Saveurs - 09.2019

(coco) #1

Depuis 2015, Nadia, fille de la


cheffe Reine Sammut, a repris


la célèbre Auberge La Fenière,


où elle a entièrement revu la


carte à son image.


Texte Emmanuelle Jary. Photos Marie-José Jarry.

La cheffe a souhaité
une salle de restaurant
contemporaine
et lumineuse pour
accueillir ses clients.

SAVEURS No^258 - 69


N


adia Sammut est devenue cuisinière car elle ne pouvait
rien manger. Porteuse de la maladie cœliaque depuis
sa naissance, elle ne digérait pas le gluten, les produits
laitiers, ni aucun aliment gras. Elle garde des souvenirs
horrifiés du saumon de l’Adour que ses parents dégustaient avec
des amis au Pays basque. Les vacances dans cette famille de gour-
mands donnaient lieu à des ripailles géantes, au cours desquelles
Nadia se réfugiait dans sa chambre. L’odeur même des gibiers, des
foies gras et des plats riches en sauce pouvait lui faire tourner l’œil.
Un vrai casse-tête quand on est fille et petite-fille de restaurateurs.
Et les choses ont continué ainsi pendant des années, accompagnées
de gros coups de fatigue et de douleurs articulaires : « Tu crois que
tu es à la fin de ta vie », répète-t-elle souvent pour décrire son état
d’alors, en fin de repas. Faisant fi de la maladie, Nadia Sammut a
tenté de manger comme tout le monde jusqu’à ce que son corps
crie au secours. Et comme le mental et le physique vont de pair, en
état d’immunodépression, elle était aussi au plus bas moralement.
« Ça m’a alertée car je ne suis pas ainsi de nature », poursuit-elle.
À 30 ans donc, elle tombe. Au propre comme au figuré. « Après
les repas, j’étais tellement mal que je restais alitée pendant deux
jours. Mon corps était en bout de course. » Il lui a fallu deux ans
pour se remettre, comprendre et réagir. Elle aurait pu s’en tenir au
riz blanc et au poisson grillé ad vitam aeternam et se détourner de
la cuisine pour s’intéresser à plein d’autres choses. Car Nadia est
d’un tempérament curieux, passionné et éclectique. Mais on ne se
défait pas ainsi d’une longue tradition familiale.

Retour aux sources
Son père, Guy, avait ouvert un restaurant au cœur du village de
Lourmarin, dans le Vaucluse, au milieu des années 1970. « Depuis
que j’ai 11 ans, je suis passionné par la restauration alors que mes
deux frères sont des intellos », explique Guy. Sa mère décide de
le seconder et se met aux fourneaux tandis que le fils est en salle.
C’était un spectacle tous les jours avec ce guitariste, passionné de
rock and roll, qui aime le contact humain. Rapidement, Reine,
future épouse de Guy, étudiante en médecine, les rejoint et met la
main à la pâte. À 24 ans, formée par sa belle-mère d’origine tuni-

sienne, qui lui a appris à faire la mousse au chocolat, la tarte Tatin et
le couscous, Reine oublie ses études de médecine et reprend seule
les fourneaux du restaurant. Petit à petit, elle façonne la carte à son
image en travaillant davantage des produits locaux et en créant
des recettes originales. « Je lisais des livres d’histoire et de cuisine.
J’ai essayé de nouveaux plats, et Guy disait à tout le monde que
j’étais la meilleure cuisinière du monde, donc ça me motivait. »
Guy poursuit : « On servait des carpaccios de saint-pierre à la
vanille. À l’époque, c’était incroyable, tout comme les ravioles de
saint-jacques au safran. »
Au milieu des années 1990, face au succès de l’établissement, les
places viennent à manquer, et le couple refuse régulièrement des
couverts. Il transfère alors le restaurant à 3 kilomètres au sud de
Lourmarin, en pleine campagne, dans une ancienne ferme où ils
font des travaux. Et c’est reparti pendant vingt ans, jusqu’à ce que
Nadia arrive en cuisine. « Si notre fille n’avait pas repris, on aurait
vendu. Pendant quarante-cinq ans, on a travaillé vingt heures

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