Les Echos - 21.08.2019

(lily) #1

08 // SÉRIES D'ÉTÉ Mercredi 21 août 2019 Les Echos


Larry Page, Eric Schmidt et les


fabuleuses richesses de l’espace


Malgré des parrains prestigieux, la société Planetary Resources, créée par un trio d’ingénieurs de haut vol convaincus
que les astéroïdes regorgeant de métaux précieux sont l’avenir de la Terre, va échouer à transformer le rêve en réalité.

I


l y a foule à Seattle en ce 24 avril 2012.
Investisseurs, journalistes, spécialis-
tes de l’aéronautique et de l’espace... Ils
sont venus assister à une conférence
de presse peu ordinaire : celle qui doit
annoncer la naissance d’une compagnie aux
activités elles aussi peu banales. Son nom :
Planetary Resources. Sa spécialité : l’exploi-
tation des ressources minières de l’espace.
Les promoteurs du projet, à dire vrai, ont
parfaitement préparé leur affaire.
Quelques jours plus tôt, le 20 avril, une
webcam publique a commencé à lever le
voile sur les activités de la future entreprise,
suscitant un réel intérêt. L’opération a sur-
tout permis de rendre public le nom de
quelques-uns des « grands » investis-
seurs qui ont décidé de s’embarquer
dans l’aventure. Parmi eux, Larry Page,
fondateur et PDG de Google, Eric Sch-
midt, alors président exécutif du con-
seil d’administration de Google, le
réalisateur et producteur de films
James Cameron, et le milliardaire
Ross Perot Jr. Des « poids lourds » du
capitalisme américain dont la pré-
sence au tour de table de Planetary
Resources constitue un incontesta-
ble gage de sérieux...
Exploiter les ressources minières
de l’espace : une idée folle aux allures
de film de science-fiction? Pas pour
les créateurs de Planetary Resources!
Tout a vraiment commencé en 2009.
Cette année-là, Peter Diamandis, Eric C.
Anderson et Chris Lewicki créent une
entreprise baptisée « Arkyd Astronau-
tics ». Les trois compères se passionnent
depuis longtemps pour la conquête et
l’exploitation de l’espace.
Diplômé du MIT, Peter Diamandis a déjà
fondé six entreprises dans ce domaine, dont
la plus connue est Space Adventures, créée
en 1998 pour développer le tourisme spatial.
Ancien pilote de l’US Air Force et diplômé en
ingénierie aérospatiale, Eric Anderson
figure lui aussi parmi les fondateurs de
Space Adventures. Quant à Chris Lewicki,
c’est un ingénieur de haute volée venu de la
Nasa au sein de laquelle il a conçu et super-
visé plusieurs programmes spatiaux. Le pro-
jet Arkyd – le nom a été choisi pour ne pas
donner d’indices sur son activité – est sim-
ple : trouver de l’eau et des métaux précieux
dans l’espace. Trois ans durant, la compa-
gnie semble pourtant végéter : elle ne com-
munique pas et ne développe aucune acti-
vité, sinon de bien vagues « services
d’ingénierie ». Difficulté à trouver des inves-
tisseurs prêts à s’engager dans une aventure
aux allures de pari fou? Manque de temps
des fondateurs, accaparés par de multiples
projets? Impossibilité de trouver des parte-
naires industriels, notamment ceux qui
construiront et lanceront les engins
qu’A rkyd entend placer en orbite autour de
la terre? Sans doute un peu de tout cela.


