Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1

  1. Courrier international — n 1504 du 29 août au 4 septembre 2019


Les taux


d’intérêt


négatifs,


une absurdité?


Épargne. Certaines banques


européennes commencent


à répercuter la baisse des taux d’intérêt


sur leurs riches clients,


dont elles facturent les dépôts.


—Financial Times Londres

O


n a appris récemment
[fi n juillet] que la banque
suisse UBS projetait d’ap-
pliquer un taux d’intérêt néga-
tif [− 0,75 %] à ses clients riches,
ceux qui ont des dépôts supé-
rieurs à 2 millions de francs
suisses [1,8 million d’euros]. Le
Crédit Suisse songe à en faire
autant, et d’autres banques pri-
vées le font déjà. Et comme la
Banque centrale européenne
devrait encore s’avancer sur le
territoire des taux négatifs dans
les semaines à venir, cette pra-
tique va probablement s’étendre
à d’autres établissements.
Dans ce monde à la Alice au pays
des merveilles, où, depuis la crise
fi nancière, on se livre à des expé-
riences de politique monétaire à
grande échelle, c’est vraiment un
saut dans l’inconnu, un plongeon
dans le terrier du Lapin Blanc.

Sciences ....... 36
Signaux ....... 37

Les taux d’intérêt négatifs
sont censés stimuler l’écono-
mie : il est moins intéressant
de détenir des liquidités, ce qui
favorise l’investissement, et le
crédit est meilleur marché, ce
qui dope la demande. Rien ne
montre cependant que la théo-
rie fonctionne vraiment en pra-
tique. Et les banquiers européens
gémissent devant la baisse de
leurs marges, comprimées par
leur réticence à répercuter les
taux négatifs sur les déposants
et par la faiblesse des taux d’in-
térêt des prêts.

Incertitude. Ralph Hamers,
connu pour son franc-parler
et accessoirement patron du
groupe bancaire ING, a prati-
quement traité la BCE d’imbé-
cile pour envisager de baisser
encore ses taux. “Ce contexte
de taux d’intérêt négatifs plonge
les consommateurs dans une telle

incertitude [...] qu’ils commencent
à économiser davantage au lieu
d’économiser moins”, a-t-il déclaré
début août.
M. Hamers n’a pas tort. Les
statistiques semblent indiquer
que, plutôt que d’emprunter
pour dépenser, les consomma-
teurs de la zone euro thésau-
risent. D’après Eurostat, le taux
d’épargne des ménages dans la
zone euro frôle 13 %, du jamais-
vu depuis cinq ans.
Un phénomène similaire
mais plus spectaculaire semble
frapper les gestionnaires de
gros patrimoines. Si UBS et le
Crédit Suisse songent à appli-
quer des taux d’intérêt néga-
tifs, c’est entre autres parce

que l’obsession de leurs riches
clients pour les liquidités com-
mence à leur poser un gros pro-
blème. UBS estime à 26 % le
volume des actifs que ses clients
détiennent en liquidités. Au
Crédit Suisse, c’est 29 %.
Ceci contredit l’idée selon
laquelle les investisseurs du
monde entier sont en quête de
rendements. En l’absence de
revenus corrects sur les obliga-
tions, ils sont censés se tourner
vers des catégories de placement
plus risquées. C’est clairement le
cas chez les investisseurs insti-
tutionnels. L’affl ux d’argent des
fonds de pension dans n’importe
quel placement promettant de
battre les obligations à taux zéro
est tellement spectaculaire que
la valeur des actions, des obli-
gations à risque, de l’immobi-
lier, du capital-investissement
et de toute une série de produits
plus abscons grimpe en fl èche


  • à tel point qu’ils apparaissent
    extrêmement vulnérables au
    moindre choc : récession amé-
    ricaine, Brexit sans accord,
    accroissement des tensions com-
    merciales sino-américaines, exa-
    cerbation du confl it entre l’Iran
    et l’Occident.
    C’est sans doute l’une des rai-
    sons qui expliquent la prudence
    des clients fortunés des banques
    suisses. D’après elles, si ceux-
    ci font l’impasse sur les rende-
    ments depuis dix ans, c’est parce
    qu’ils craignent de voir le krach
    de 2008 se reproduire lors de la
    prochaine récession. Ils ont peut-
    être raison d’hésiter à investir
    alors que le marché est au plus
    haut en ce moment.


Préjugés. Le phénomène s’ex-
plique peut-être aussi par des
préjugés régionaux. Les clients
ultrariches des banques suisses,
qui évoluent dans un environne-
ment économique européen ané-
mique, sont plus prudents que les
Américains, lesquels demeurent
optimistes. Certaines banques
font ainsi état d’un goût du risque
bien différent. Les clients de
Raymond James, un gestion-
naire de fortune américain, sont
avides de gros retours sur inves-
tissements et les liquidités ne
représentent que 6 % de leurs
actifs aux États-Unis et moins
de 5 % au Royaume-Uni.
Qui peut dire quelle position
est la bonne? Le ralentissement
viendra, mais ce sera peut-être
dans un certain temps. Et “le

↙ Dessin de Walenta,
Pologne.

Planquer de l’argent
dans un coff re
commence à avoir
du sens.

trans-


versales.


économie

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