Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1

Courrier international — no 1504 du 29 août au 4 septembre 2019 HONG KONG : LA LIBERTÉ À TOUT PRIX. 19


Contexte


Pékin, maître de l’info


chez lui


●●● Les Hongkongais sont favorables
à la loi sur l’extradition, et les opposants
ne sont qu’une poignée d’excités manipulés
par l’Occident. C’est ce que veut faire croire
Pékin à la population chinoise grâce
au contrôle exercé sur la presse et
les réseaux sociaux. Le 10 juin, le Huanqiu
Shibao, journal nationaliste, écrivait ainsi
dans son éditorial : “La collusion entre
l’opposition [hongkongaise] et l’Occident
ne bouleversera pas Hong Kong”, ajoutant 
que “plus de 730 000 citoyens hongkongais
ont signé une pétition de soutien au projet
de loi sur l’extradition”. Les Chinois du continent
tombent des nues. Car ni la présence
de 1,3 million de Hongkongais dans la rue,
la veille ni le projet de loi lui-même n’ont été
jusque-là mentionnés dans les médias
chinois. Le chiffre n’est d’ailleurs toujours
pas donné. “Toutes les plateformes chinoises
ont bloqué cette information. Les photos
montrant la foule dans la rue étaient
censurées sur les réseaux sociaux Weibo
ou WeChat, et beaucoup de comptes
ont même été supprimés”, constate
Duanchuanmei (The Initium), pure player
de Hong Kong. Six jours plus tard, le 16 juin,
près d’un Hongkongais sur trois, soit
2 millions de personnes, est dans la rue.
Mais Pékin n’est toujours pas prêt
à diffuser cette information auprès
de sa population. “Les médias officiels
chinois ont gelé cette information
et orienté tous leurs éditoriaux et leurs
reportages sur le projet de ‘grande baie’
[unification des villes de la région]
et les conditions de vie [des Hongkongais]”,
observe Duanchuanmei. Pour gagner
la bataille de l’opinion chinoise, Pékin
diffuse les images des violences, accusant
le 2 juillet les manifestants d’être
des “activistes radicaux opposés au projet
de la loi sur l’extradition”, selon les termes
de l’agence officielle Xinhua. La presse
officielle parle d’“émeutes”. Le 12 août,
Yang Guang, porte-parole du Bureau central
des affaires de Hong Kong et de Macao,
déclare à la chaîne de télévision centrale
CCTV que la contestation “commence
à montrer des signes de terrorisme”.
Comme ils le font régulièrement, les médias
officiels dénoncent la responsabilité
de “forces étrangères”, accusant l’Occident
d’ingérence dans les affaires internes
de la Chine. “Nous conseillons aux politiciens
de certains pays occidentaux de retirer
immédiatement leurs ‘mains noires’
avant qu’il ne soit trop tard”, attaque
le Renmin Ribao (“Le Quotidien
du peuple”), organe du Parti communiste
chinois, le 22 août.

CE N’EST PAS QUE L’ÉTAT


DE DROIT DOIVE DISPARAÎTRE.


LA QUESTION EST DE SAVOIR 


QUI CONTRÔLE L’ÉTAT DE DROIT.


← ← W., entre 25
et 30 ans, maçon.

↓ L., 24 ans,
étudiant.
Photos Nicola
Longobardi

Dans une large mesure, après la rétrocession
[à la Chine] en 1997, Hong Kong est simple-
ment passé d’un statut de “territoire directe-
ment colonisé” par le Royaume-Uni à celui de
“territoire indirectement colonisé”. Après la
rétrocession, aucun changement notable dans
le système de gouvernement n’est intervenu,
que ce soit en faveur d’une plus grande auto-
nomie des Hongkongais ou d’un accroissement
de la souveraineté de la Chine [qui s’est enga-
gée à cinquante ans de système inchangé]. Les
deux parties se sont accordées sur le maintien
de “l’État de droit” (rule of law).
L’État de droit constitue de fait l’essence,
la base même du système hongkongais. Mais
le Royaume-Uni, comme d’autres puissances
étrangères, profite de la situation de “coloni-


