Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1

Philosophie magazine n° 132SEPTEMBRE 2019 85


L


e nom de Mesmer vous dit-il quelque chose? Certains le con-
naissent à travers son presque homonyme Messmer, un hypnotiseur
médiatique. Un pseudonyme qui rend hommage au « vrai » Franz-An-
ton Mesmer (1734-1815), personnage controversé, condamné (par la Faculté)
et célébré (par le grand public). Il défendait le principe du magnétisme, ce
prétendu fluide considéré comme un « feu invisible », qui naviguerait entre les
corps et que l’on pourrait canaliser, par affleurement des mains, pour guérir
certains maux. D’autres se souviennent peut-être d’une lecture scolaire où
Hegel le mentionne comme celui qui conçut le projet fou de penser sans les
mots – et qui faillit en perdre la raison. Précisément : ce sont les frontières de
la rationalité qu’interroge l’œuvre de Mesmer, ce qui ne pouvait qu’intéresser
le philosophe Frédéric Gros. Il restitue le parcours du médecin/charlatan à
travers une série de lettres fictives adressées par Mesmer à un ami durant les
derniers mois de sa vie. Il nous rend ainsi attachant un homme aigri et mytho-
mane, mais toujours sincère et enthousiaste : « Moi je guérissais, monsieur, ils ne
font que soigner », lui fait dire Frédéric Gros. On se plaira à suivre, entre la Prusse
et la France, son destin qui se superpose à la période d’effervescence conduisant
des Lumières à la Révolution française. Frédéric Manzini

Le Guérisseur des Lumières / Frédéric Gros /
Albin Michel / 176 p. / 17,90 €

Aux frontières
de la raison

Q


uelqu’un s’apprête à raconter sa vie dont il dit pourtant
qu’elle pourrait aussi bien être celle de n’importe qui. » Sans
ce récit, ce miroir tendu, nulle vie n’est intelligible à celui qui la
vit. « Qu’est-ce qu’une vie, sa vie ? » est la question philosophique du « To be or
not to be » d’Hamlet. Elle est celle, immémoriale, que reprend le romancier
Philippe Forest. La scène se déroule en Angleterre en 1954 : sir Winston Chur-
chill pose pour le peintre Graham Sutherland. Celui-ci doit réaliser le portrait
du grand homme pour son quatre-vingtième anniversaire. Churchill sera
horrifié par le tableau, qui fera scandale au Parlement. De cet épisode fameux
outre-Manche, Philippe Forest fait un drame shakespearien. Il tisse finement,
par une extraordinaire mise en abyme, Shakespeare, la scène du théâtre, les
acteurs, les spectres, l’histoire, la peinture, et lui-même en narrateur, ou
choryphée, ou spectateur, commentant la pièce qu’il écrit en un roman en
quatre actes, intermèdes, prologue et épilogue, lever et tomber de rideau. Et
cette mise en abyme ouvre les abîmes où palpitent des cœurs blessés. « Je
reste le roi de mes chagrins » : ce que dit le Richard II de Shake speare dépouillé
de sa couronne pourrait être prononcé par le vieux Churchill inconsolé du
deuil enfoui de sa fille, ou par le peintre proscrit ayant perdu lui aussi un fils,
ou par Philippe Forest dans le « récit ressassé » de la mort de son enfant « qui
reste pourtant éternellement à raconter ». Et chacun pourra dire en l’écoutant :
« Je suis cet homme, il est ce que je suis. » C. P.

Je reste roi de mes chagrins / Philippe Forest /
Blanche / Gallimard / 288 p. / 19,50 €

Portrait de
l’artiste en deuil

Penser


«

© Jaredd Craig/Unsplash

J’ai ainsi souhaité m’appesantir
à la surface des choses
aéroportuaires, sillonner
les halls, les esplanades,
les terminaux et les salles
d’embarquement, et voir
par moi-même si cette
superficialité ne cachait pas
des profondeurs inconnues.

En librairie


le 12 septembre


Disponible aussi sur


http://www.philomag.com



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