Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1
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coloration de la peau et par l’éclat des yeux,
mais non par le froncement des sourcils. Car
l’habitude de froncer les sourcils semble pro-
venir surtout de ce que les sourciliers sont les
premiers muscles qui se contractent autour
des yeux, toutes les fois que l’enfant éprouve
de la douleur, de la colère ou du chagrin. Cette
habitude semble aussi venir en partie de ce
que le froncement des sourcils sert à protéger
les yeux dans les cas où la vision est difficile
et très attentive. Il est probable que cette
action protectrice n’est devenue habituelle
que lorsque l’homme a pris une attitude tout
à fait verticale ; car les singes ne froncent pas
les sourcils lorsqu’ils sont exposés à une
lumière éblouissante. Sans doute, sous l’em-
pire de la fureur, nos ancêtres primitifs mon-
traient les dents beaucoup plus fréquemment
que l’homme actuel, même lorsqu’il donne un
libre cours à sa passion, comme cela arrive
chez les aliénés. Nous pouvons aussi regarder
comme a peu près certain qu’ils avançaient
beaucoup plus leurs lèvres lorsqu’ils étaient
maussades ou désappointés, que ne le font
nos enfants, ou même les enfants des races
sauvages actuellement existantes.
Nos premiers ancêtres ne durent tenir la
tête haute, effacer la poitrine, carrer leurs
épaules et fermer les poings, en signe d’indi-
gnation ou d’irritation, que lorsqu’ils eurent
atteint le port et l’attitude droite de l’homme,
et qu’ils eurent appris à combattre avec leurs
poings ou à coups de bâton ; jusqu’à cette
époque, le geste antithétique qui consiste à


hausser les épaules, en signe d’impuissance
ou de résignation, ne devait pas non plus
avoir pris naissance. Par la même raison,
l’étonnement ne devait pas s’exprimer alors
en levant les bras, ouvrant les mains et éten-
dant les doigts ; et pas davantage, si l’on en
juge par ce que l’on voit chez les singes, en
ouvrant la bouche toute grande ; les yeux
seulement devaient être ouverts et arqués. Le
dégoût dut aussi se manifester, dès les temps
les plus reculés, à l’aide de mouvements, dans
la région de la bouche, analogues à ceux qui
accompagnent le vomissement ; il en devait
être ainsi, si l’interprétation que j’ai proposée
de l’origine de cette expression est juste, c’est-
à-dire si l’on admet que nos ancêtres aient eu
la faculté et l’habitude de rejeter volontaire-
ment et rapidement toute nourriture qui leur
déplaisait. Il est probable, au contraire, que la
manière la plus raffinée de témoigner le
mépris ou le dédain, en baissant les pau-
pières ou en détournant les yeux et le visage,
comme si la personne que nous méprisons
ne valait pas la peine de fixer notre regard,
n’a été acquise qu’à une époque beaucoup
plus récente.
De toutes les expressions, la rougeur est
celle qui semble être la plus éminemment
humaine ; aussi est-elle commune à toutes les
races d’hommes, que le changement de colo-
ration soit ou non visible sur leur peau. Le
relâchement des petites artères du tégument,
d’où dépend la rougeur, semble avoir été
produit tout d’abord par une forte attention
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