Version Femina N°907 Du 18 Août 2019

(Jacob Rumans) #1
version femina

Rencontre


PHOTOS MATIAS INDJIC/CHARLETTE STUDIO. COIFFURE NABIL HARLOW. MANUCURE EDWIGE LLORENTE STYLISME CHARLOTTE RENARD. COL ROULÉ EN COTON, LOUIS VUITTON.
BOUCLES D’OREILLES PRECIOUS LACE EN OR BLANC SERTI DE SAPHIRS ET DIAMANTS ET BANALES. ICE CUBE EN OR BLANC, JAUNE ET ROSE ÉTHIQUE CERTIFIÉ FAIRMINED CHOPARD.

LÉA SEYDOUX


« Je fais des films pour les idées »


Est-il vrai que vous souhaitiez
tant tourner avec Arnaud Desplechin
que, lorsque vous avez lu le scénario,
vous l’avez appelé?
J’avais très envie de travailler avec lui,
aussi lorsque l’on m’a dit qu’il préparait
un film dans lequel il y avait potentiel-
lement un rôle pour moi, j’ai tout de
suite eu envie de le rencontrer. Le per-
sonnage était sublime mais j’ai dû le
convaincre, car il ne pensait pas forcé-
ment à moi pour incarner Claude. Et
puis, j’ai découvert le documentaire
Roubaix, commissariat central, de Mosco
Boucault, qui m’a beaucoup touchée sur
ce fait divers, l’assassinat en 2002 d’une
vieille dame par ses voisines.

Ce qui est intéressant dans le film,
c’est son parti pris de ne pas juger...
Il essaie de chercher de l’humanité chez
les criminels, de les voir aussi comme
des victimes du système et de leur
condition sociale. Le film nous pousse
à nous demander si nous ne sommes
pas tous prédestinés, nous interroge sur
la part d’influence que l’on peut réelle-
ment avoir sur son destin et nous
montre très bien que, en partant avec
plus ou moins de handicaps dans la vie,
on peut rapidement être pris dans un
engrenage. J’ai eu beaucoup de plaisir à
tourner avec Arnaud. Cela a été une
vraie rencontre artistique.

Comment avez-vous préparé
le personnage de Claude?
Pour moi, il y a toujours un déclic qui
s’opère avant de jouer un rôle. Ce peut
être une phrase, un mot qui me permet
de saisir la personnalité. Quand j’ai vu

le documentaire, je me suis immédiate-
ment sentie investie par cette cause, j’ai
eu envie de raconter l’histoire, le par-
cours de cette fille. Je connais Claude, je
comprends tout d’elle. D’une certaine
façon, on se ressemble. Sa vie est mal-
heureusement tragique, mais il y a des
choses qui me touchent chez elle. Je lui
ai prêté des traits de mon propre carac-
tère, notamment cette forme d’acharne-
ment et son côté petit soldat.

Dans son couple avec Marie,
interprétée par Sara Forestier,
c’est Claude qui a l’ascendant...
Oui et, en même temps, il y a un moment
où cet équilibre bascule, où on se
demande si ce n’est pas Claude la plus
vulnérable des deux. C’est ce que je
trouve fort dans le film d’Arnaud : il y a
une scène où tout à coup le personnage
de Sara Forestier semble avoir manipulé
Claude depuis le début. C’est une porte
laissée ouverte qui pousse les specta-
teurs à s’interroger : le crime a-t-il été
prémédité par la jeune femme ?

Claude fait preuve d’une obstination
surprenante !
C’est ce que j’ai aimé dans ce rôle. Claude
continue à résister coûte que coûte, alors
qu’elle sait que sa fin est inéluctable. La
raison de son acharnement, c’est aussi
et surtout son fils de 7 ans, et c’est ce qui
la différencie du personnage incarné par
Sara Forestier, qui, finalement, n’a que
son amour pour se battre. Claude a
conscience que ce crime la perdra mais
elle s’obstine. Cette résistance-là, je la
trouve assez bouleversante. Pour moi,
cette pulsion vitale de vouloir se battre

est merveilleuse, elle est à l’image de
notre humanité. En tant qu’être humain,
nous savons que nous allons mourir
mais, grâce à notre acharnement, c’est
la vie qui triomphe.

Roschdy Zem et Sara Forestier sont
incroyables. Avez-vous aimé tourner
avec eux ?
C’était super, même si je n’ai pas eu beau-
coup de scènes avec Roschdy. Cet
homme est un prince! Avec Sara, la
relation s’est établie tout de suite entre
nous deux. C’était très agréable de jouer
avec cette actrice qui a une vraie inten-
sité. Je trouve qu’il y a une réelle com-
plémentarité entre elle et moi. D’ailleurs,
c’est assez fou comme nos deux person-
nages se complètent parfaitement.

L’univers d’Arnaud Desplechin,
originaire de Roubaix, vous a-t-il
touchée?
J’ai toujours eu une espèce de fascina-
tion pour Roubaix parce que c’était une
cité prospère qui a été abandonnée. La
ville est un personnage à part entière du
film : on y montre ses résidents tels qu’ils
sont. Quand on se promène à Roubaix,
tous les habitants pourraient être des
personnages. C’est complètement fou
que cette ville ne soit qu’à deux heures
de Paris, sachant que certaines per-
sonnes vivent encore dans des maisons
avec des sols en terre battue. La précarité
y est saisissante.

Est-ce difficile de sortir d’un tel rôle?
Je pense que, quand on joue, ce n’est
jamais totalement extérieur à soi, c’est
toujours quelque chose que l’on a en

L’actrice est belle et dure en fille paumée dans « Roubaix, une lumière », d’Arnaud Desplechin.
Un retour en force dans un grand film français pour celle que le cinéma mondial s’arrache.

Propos recueillis par Anne Michelet
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