Philosophie Magazine - 09.2019

(Nora) #1

E


lle est devenue notre obsession : qualité de l’air, de l’eau, du
service, des produits, de l’enseignement, de l’agriculture, de la fin
de vie, de la vie au travail, de la vie tout court. Elle a ses indices, ses
normes, ses spécialistes qui l’évaluent comme naguère on comptabilisait
les pièces sorties de l’usine. « Qualité » est devenu le maître mot, puissant
et ambigu comme tous les maîtres mots, de ce qui reste de notre idée du
progrès : une version profane du Bien. Pascal Chabot s’en est saisi pour y
lire les dérives et désirs contemporains. De livre en livre, il cherche les voies d’un « progrès
subtil » capable de faire pièce au « progrès utile » promu par le techno-capitalisme et de
nous guérir de cette « maladie du trop » qu’il a diagnostiquée en « global burn-out ». Il
s’intéresse là à nos envies de mieux. Ce « mieux », auquel il redonne un sens, résiste au-
jourd’hui autant à la dictature du chiffre qu’à la prolifération de ce qu’il faut bien appeler
le « merdique », version profane du Mal : pollution, déchets toxiques, malbouffe, matériaux
cheap, exploitation des corps, infox, abus de pouvoir et autres bien nommés bullshit jobs.
Le flou du concept de qualité est un aiguillon pour le philosophe. Car la qualité est
comme le temps pour Augustin : pratiquement, nous savons ce qu’elle est, mais nous ne
le savons plus dès qu’il faut la définir. « Toute qualité est décision, et donc culture », affirme
Chabot. Descartes distingua les « qualités premières » que sont les caractères objectifs et
mesurables d’une chose, de ses « qualités secondes » subjectives, non mesurables, relevant
de l’expérience, voire du goût. Ce faisant, il disqualifie l’appréciation commune par le
sensible, et il opère le grand partage entre quantité et qualité. Le sensible, l’appréciatif,
sera revalorisé par l’industrie mais sous la forme artificielle de la qualité technique, laquelle
à son tour s’essouffle à représenter le progrès de l’humanité. À partir de cette passionnante
généalogie philosophique et matérielle, appliquée aux pratiques d’aujourd’hui et bourrée
d’exemples concrets, notamment dans le domaine de l’écologie et de la santé, Pascal Cha-
bot ouvre la piste pour penser la « transition qualitariste » du capitalisme. Avec une idée
forte : la qualité doit être articulée aux principes de liberté et d’égalité. Pour qu’elle ne soit
pas « le concept lénifiant d’une société occupée à gérer son abondance », un luxe d’enfants gâtés
retranchés dans des « cubes de qualité » ou le faux-nez du contrôle lorsque, par exemple,
on prétend améliorer la qualité des soins en réduisant le personnel, alors, il s’agit de tenir
à l’adage : « La qualité de vie des uns prospère où prospère celle des autres. » C. P.


Mieux que bien


Traité des libres qualités / Pascal Chabot
/ PUF / 276 p. / 19,90 €

SAISIR


LE MONDE


Un cycle


de cinq


conférences


THÉÂTRE DE CORNOUAILLE

La logique des passions sociales
Gloria Origgi
LUNDI 14 OCTOBRE, À 19H

Désobéir en démocratie
Albert Ogien
MARDI 12 NOVEMBRE, À 19H

Pourquoi sommes-nous touchés
par la musique?
Catherine Kintzler
MARDI 03 DÉCEMBRE, À 19H

Familles en mutation
Sabine Prokhoris
LUNDI 10 FÉVRIER, À 19H

Les ressorts du rire
Yves Cusset
LUNDI 09 MARS, À 19H



En partenariat avec Philosophie Magazine


Renseignements / Réservations
02 98 55 98 55 | theatre-cornouaille.fr

Le Théâtre de Cornouaille


propose un cycle de cinq


conférences en écho de la


saison 2019-2020


OCT 2019 > MARS 2020


QUIMPER


P


oumon de la Bourgogne, en pleine « diagonale du vide » et dont
« l’emplacement sur la carte de France est à l’endroit du cœur », le Mor-
van n’est pas simple à situer pour Vincent Vanoli au début de cette
bande dessinée-reportage. S’il commence par faire confiance au GPS puis
aux panneaux indicateurs, il se fie vite à la parole de ses habitants pour se
repérer dans ce territoire enclavé. Et des histoires ils en ont, les Morvan-
diaux! Dans les pas d’Achille Millien qui, à la fin du XIXe siècle, y fit l’une
des collectes de contes et de chansons locales les plus complètes d’Europe, l’auteur écoute
pour mieux raconter les « occupants » – « locaux », « Parisiens » exilés ou « néo-arrivants »
confondus. Riche de son passé – vestiges gallo-romains de Bibracte ou musée consacré à
François Mitterrand à Château-Chinon –, de ses hameaux dans leur jus et de ses sublimes
paysages que ne manquent pas d’illustrer Vanoli, le Morvan se conjugue aussi au présent,
refusant le statut d’« écomusée ». Pour le pire – la coupe forestière à outrance – comme pour
le meilleur – un temps qui paraît, encore, s’écouler autrement, propice à la création d’îlots
utopiques, qu’il s’agisse d’exploitations agricoles bio, de projets culturels foisonnants, de
lieux de vie ou de jardins orientaux ouverts aux rencontres. Au final, une déambulation
poétique qui se double d’une réflexion sur l’orientation et la force de l’oralité. Noël Foiry


Le Promeneur du Morvan / Vincent Vanoli /
Les Requins Marteaux-Éditions Ouï Dire / 96 p. / 16 €

Terre de paroles


Philosophie magazine n° 132SEPTEMBRE 2019
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