Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1

Philosophie magazine n° 132SEPTEMBRE 2019 73


L


a botanique, nouvelle terra incognita? Et si
les catégories que nous employons pour évoquer
le phénomène de la vie – « génération », « indivi-
du », « mort », « parole », « intelligence »... –
étaient bien trop zoocentrées, forgées pour les
besoins des animaux en général et des humains
en particulier? L’originalité du botaniste Francis Hallé, auteur
d’Éloge de la plante (1999) ou de Plaidoyer pour l’arbre (2005), est
de proposer de nouveaux concepts afin de saisir le monde des
plantes. C’est donc à un véritable voyage philosophique que ce
biologiste, qui a dirigé de 1986 à 2003 les missions du « Radeau
des cimes » sur les canopées des forêts tropicales, nous invite.
Qu’est-ce que le végétal? Non seulement nous n’en savons pas
grand-chose, mais les réponses passent forcément par un dé-
conditionnement, par une rupture avec notre confort de pensée.
« Vous savez, quand j’ai commencé à étudier la botanique, ce
n’était pas du tout à la mode », explique Francis Hallé qui nous
reçoit dans une vieille bâtisse sur les hauteurs de Montpellier.
Sa terrasse donne sur un immense arbre, et, dans son salon, la
moitié de la surface est occupée par des plantes grasses en pot.

Ses convictions l’ont-elles poussé à accorder autant de place
aux plantes qu’aux humains chez lui? « Non, rit-il, j’ai mis des
plantes ici car la maison est branlante et j’ai peur que le plancher
s’effondre. En tout cas, si vous m’aviez dit il y a trente ans que
j’allais recevoir un conservateur de la Fondation Cartier, qu’il al-
lait regarder les planches que j’ai dessinées et décider de les exposer,
je vous aurais répondu qu’il s’agissait de science-fiction. Vous voyez,
nos découvertes sont en train de susciter un peu d’intérêt ! » Les
dessins de Francis Hallé sont à retrouver dans l’exposition
Nous les arbres, jusqu’au 10 novembre. Son trait à la ligne
claire a quelque chose d’harmonieux, d’apaisant. Et pour-
tant, sa réflexion déborde pas mal des frontières tracées
par la tradition. Voir le monde avec l’œil de Francis Hallé,
c’est reconnaître notre dette envers les arbres – nous leur
devons le papier sur lequel ce magazine est imprimé, des
charpentes et des meubles, de l’ombre en été, des fruits déli-
cieux, l’oxygène que nous respirons, des promenades en forêt
et des sources d’émerveillement. Et en échange? Non seule-
ment la déforestation fait rage, mais nous avons à peine com-
mencé à comprendre ce qu’est une plante, un arbre.

À L’HEURE OÙ LA FONDATION CARTIER POUR L’ART CONTEMPORAIN EXPOSE CER-
TAINES DE SES 24 000  PLANCHES DE CROQUIS, LE BOTANISTE FRANCIS HALLÉ NOUS
EXPLIQUE POURQUOI, POUR APPROCHER LA VIE DES VÉGÉTAUX, NOUS DEVONS RE-
VOIR TOUTES NOS CATÉGORIES DE PENSÉE. Propos recueillis par Alexandre Lacroix

« À cause d’Aristote,


nous continuons


à faire passer l’animal


avant la plante »


© Vales/Bonne Pioche/Leemage


HALLÉ

FRANCIS

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