Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1

Repère


Un poids économique en baisse


●●● Considéré comme l’une des économies les plus libres
du monde, Hong Kong a joué un rôle crucial pour le développement
de la Chine continentale à partir des années 1980. La Région
administrative spéciale (RAS) a agi comme une véritable porte d’entrée
des investissements étrangers et comme plateforme d’exportation
des produits chinois. Aujourd’hui, nombre d’entreprises chinoises
sont cotées à Hong Kong, troisième place boursière au monde. Certes,
le poids économique relatif de la RAS a baissé. Son PIB ne représentait
plus que 2,9 % de celui de la Chine en 2017, contre 27 % en 1990,
et il a été dépassé par celui de Shenzhen en 2018. Les revenus par tête
y restent toutefois parmi les plus élevés du monde, et demeurent
trois fois supérieurs à ceux de Shenzhen.


  1. À LA UNE Courrier international — no 1504 du 29 août au 4 septembre 2019


—The Washington Post (e x t r a i t s)
Washing ton

F


ace à la Chine, Hong Kong serait dans la situa-
tion de David face à Goliath, et ne pourrait
qu’en sortir perdant. Cette opinion est cou-
rante parmi les commentateurs. Ces derniers
passent pourtant à côté d’un aspect impor-
tant des rapports de force entre la Chine et
ce territoire : l’argent privé. Les riches Chinois
continentaux – dont beaucoup sont très liés au
Parti communiste – risquent de perdre beaucoup
d’argent si Hong Kong sombre dans le chaos.
Hong Kong est depuis longtemps une place
financière mondiale de premier plan – même
si la Chine a mis en avant le rôle de Shanghai
pour la concurrencer. Eswar Prasad, spécia-
liste de la Chine et professeur d’économie à
l’université Cornell, estime qu’en raison de la
forte expansion de l’économie et des marchés
chinois, Pékin n’a plus besoin de Hong Kong.
Il en conclut que les manifestations de Hong
Kong ne mettront pas le géant à genoux.
Reste que la Région administrative spéciale
(RAS) joue un rôle essentiel dans la protection
de la richesse des personnes privées. Celles-ci
craignent à juste titre que Pékin ne confisque
une partie de cette richesse détenue sur le conti-
nent si elles tombent en disgrâce politique. Car
enfin, en Chine, le pouvoir judiciaire est sous le

contrôle de l’exécutif. Hong Kong, en revanche,
dispose d’un système juridique indépendant, qui
assure un plus grand degré de sécurité pour la
richesse privée chinoise.
Avec sa fiscalité favorable, ses réglementa-
tions laxistes et ses services financiers opaques,
Hong Kong attire beaucoup de richesse. D’après
le Financial Secrecy Index [indicateur créé en
2009 par le Tax Justice Network (TJN), ONG
phare de la lutte contre les paradis fiscaux],
Hong Kong fait partie des territoires où les
finances sont entourées du plus grand secret.
Résultat : il est difficile de savoir précisément
combien d’argent privé est déposé à Hong Kong.
Pourtant, des données empiriques nous donnent
une idée de la quantité d’argent qui y est amas-
sée et de qui le possède.
La Securities and Futures Commission
(SFC) de Hong Kong, organisme de sur-
veillance, a publié l’année dernière
une enquête qui porte sur le sec-
teur de la gestion des actifs et
de la fortune. Cette enquête
évalue à 3 100 milliards de
dollars les actifs gérés par
des sociétés financières de
Hong Kong. Comparez
cette somme avec les
8 100 milliards de dol-
lars de transactions

↓ V, 62 ans,
assureuse. Sur le tee-
shirt, la silhouette
du couple formé par
le Prix Nobel de la
paix Liu Xiabo, mort
en prison, et sa
femme.
Photo Nicola
Longobardi


  1. Quel poid s dans l’économie chinoise?


LES RICHES CHINOIS TIENNENT


À LEURS PRIVILÈGES


Hong Kong a bien des atouts pour eux : en premier lieu,
son système juridique et économique, qui permet de placer
de l’argent à l’abri des contrôles de Pékin.

transfrontalières déclarés par les banques de
Hong Kong à la Banque des règlements interna-
tionaux (BRI) et vous aurez une idée de l’impor-
tance essentielle du secteur de la gestion des actifs.
Cette enquête montre également que 533 mil-
liards de dollars, sur les 3 100 milliards d’ac-
tifs, sont placés dans des trusts qui permettent
d’empêcher de remonter au véritable proprié-
taire des actifs. Fait intéressant, la localisation
géographique des personnes ou de l’entité qui
ont établi ces trusts montre que les sources hon-
gkongaises ou chinoises représentent 331 mil-
liards de dollars, soit 60 % des 553 milliards
détenus dans des trusts de Hong Kong. Cela
signifie aussi que les riches de Hong Kong et de
Chine détiennent l’équivalent du PIB annuel
du territoire, uniquement dans des trusts.

Ces chiffres ne comprennent évidemment
pas l’argent sale, provenant par exemple de
la corruption. En 2016, l’affaire des Panama
Papers avait révélé que certaines des familles
chinoises politiquement et économiquement
influentes possédaient des structures offshore.
Mossack Fonseca, le cabinet d’avocats au cœur
du scandale, avait créé plus de 16 300 socié-
tés-écrans pour ces individus, ne serait-ce
qu’à Hong Kong.
Mais voici le gros problème : le dispositif offs-
hore de Hong Kong ne fonctionne qu’au sein
de la formule “un pays, deux systèmes”. Ce qui
rend Hong Kong si précieux pour les élites
chinoises, c’est le fait qu’il associe contrôle
politique et systèmes juridique et moné-
taire indépendants. Des juristes interna-
tionaux que j’ai interviewés pour cette
étude soulignent que le droit commer-
cial britannique est le système le plus
élaboré et prévisible pour les transac-
tions financières. En outre, Hong
Kong dispose de sa propre mon-
naie, le dollar de Hong Kong, si
bien que la RAS n’a pas à redouter
les contrôles de Pékin, contrairement
par exemple à Shanghai.
En tant qu’entité organisée, l’État
chinois, qui se confond avec le Parti,
n’a peut-être plus besoin de Hong
Kong pour stimuler le développe-
ment économique de la Chine. Cette
évolution pourrait inciter Pékin à
réagir durement aux manifestations
de Hong Kong. Toutefois, les riches
et puissantes élites de Pékin, qui com-
posent l’“État-parti”, ont des intérêts
plus complexes. Une répression violente
contre Hong Kong mettrait fin au délicat
équilibre entre indépendance et contrôle, ce
qui nuirait à leur propre prospérité.
—Andrea Binder
Publié le 21 août

LES RICHES DE HONG KONG ET DE
CHINE DÉTIENNENT L’ÉQUIVALENT
DU PIB ANNUEL DU TERRITOIRE,
UNIQUEMENT DANS DES TRUSTS.
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