Saveurs - 09.2019

(coco) #1

F


ranca, la cuisinière de Da Nedo, le plus vieux
restaurant de Portoferraio, qualifie les plats
qu’elle sert dans son établissement de stupida,
ma difficile. Avec ces mots, elle a résumé toute la
cuisine de l’île d’Elbe souvent qualifiée de cucina povera.
La « cuisine pauvre » paraît toujours simple, voire stu-
pide donc, mais elle n’est pas simple à réaliser. Elle est
faite d’habitudes et de ressentis. D’ailleurs, lorsque nous
demandons sa recette de spaghettis ou celle de sa friture
de calamars, Franca s’affole. « Ça fait cinquante ans que je
cuisine, je ne mesure jamais, je fais tout à l’œil », répond-
elle. Face à notre insistance, elle nous invite en cuisine
car le seul moyen de noter sa recette, c’est de la voir faire.
Elle sort quelques anneaux de calamars et les trempe tour
à tour dans la farine, puis dans l’œuf battu, mais plus
que de quantités, il est en effet question ici de capter un
savoir-faire : « Vous les passez rapidement dans la farine
puis vous versez un peu d’œuf. Les calamars doivent res-
ter secs. Ensuite vous les cuisez dans un bain de friture.
Regardez comment ils se comportent dans l’huile. » On
note, tout en sachant que jamais, au grand jamais, le résul-
tat à la maison ne pourra être identique. Et c’est un des
grands mystères de la cuisine, cent fois constaté, auquel
nous sommes encore confrontés : aucun grammage, aussi
précis soit-il, ne pourra égaler un tour de main.

La fortune du peu
A fortiori sur cette île qui, avec peu de produits, a su
développer une magnifique cuisine faite d’astuces et
d’influences. Elle est marquée par la Toscane voisine,
région à laquelle l’île appartient, mais encore par les
saveurs espagnoles, provençales, juives, maghrébines...
Sans oublier l’histoire et la géographie locales. L’île, qui
s’étend sur moins de 30 kilomètres de long, connaît encore
aujourd’hui des variantes culinaires d’est en ouest, du
nord au sud. En sa partie orientale, la plus longtemps
préservée du tourisme, on mange le stoccafisso, un plat à
base de morue séchée. Pendant longtemps, les mines de
fer ont été la principale ressource économique de l’île. Les
mineurs emportaient ce plat avec eux, tout comme la sbur-
rita (qui rappelle, au moins dans l’appellation, notre bour-
ride) une soupe de morue salée, accommodée avec de l’ail,
du piment et de la nepitella, qui n’est autre que le calament
népéta (ou nepita, en corse), aux puissantes saveurs men-
tholées, le tout posé sur une tranche de pain rassis et addi-
tionné de bouillon. La sburrita est particulièrement bonne à
Le Fornacelle, un petit restaurant situé sur la côte qui

Le restaurant Da Nedo, à Portoferraio, est réputé pour ses fritures et ses spaghettis,
et pour les petits messages personnalisés du patron sur les additions...

La plage de la Biodola est une
des plus belles de l’île : un sable
fin et doré, des eaux cristallines
et une végétation méditerranéenne
qui descend jusqu’à la mer.

VOYAGER L’île d’Elbe


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