Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1

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et de leur langage figuré à l’aide des doigts. Au
contraire, chaque mouvement inné ou hérédi-
taire de l’expression paraît avoir eu quelque
origine indépendante et naturelle. Mais, une
fois acquis, ces mouvements peuvent très bien
être employés d’une manière consciente et
volontaire comme moyens de rendre la pensée.
Si l’on observe attentivement des enfants,
même très jeunes, on constatera qu’ils s’aper-
çoivent de très bonne heure que les cris les
soulagent, et qu’ils agissent bientôt en consé-
quence volontairement. Il n’est pas rare de
voir une personne relever volontairement ses
sourcils pour exprimer de la surprise, ou sou-
rire pour témoigner une satisfaction et une
approbation feintes. Dans telle circonstance
donnée, nous désirons faire certains gestes
dont l’expression soit manifeste, évidente.
C’est ainsi que nous élevons au-dessus de la
tête nos bras étendus, les doigts étant forte-
ment écartés, si nous voulons indiquer la sur-
prise ; que nous haussons les épaules jusqu’aux
oreilles si nous désirons montrer que nous
ne pouvons ou ne voulons pas faire quelque
chose. La tendance à accomplir ces mouve-
ments s’affermira et s’augmentera d’autant
plus qu’on s’y exercera plus fréquemment
d’une manière volontaire, et leurs effets pour-
ront devenir héréditaires.
Il serait peut-être intéressant de chercher
si certains mouvements, qui étaient dans l’ori-
gine particuliers à un seul ou à un petit nombre
de sujets pour exprimer un état d’esprit déter-
miné, n’ont pas pu se transmettre à d’autres

individus, et devenir finalement universels par
l’effet de l’imitation raisonnée ou inconsciente.
Il est certain qu’il existe chez l’homme, indé-
pendamment de la volonté consciente, une
forte tendance à l’imitation. On la constate à un
degré extraordinaire dans certaines affections
cérébrales, en particulier au commencement
du ramollissement inflammatoire du cerveau ;
c’est ce qu’on a nommé le symptôme de l’écho.
Les malades atteints de ces affections
imitent, sans les comprendre, les gestes les
plus absurdes exécutés en leur présence, et
répètent chaque parole prononcée près d’eux,
même dans une langue étrangère. Cette ten-
dance se retrouve chez les animaux : le chacal
et le loup ont appris à imiter l’aboiement du
chien, sous l’influence de la domestication.
Comment s’est produit l’aboiement du chien
lui-même, qui exprime tout à la fois des émo-
tions et des désirs différents, et qui est si
remarquable en ce qu’il n’a été acquis que
depuis que cet animal vit à l’état domestique,
et non moins remarquable par sa transmission
héréditaire à des degrés inégaux dans les diffé-
rentes races? Nous l’ignorons ; mais ne nous
est-il pas permis de supposer que l’imitation
entre pour quelque chose dans l’acquisition de
cette faculté, et la longue et étroite familiarité
du chien avec un animal aussi loquace que
l’homme ne nous en rend-elle pas compte?
Dans les remarques qui précèdent et dans
le cours de ce volume, j’ai souvent éprouvé
une grande difficulté pour faire une applica-
tion exacte des mots : volonté, conscience,
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