sation indirecte” dans laquelle se trouve Hong
Kong pour tirer parti des conflits dans laquelle
la RAS se trouve engagée, sans avoir par ail-
leurs à endosser nulle responsabilité vis-à-vis
de ce territoire. Aujourd’hui, ce système d’État
de droit a fini par donner aux puissances étran-
gères un indéracinable “droit à la parole”, il s’est
comme transformé en une sorte de “supervi-
seur”, d’une redoutable efficacité, du gouver-
nement de la RAS, devenant aussi l’obstacle le
plus important à tout changement à Hong Kong.
Cela ne signifie absolument pas que cet État
de droit doive disparaître. La question est plutôt
de savoir qui contrôle l’État de droit. Ici, com-
parer les différentes voies choisies par les ex-
colonies ayant accédé à l’indépendance après la
Seconde Guerre mondiale permet de percevoir
clairement les différents modes selon lesquels
l’héritage du système colonial a pu être géré.
Certains pays ont intégralement conservé
le système colonial, adoptant la démocratie à
l’occidentale héritée de ce système. Aucun des
pays ayant suivi cette voie n’a vu ses choix cou-
ronnés de succès, partout cela a été un échec.
Inversement, de nombreux pays ont mis en
œuvre un processus de décolonisation. Mais
ces processus d’éradication du système colo-
nial se sont soldés par des résultats inégaux.
Certains pays n’ont pas réussi à édifier un nou-
veau système réellement efficace et opération-
nel, ce qui a eu une influence néfaste sur leurs
relations avec les pays occidentaux et a restreint
leur propre développement.
D’autres pays ont su non seulement préser-
ver certains éléments positifs de l’héritage colo-
nial, afin de favoriser leur développement, mais
aussi entretenir de bonnes relations avec les pays
occidentaux. De ce point de vue, Singapour se
présente comme un cas exemplaire. Après avoir
obtenu son indépendance, la cité-État a engagé
un processus de décolonisation efficace, gom-
mant les aspects négatifs de l’héritage colonial
tout en en conservant les éléments positifs.


L’expérience réussie de Singapour tient en
quelques mots : une appropriation sans conces-
sion du contrôle de l’État de droit. De ce point
de vue, Hong Kong présente des caractéris-
tiques nettement opposées : dans une large
mesure, l’État de droit dans la RAS permet à
l’ex- puissance coloniale de protéger ses intérêts,
sans que Hong Kong puisse faire valoir les siens.
Dans le passé, les mouvements démocratiques
à Hong Kong comportaient une certaine ten-
dance antibritannique. Aujourd’hui, le mou-
vement démocratique se caractérise par son
rejet de la mère patrie, la Chine continentale.
Le sentiment d’identité nationale s’est entiè-
rement inversé. Or la plupart des manifestants
de ces dernières années appartiennent à la
jeune génération ayant grandi après le retour
de Hong Kong sous la souveraineté chinoise.
Ils forment aujourd’hui l’essentiel du mou-
vement indépendantiste hongkongais [très
minoritaire].
C’est précisément ce déclin du sentiment
d’identité nationale qui a fait voler en éclats un
concept auparavant homogène d’“un pays, deux
systèmes”. D’un côté, pour la Chine continentale,
c’est la notion d’“un pays” qui est prioritaire.
De l’autre, pour Hong Kong, ce qui
importe avant tout est la notion
de “deux systèmes”. Entre
les deux, le gouvernement
de la RAS est réduit
à l’impuissance.
Aujourd’hui, par sa
durée comme par sa
violence, le mouve-
ment de contestation
sociale a largement
contribué à révéler au grand
jour les nombreuses contra-
dictions auxquelles Hong Kong
est confronté. Aucun de ses
problèmes ne sera efficace-
ment résolu tant qu’aucune
réponse ne sera apportée à
la question : “Qui a auto-
rité sur Hong Kong ?” Tant
qu’aucune autorité poli-
tique digne de ce nom
n’aura émergé, personne ne
pourra innocemment croire
que Hong Kong peut accéder
à la stabilité et résoudre ses
problèmes. Le Hong Kong
d’aujourd’hui n’a plus rien
à voir avec celui des pre-
miers temps de la rétro-
cession, de l’eau a coulé
sous les ponts, et c’est
sans retour. Le défi
pour la Chine conti-
nentale est donc le
suivant : comment
mettre en œuvre la
deuxième réintégra-
tion de Hong Kong
dans la Chine?
—Zheng Yongnian
Publié le 20 août
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