Saveurs - 09.2019

(coco) #1

Cet ancien bistrotier parisien est


redescendu dans son Aveyron


d’origine pour devenir vigneron.


Il ne le regrette pas et, vu


la qualité de ses vins, on ne peut


qu’approuver sa reconversion!


Texte Pierrick Jégu. Photos Louis-Laurent Grandadam.

Travail et patience seront nécessaires pour obtenir de ces vignes récemment
plantées un vin satisfaisant, un nouveau défi qui ne fait pas peur à Nicolas.

SAVEURS No^258 - 107


P


our expliquer son histoire, Nicolas Carmarans raconte :
« À force d’aller rencontrer des vignerons dans leur
domaine, de voir leur cadre de vie, l’atmosphère, les
paysages, ça donne des idées. » Sur le vin, il en connais-
sait déjà un rayon avant d’en faire lui-même. Depuis 1994, il en ser-
vait des canons, des bons, des bio et des nature, au zinc du Café de
la Nouvelle Mairie, près du Panthéon, à Paris, pour escorter de jolis
plats du jour. Et quand il s’est décidé à se lancer dans l’aventure,
alors que nombre de néo-vignerons font le tour de France afin de
trouver vignoble à leur convenance, ce petit-fils de bougnat et fils
de bistrotiers « montés à la capitale » ne s’est pas posé mille ques-
tions : ce serait l’Aveyron et nulle part ailleurs. Plus exactement le
fief des Carmarans, du côté de Campouriez, à une heure au nord
de Rodez et quelques kilomètres à l’ouest de l’Aubrac.
Plutôt que d’envoyer valser la vie urbaine d’un coup, façon tête brû-
lée, Nicolas a préféré flirter avec la vigne avant de l’épouser pour de
bon. En 2003 donc, débuts prudents sur une petite parcelle de 30 ares
pour se frotter à la réalité de la profession, sans lâcher la Nouvelle
Mairie, au prix d’allers-retours qui finirent par cesser en 2007-2008.
Nicolas Carmarans était donc devenu vigneron! Il l’est toujours.
Aujourd’hui, son terrain de jeu s’étend sur 2,6 hectares. Pas d’autre
domaine viticole à l’horizon immédiat de ce petit bout d’Aveyron
sauvage, quasiment montagneux, creusé de vallées plus ou moins
étroites et profondes. Autrefois pourtant, les coteaux étaient couverts
de vignes enracinées sur des terrasses – localement appelées « coul-
dates » – dessinées par des murets de pierres sèches. « Beaucoup
furent abandonnées après le gel dévastateur de 1956 », raconte
Nicolas, désastre auquel il faut ajouter les effets de l’exode rural.

Hors des conventions et des certifications
Direction son terroir plein sud appelé Mauvais Temps, accroché à
480 mètres d’altitude. Pourquoi ce drôle de nom inscrit depuis des
lustres sur le cadastre? Parce que par mauvais temps, justement,
cette vigne bien ventilée, aux sols légers et drainants, est la seule
où le vigneron peut poser le pied pour aller travailler. De là-haut, le
point de vue sur les environs se révèle spectaculaire. Pour tromper
la raideur de la pente, les vignes sont plantées en terrasses sur ces
arènes granitiques (granit décomposé) qui se prêtent idéalement

à la culture de cépages blancs. Le chenin, en l’occurrence, à la base
de la cuvée Selves. Celle-ci, absolument remarquable, est portée
par une belle expression minérale. Pour y parvenir, encore faut-il
faire le nécessaire pour permettre au terroir de s’exprimer dans
les bouteilles! Ne surtout pas lui infliger la violence des produits
chimiques, désherbants et engrais, qui détruisent toute biodiversité
dans la parcelle et la relation de la plante à son ancrage. « Il faut
bichonner ses sols », dit Nicolas, qui nourrit celui-ci de compost
ou de résidus de presse, qui le paille aussi aux jours chauds pour
garder un peu d’humidité disponible pour la plante. Ces gestes-
là, comme le traitement des vignes à l’homéopathie – en plus du
cuivre –, vont à rebours de la viticulture conventionnelle, dans le
sens d’une démarche paysanne nourrie de l’observation attentive
des vignes. Bio pur et dur, Nicolas Carmarans refuse pourtant
de demander la certification officielle : « Je ne vais pas payer les
contrôles pour être certifié alors qu’on ne demande rien aux gars
qui empoisonnent les sols. » Un vrai problème : ceux qui travaillent
en bio sont sommés de prouver qu’ils œuvrent dans le bon sens
alors qu’on laisse tranquille les « conventionnels », pourtant peu
soucieux d’embrasser des pratiques respectueuses...

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