Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1

8 Philosophie magazine n° 132 SEPTEMBRE 2019


VOS QUESTIONS

Courrier


ui, Aurélien. Prenons
le critère de la vérité de
Karl Popper : une vérité
est vraie si elle est réfu-
table mais non réfutée.
Dans ce cas, une vérité
est d’autant plus vraie
qu’elle est non réfutée depuis un temps long et
que toutes les tentatives pour la réfuter ont été
vouées à l’échec. Une vérité établie depuis
quelques mois est alors « moins » vraie qu’une
vérité établie depuis trois siècles.
Dans une perspective existentialiste, un in-
dividu conquiert sa valeur en posant des actions
soumises au regard des autres. Si les autres
disent que vous êtes élégant et généreux, cet
énoncé est d’autant plus « vrai » qu’ils sont nom-
breux à le penser.
Peut-être devrions-nous toutefois parler
d’objectivité davantage que de vérité. L’objecti-
vité est le résultat du croisement des subjectivi-
tés : plus les subjectivités sont nombreuses à
s’entendre sur la beauté d’un paysage ou sur la
réalité d’un monde commun, plus cette beauté
ou cette réalité sont objectives. Vous pourriez
objecter que, dans ce cas, le nombre fait loi et
craindre que nous soyons nombreux à être dans
la même illusion. Mais l’objection ne tient pas.
Ce serait même plutôt le contraire : plus nous
sommes nombreux, moins il y a de raison que
nous soyons dans l’illusion. La foi en la démo-
cratie repose sur cette idée du nombre qui, sous
certaines conditions, fait loi. Dans une démo-
cratie, aucune vérité ne tombe du ciel ou d’une
tradition indiscutable. La seule « vérité » est ce
que le débat produit. Une telle vérité est donc
d’autant plus vraie que le débat a été de qualité,
que nous avons été nombreux à y participer, à

urtout pas! Peut-être est-il
même au contraire celui qui est
capable de traverser le réel
comme il est. Le poète qui ferait
de jolies rimes pour embellir les
choses ne serait qu’un sophiste ou un techni-
cien. Lorsque Charles Baudelaire écrit Les
Fleurs du mal, lorsqu’il cherche de l’or jusque
dans la boue, il ne vise pas à embellir cette
boue en la peignant plus belle qu’elle n’est. Il
montre qu’il y a de la beauté dans la boue. La
boue n’est pas embellie : elle est belle. Encore
faut-il ouvrir les yeux et les oreilles, le cœur
aussi sans doute. Arrêter de réfléchir, de rai-
sonner. Et laisser les mots résonner.

Les réponses
de Charles Pépin *

faire l’effort de nous représenter l’intérêt géné-
ral. La « vérité » issue d’un débat opposant sim-
plement des intérêts particuliers dans une
démocratie affaiblie par l’abstention est alors
probablement moins « vraie » que la première...
Notre réponse implique que nous sachions
faire le deuil de l’idée d’une vérité universelle et
absolue, comme nous y invite Nietzsche : la
« mort de Dieu » est celle de cette idée de la vérité.
Reste alors à nous battre pour des vérités plus
fortes que celles pour lesquelles nous ne mili-
tons pas. Voici une belle façon de définir un re-
lativisme qui ne soit pas un nihilisme : la vérité
est relative à la manière dont nous nous battons
pour elle ; elle dépend de nous, de notre effort,
de notre curiosité, de notre talent.

Un vertige métaphysique,
une petite question
qui vous taraude?
Interrogez Charles Pépin
en écrivant à
questiondumois
@philomag.com

Le poète doit-il


embellir le réel?


AURÉLIEN
PONTIET

Philosophe et professeur au lycée d’État de la Légion d’honneur / Anime la 10e saison des Lundis philo au MK2-Odéon (Paris)
à partir du 9 septembre / Dernier ouvrage paru : La Confiance en soi. Une philosophie (Allary Éditions).

JEAN-LOUIS
LACOMBE

O


S


©^ Serge Picard pour PM

; illustration

: Sév

erine Scaglia pour PM.

Certaines vérités sont-elles


plus vraies que d’autres?

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