Redémarrage
En réalité, l’entreprise manque de soutiens,
de gros investisseurs qui lui apporteront non
seulement de l’argent mais aussi de la crédi-
bilité. C’est tout l’enjeu du « redémarrage »
d’avril 2012. Car c’est bien de cela qu’il s’agit :
nouveau nom – c’e st alors qu’Arkyd Astro-
nautics devient Planetary Resources –, nou-
velles méthodes de communication, nou-
veaux actionnaires... Il a fallu trente-six mois
à Diamandis et à ses associés pour mûrir
leur grande idée, peaufiner leur business
plan, se livrer à des études minutieuses sur la
faisabilité de leur projet et, surtout, pour
constituer leur tour de table. Que Larry Page
ait répondu à l’appel n’est guère surprenant.
Le fondateur de Google est un « rêveur qui


réalise » comme le
dira un journaliste. Il
aime les défis impossibles,
les projets auxquels personne ne
croit et les « innovations de rupture ». Des
voitures automatiques aux lunettes de réa-
lité augmentée en passant par les neurones
artificiels, il en a déjà expérimenté beau-
coup. Eric Schmidt aussi aime les défis tech-
niques. Et il a de l’argent à placer. Quant à
James Cameron, la science-fiction coule lit-
téralement dans ses veines. De « Termina-
tor » à « Aliens, le retour » en passant par
Abyss ou « Avatar », il a signé quelques-uns
des plus gros succès du genre.

Outre une fascination pour les défis en
apparence impossibles, Page, Schmidt et
Cameron partagent une même conviction :
la planète Terre court un risque majeur en
raison de la surexploitation de ses ressour-
ces. Son avenir, comme celui de l’humanité
toute entière, passe par l’espace. C’est ce que
s’évertue à expliquer Peter Diamandis
devant la presse, lors de la conférence de

presse du 24 avril 2012, même si les journalis-
tes se focalisent bien davantage sur les
« grands actionnaires » que sur les promo-
teurs historiques du projet. Ce jour-là à
Seattle, chacun peut découvrir les ambitions
qui animent le trio Diamandis-Anderson-
Lewicki. « Il existe environ 16.000 astéroïdes
proches de la Terre. Ils sont relativement faci-
les d’accès. Nombre d’entre eux abritent des
ressources considérables. Ils sont les fruits que
notre Système solaire a mis à notre portée »,
explique le premier. Et le « serial entrepre-
neur » de l’espace de citer les métaux du
groupe du platine (ruthenium, rhodium,
palladium, osmium ou iridium) qui, selon,
lui, permettront « de produire à l’infini les
téléviseurs, ordinateurs et défibrillateurs »
dont le monde aura besoin.
« Une roche de 500 mètres carrés contient
autant de métaux du groupe du platine que
tous ceux que les hommes ont extraits des
entrailles de la Terre depuis les débuts de leur
histoire », précise encore Diamandis. Mais
les métaux ne sont pas les seules ressources
disponibles. Il y a aussi l’eau, dont notre pla-
nète manquera tôt ou tard. Les dirigeants de
Planetary Resources estiment à 2 trillions de
tonnes – soit 2 milliards de milliards de ton-
nes – les réserves en eau de l’espace proche.
Un chiffre que nombre de scientifiques con-
testent mais qui a le mérite de frapper les

esprits. Sur la base
de ces constats géologi-
ques, Planetary Resources se
fixe deux objectifs : il s’agit d’abord
de repérer les ressources en eau et en
métaux qui se trouvent dans l’espace puis de
lancer leur exploitation minière. Une fois
collectées, ces richesses seront vendues sur
Terre, les profits générés devant alors per-
mettre de réaliser le deuxième objectif :
amorcer la colonisation de l’espace. A terme,
Planetary Resources ambitionne de créer de
vastes complexes miniers et résidentiels qui
permettront d’assurer la survie de l’espèce
humaine. Car, comme le souligne sans rire
un journaliste de Business Insider présent à
Seattle, « notre soleil explosera dans quelques
milliards d’années et il n’est pas trop tôt pour
se préoccuper du problème ».

