Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1
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conscience d’un effort d’analyse de notre part.
Je ne crois pas que personne puisse décrire
nettement une expression maussade ou
maligne ; cependant des observateurs en
grand nombre déclarent unanimement que
ces expressions sont reconnaissables chez
les diverses races humaines. Presque tous
ceux à qui j’ai montré la photographie de
M. Duchenne représentant le jeune homme
aux sourcils obliques ont déclaré immédiate-
ment qu’elle exprimait le chagrin ou un senti-
ment analogue ; il est probable pourtant que
pas une de ces personnes – une sur mille peut-
être –, n’aurait pu d’avance donner une signi-
fication précise à l’obliquité des sourcils
accompagnée du froncement de leurs extré-
mités internes, non plus qu’aux rides rectan-
gulaires du front. Il en est de même d’un grand
nombre d’autres expressions qui m’ont fourni
l’occasion d’éprouver combien il faut se don-
ner de peine pour montrer aux autres quels
sont les points qu’il faut observer. Si donc
une grande ignorance des détails ne nous
empêche pas de reconnaître avec certitude et
rapidité diverses expressions, je ne vois pas
comment cette ignorance pourrait être invo-
quée pour prouver que notre faculté de recon-
naître l’expression, quoique vague et peu
précise à la vérité, n’est pas innée chez nous.


J’ai beaucoup insisté sur ce fait que les
principales expressions humaines sont les
mêmes dans le monde entier ; j’ai essayé de le
démontrer. Ce fait est intéressant : il fournit


un nouvel argument en faveur de l’opinion
d’après laquelle les diverses races humaines
descendent d’une seule et même souche, d’un
ancêtre primitif qui devait avoir des organes à
peu près semblables à ceux de l’homme, et une
intelligence presque aussi grande, antérieure-
ment à l’époque où ces diverses races com-
mencèrent à se constituer. Sans doute des
particularités organiques semblables, adap-
tées aux mêmes, fonctions, ont souvent été
acquises par des espèces différentes, grâce à la
variation et à la sélection naturelle. Mais cette
considération ne suffit pas à expliquer la res-
semblance parfaite qui existe, pour une foule
de détails insignifiants, dans des espèces dis-
tinctes. Considérons d’une part les nombreux
détails anatomiques qui n’ont aucun rapport
avec l’expression, et pour lesquels toutes les
races humaines offrent une étroite ressem-
blance ; rappelons-nous d’autre part les parti-
cularités de structure non moins nombreuses,
parmi lesquelles quelques-unes sont de la plus
haute importance et beaucoup d’autres très
insignifiantes, desquelles les mouvements
expressifs dépendent directement ou indirec-
tement ; et demandons-nous si une aussi
grande ressemblance, ou, pour mieux dire, une
telle identité d’organisation a pu être acquise
par des moyens indépendants les uns des
autres. Cela me paraît singulièrement peu
probable. C’est pourtant ce qui devrait être si
les diverses races d’hommes descendaient de
plusieurs espèces distinctes à l’origine. Il est
bien plus probable que les points nombreux
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