Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1
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intention. Certains actes d’abord volontaires
deviennent bientôt habituels, finissent par
devenir héréditaires, et même peuvent alors
se produire malgré l’opposition de la volonté.
Bien qu’ils révèlent souvent l’état de l’esprit, un
pareil résultat n’était, à l’origine, ni désiré ni
prévu. Il n’est pas jusqu’à certaines phrases,
comme celle-ci par exemple : « Certains mouve-
ments servent comme moyens d’expression »,
qui ne prêtent à la confusion, en ce qu’elles
semblent dire que tel était à l’origine le but de
ces mouvements. Or il n’en est rien probable-
ment, au moins dans la très grande majorité des
cas ; les mouvements en question ont toujours
été, au début, ou des actes directement utiles, ou
le produit indirect de l’excitation du senso-
rium. Un petit enfant peut crier, soit avec
intention, soit instinctivement, pour montrer
qu’il a besoin de nourriture ; mais il n’a pas le
moindre désir ni la moindre intention de
donner à ses traits l’expression particulière
qui indique si clairement le besoin ; cependant
quelques-unes des formes les plus caracté-
ristiques de l’expression, chez l’homme,
dérivent de l’action de crier, ainsi qu’il a été
expliqué précédemment.
Tout le monde admet que la plupart de
nos actes expressifs sont innés ou instinctifs ;
mais c’est une autre question de savoir si nous
possédons la faculté instinctive de recon-
naître ces actes. On le croit généralement ;
cependant cette opinion a été énergique-
ment combattue par M. Lemoine. D’après les
affirmations d’un observateur digne de toute


confiance, les singes apprennent bien vite à
d i s t i n g u e r, n o n seulement les intonations
de la voix de leurs maîtres, mais encore
l’expression de leur visage. Les chiens dis-
tinguent aussi très bien la différence qui
existe entre des gestes ou des intonations
caressantes et des gestes ou des intonations
menaçantes ; ils semblent même reconnaître
des accents compatissants ; mais, autant que
j’ai pu m’en rendre compte après des épreuves
répétées, ils ne comprennent aucun des mou-
vements du visage, à l’exception du sourire et
du rire, qu’ils m’ont paru distinguer dans
quelques cas au moins. Cette science partielle
des singes et des chiens n’est assurément pas
instinctive, mais provient probablement de
l’association que ces animaux ont dû établir
entre nos mouvements et le traitement bon
ou mauvais que nous leur faisons subir. De
même, il est certain que les enfants peuvent
apprendre de bonne heure à distinguer les
mouvements de l’expression chez leurs aînés,
comme les animaux le font chez les hommes.
Lorsque l’enfant, d’ailleurs, pleure ou rit, il se
rend compte, d’une manière générale, de ce
qu’il fait et de ce qu’il éprouve ; de sorte qu’il
ne lui faut qu’un très petit effort de raison
pour comprendre ce que les pleurs et le rire
signifient chez les autres. Mais il s’agit de
savoir si l’enfant apprend à connaître l’expres-
sion uniquement par l’expérience, grâce à la
puissance de l’association et de la raison.
Si l’on admet que la plupart des mou-
vements de l’expression ont été acquis
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