qui sépare les autori-
tés de Pékin de nombreux
habitants de Hong Kong. Ces
manifestations rigides d’au-
torité rencontrent peut-être
un certain écho auprès des
nationalistes chinois sur le
continent, mais elles ne font
que renforcer la colère des
Hongkongais et leur déter-
mination à se battre pour
plus de démocratie dans
leur cité.
Mettez donc Tian’anmen
un instant de côté pour mieux
envisager ce que la situation
actuelle révèle vraiment : les
dirigeants politiques chinois
ne peuvent tout simplement
pas comprendre les gens qui
pensent librement.
—Ilaria Maria Sala
Publié le 16 août

CETTE FOIS, LE PARTI
COMMUNISTE A PLUS DE CHOSES
À PERDRE DANS UN BAIN DE SANG
PERPÉTRÉ CONTRE DES CIVILS.

← T., 23 ans, secouriste.
Sur le panneau, en anglais
et en chinois : “Hier, deux
secouristes ont été pris pour
cible par la police et arrêtés !”

← ← Lady Mack, 86 ans,
couturière à la retraite.
Photos Nicola Longobardi
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