Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1

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d’étroite ressemblance que l’on remarque chez
les différentes espèces humaines proviennent,
par voie d’hérédité, d’une souche unique, déjà
revêtue des caractères de l’humanité.

Il serait curieux, quoique oiseux peut-être,
de rechercher à travers la longue série de nos
ancêtres à quelle époque sont apparus suc-
cessivement les divers mouvements de l’ex-
pression que l’homme offre actuellement. Les
remarques qui suivent serviront du moins à
rappeler quelques-uns des points principaux
traités dans ce volume. Nous pouvons avancer
hardiment que le rire, en tant que signe de
plaisir, fut connu de nos ancêtres longtemps
avant qu’ils fussent dignes du nom d’hommes ;
en effet, un grand nombre d’espèces de singes
font entendre, lorsqu’ils sont contents, un
son saccadé évidemment analogue à notre
rire, et souvent accompagné du claquement
de leurs mâchoires ou de leurs lèvres ; en
même temps les coins de leur bouche sont
retirés en arrière et en haut, leurs joues se
plissent et leurs yeux brillent.
De même, nous pouvons croire que, dès
les temps les plus reculés, la frayeur fut expri-
mée d’une manière presque identique à celle
que nous connaissons aujourd’hui chez
l’homme ; je veux dire par le tremblement,
les cheveux hérissés, la sueur froide, la
pâleur, les yeux démesurément ouverts, le
relâchement d’un grand nombre de muscles,
et la tendance qu’éprouve le corps à se blottir
ou à rester parfaitement immobile.

Dès l’origine aussi, on a dû, sous l’in-
fluence d’une grande souffrance, pousser des
cris ou des gémissements, se tordre, et serrer
les dents. Mais les mouvements si expressifs
qui accompagnent les cris et les pleurs n’ont
dû se montrer, chez nos ancêtres, qu’au
moment où les organes de la circulation et
de la respiration, ainsi que les muscles péri-
oculaires, ont atteint l’état de développe-
ment qu’ils ont actuellement. L’habitude de
répandre des larmes paraît avoir été le résul-
tat d’une action réflexe, due à une contrac-
tion spasmodique des paupières, et peut-être
aussi à leur injection par l’afflux sanguin au
moment des cris. Il est donc probable que nos
ancêtres ne commencèrent qu’assez tard à
pleurer ; et cette conclusion s’accorde avec le
fait que nos plus proches parents, les singes
anthropomorphes, ne pleurent pas. Cepen-
dant nous devons ici user de quelque réserve ;
car, puisque certains singes, qui ne sont pas
extrêmement rapprochés de l’homme,
pleurent, il se peut que cette habitude ait été
depuis longtemps développée dans quelque
sous-branche du groupe dont l’homme est
dérivé. Nos premiers ancêtres ne durent
froncer obliquement les sourcils et retirer les
coins de leur bouche, quand ils étaient cha-
grins ou inquiets, que lorsqu’ils eurent pris
l’habitude de chercher à retenir leurs cris.
L’expression du chagrin et de l’inquiétude est
donc éminemment humaine.
La rage a dû être exprimée de bonne heure
par des gestes menaçants ou forcenés, par la
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