Nanosatellites
Des centaines et des centaines de milliards,
et sans doute bien plus encore! Tels sont les
montants, proprement astronomiques, qu’il
faudra mobiliser si l’on veut un jour réaliser
cette étonnante ambition où le rêve et l’idéal
ont autant de part que la réalité. Les fonda-
teurs de Planetary Resources le savent bien.
Ils savent que la Nasa a prévu de dépenser
1 milliard de dollars pour ramener sur Terre
un simple échantillon de 60 grammes pré-
levé sur un astéroïde évoluant non loin de la
Terre. Alors des complexes miniers de
grande e nvergure... I l leur faut donc
commencer modestement, développer
dans un premier temps de petits satellites
qui seront chargés de découvrir et de sélec-

tionner les astéroïdes porteurs de ressour-
ces. Ces objets seront expédiés dans l’espace
grâce à des accords passés avec des sociétés
spécialisées dans la réalisation de satellites
de télécommunications, de sondes spatiales
ou de lanceurs légers et dans leur placement
en orbite basse. Financièrement, l’entreprise
a les moyens financiers de développer cette
activité... Elle le fait d’ailleurs dès 2013 avec
l’Arkyd Series 100, un nanosatellite de 11 kilo-
grammes doté d’un télescope. Mais la pre-
mière tentative de lancement échoue, le lan-
ceur Antares de la société Orbital Sciences
Corporation utilisé pour l’opération explo-
sant en vol en octobre 2014. La deuxième
tentative sera la bonne : le 16 juillet 2015,
après avoir passé trois mois accroché à la
Station spatiale internationale, le satel-
lite conçu par Planetary Resources est
placé avec succès en orbite. Ce succès
permet d’attirer de nouveaux investis-
seurs. En 2016, le Luxembourg inves-
tit ainsi 25 millions d’euros dans la
compagnie ; 20 millions de dollars
supplémentaires sont levés auprès
d’autres investisseurs. De nouveaux
satellites, plus performants, sont
créés, comme les Arkyd 200 et 300 :
ils sont capables de déterminer les
éléments chimiques présents dans le
sous-sol d’un astéroïde. En jan-
vier 2018, un lanceur indien parvient à
mettre en orbite un l’un de ces engins.
Un deuxième succès pour Planetary
Resources qui annonce du coup le lance-
ment, pour 2020, de la première campa-
gne de prospection spatiale. Le rêve des
nouveaux pionniers de l’espace est en train
de devenir réalité. Il finira par se fracasser

sur la réalité... En mars 2018, la société
annonce qu’elle annule toutes ses opéra-
tions. En cause : le désistement d’un groupe
international du secteur minier qui avait
prévu d’entrer au capital et qui, finalement, y
a renoncé. Ayant brûlé l’essentiel de son
capital et ne réalisant pas un cent de chiffre
d’affaires, Planetary Resources n’a désor-
mais plus les moyens de son développe-
ment. Remettre au capital? Larry Page, Eric
Schmidt et James Cameron y pensent sûre-
ment. Mais ils ne le font pas : six ans après sa
création, l’entreprise a beau avoir remporté
d’incontestables succès, elle est très loin du
but qu’elle s’était fixé. L’ampleur des investis-
sements fait peur. E n octobre 2018, Planetary
Resources est racheté par ConsenSys, un
spécialiste de la blockchain qui souhaite
poser des jalons pour une future exploita-
tion de l’espace. La fin d’une grande idée?
Pas si sûr... Partout dans le monde, aux Etats-
Unis, en Europe, en Inde ou en Chine,
l’espace fait en effet figure de nouvelle fron-
tière. Elle attire des capitaux, mobilise des
compétences, pousse à la création de nou-
velles entreprises ; l’initiative privée talonne
désormais les grands programmes publics.
Planetary Resources a posé les jalons d’une
vision économique de l’espace et développé
des engins innovants. Des avancées dont nul
ne doute qu’elles auront un avenir...

A terme, Planetary
Resources ambitionne de
créer de vastes complexes
miniers et résidentiels qui
permettront d’assurer la
survie de l’espèce humaine.

Page, Schmidt et Cameron
partagent une même
conviction : la planète Terre
court un risque majeur
en raison de la
surexploitation
de ses ressources.

parTristanGaston Breton
illustration :Pascal Garnier

6
Demain Le rêve princier
de Basil Zaharoff

SÉRIED’ÉTÉ
RÊVES DE MILLIARDAIRES

12/ 19 12/ 19

Free download pdf