Courrier International - 29.08.2019

(Brent) #1

  1. 7 JOURS Courrier international — no 1504 du 29 août au 4 septembre 2019


BRÉSIL

ARGENTINE

CHILI

BOLIVIE

URUG.

PAR.

VENEZUELA
COLOMBIE GU.SU.GU.FR

ÉQU. PÉROU

Équateur

20° S

30° S

SOURCE : FIRMS THE FIRE INFORMATION FOR RESOURCE MANAGEMENT SYSTEM, FIRMS.MODAPS.EOSDIS.NASA.GOV

Chaque point rouge correspond à un territoire de 1 km^2
dans lequel ont été détectés un ou plusieurs incendies actifs
entre le samedi 24 août à minuit et le lundi 26 août à 14 heures.

Écorégion de la forêt amazonienne

Cette carte s’appuie sur le Fire
Information for Resource
Management System (Firms),
un service de la Nasa qui
diffuse des données relatives
aux incendies dans les trois
heures suivant le passage
des satellites transportant les
instruments qui permettent ce
type de suivi. On y voit que la
moitié de la surface de la forêt
amazonienne – dont la majeure
partie se trouve au Brésil


  • est touchée par des feux.
    Le 25 août, “l’Institut national
    de recherche spatiale (INPE)
    du Brésil avait recensé plus
    de 41 000 foyers d’incendie
    en Amazonie brésilienne depuis
    le début de l’année, contre
    22 000 à la même période
    l’année dernière”, précise
    Science. Et si l’on prend en
    compte l’ensemble du pays,
    l’augmentation du nombre de
    feux de forêt à cette date est
    de 80 %. Cette impressionnante
    progression “n’est que de 7 %
    supérieure à la moyenne des
    dix dernières années”, tempère
    cependant, dans Forbes, Dan
    Nepstad, l’un des spécialistes
    de la forêt amazonienne.
    2019 représente tout de même
    un record depuis 2010, quand


le phénomène météorologique
El Niño avait provoqué
une sécheresse intense
et que l’INPE avait recensé
58 000 feux à la même
période. Science insiste : “Cette
fois, les anomalies climatiques
ne peuvent pas expliquer
l’augmentation, affirment
les scientifiques.” “La situation
serait bien pire si on était
confronté à une autre année
de sécheresse”, poursuit
Paulo Moutinho, chercheur
à l’Amazon Environmental
Research Institute (Ipam).
Pour les scientifiques,
il n’y a aucun doute : ces
incendies sont le résultat de
la déforestation. “Après avoir
abattu les arbres d’une parcelle
et évacué le bois exploitable,
les défricheurs allument des
feux pour éliminer la végétation
restante, explique Science.
Tous les feux ne sont pas
le produit d’un déboisement
illégal. Il est courant qu’on
ait recours aux flammes pour
nettoyer des pâturages envahis
par la végétation, se débarrasser
de résidus de récolte ou
défricher les bordures des
routes. Mais dans ces cas,
les feux sont moins intenses.”

Le président
Jair Bolsonaro ne
consulte aucun
conseiller et méprise
le savoir des experts.

La déforestation


à l’origine des flammes


↙ Dessin de Falco,
Cuba.

28,37 milliards de dollars
[25,54 milliards d’euros].
Le président Jair Bolsonaro gère
les intérêts brésiliens comme s’il
ignorait tout cela ou comme si,
connaissant les chiffres, il était
incapable de les comprendre.
Nulle surprise au bout du compte,
puisque sa méconnaissance de
l’économie brésilienne, de la grande
politique, de la diplomatie et des
institutions a été souvent mise
en évidence. Après vingt-huit ans
passés à la Chambre des dépu-
tés, il semble avoir une connais-
sance limitée de la Constitution
et du processus législatif, au point
d’essayer de substituer des décrets
aux lois et de modifier les règles
en matière d’adoption de mesures
provisoires [qui ont force de loi en
cas d’urgence].
L’annulation d’une de ces
mesures provisoires par la Cour
suprême fédérale a été assortie
d’un commentaire d’un magis-
trat de cette institution, Celso
de Mello, pour qui le président
“minimise dangereusement” l’im-
portance de la Constitution et
“dégrade l’autorité du Parlement
brésilien”. “Ce magistrat de la Cour
suprême m’a taillé un costard”, s’est
plaint Bolsonaro, après avoir pris
le commentaire pour une attaque
personnelle.
Tous ces éléments – le piéti-
nement des règles, l’ignorance
économique, la méconnaissance
des intérêts commerciaux du
pays, la réduction de la politique
à sa dimension personnelle, le


volontarisme et le détournement
des mesures administratives –
sont reliés. Le président trouve que
ceci ou bien cela, et prend alors ses
décisions, ou bien – dans le meil-
leur des cas – fait des déclarations
maladroites et désastreuses. Il ne
consulte aucun conseiller, méprise
le savoir des experts et préfère
s’entourer de ceux qui vont tou-
jours dans son sens et applau-
dissent à chacune de ses paroles.
Il pense qu’être à la tête du gou-
vernement l’autorise à donner et à
défaire des ordres selon ses inclina-
tions, ses croyances personnelles
et ses impulsions. Il fait fi de l’or-
ganisation et de la hiérarchie, en
quoi il semble avoir retenu bien
peu de chose de son passage dans

l’armée. En déclarant que les chefs
de la police fédérale étaient subor-
donnés à sa personne, il a désa-
voué le ministre de la Justice et
foulé aux pieds l’organigramme
du gouvernement.
“Organigramme” est un mot
de cinq syllabes. C’est un mot un
peu barbare, mais fondamental
pour toute entité bureaucratique,
comme une entreprise moderne,
un grand club de football, un
orchestre, une armée ou encore
un gouvernement occidental. Et

Bolsonaro continuera très proba-
blement à ignorer ce mot tant que
ses ministres lui seront soumis et
se plieront aux caprices et rebuf-
fades du chef.

Hit l e r. Les concurrents et les
pays étrangers opposés à un
accord commercial avec le Brésil
seront contents. Il y a encore, dans
l’Union européenne, des résis-
tances au pacte de libre-échange
avec le Mercosur [signé le 28 juin,
mais qui devra être ratifié par les
Parlements des pays membres
de l’UE]. Revenir sur cet accord
serait compliqué, mais Bolsonaro y
contribue fortement. Après tout, si
les choses tournent mal, il pourra
toujours accuser la gauche ou
les ONG. Même s’il ne les a pas
explicitement accusées, le prési-
dent continue d’insinuer que les
ONG seraient responsables des
récents incendies en Amazonie.
Sans preuves lui non plus, Hitler
avait attribué aux communistes
l’incendie du Parlement allemand
en février 1933. Peu après, des par-
lementaires communistes avaient
été mis en prison, et leur parti
déclaré hors la loi. Querelles de
gauchistes, diraient Bolsonaro et
son ministre des Affaires étran-
gères. Le nazisme, selon eux, fut
un mouvement de gauche. C’est
ce qu’ils ont conclu après avoir
visité le musée de l’Holocauste,
en Israël. Il doit bien y en avoir
pour être du même avis.
—Rolf Kuntz
Publié le 25 août

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