Le Monde + Magazine - 31.08.2019

(Kiana) #1
0123
SAMEDI 31 AOÛT 2019
styles

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Notre journaliste a organisé
son voyage avec l’aide
de Visitelba.fr, le site officiel
du tourisme de l’île d’Elbe.

Y A L L E R
Ryanair et easyJet proposent
des vols directs de Paris (ou
Beauvais) à Pise. A partir de
70 € : Ryanair.com
et Easyjet.com.
Thetrainline.com propose
des trains de Paris gare de
Lyon à Pisa Centrale, en dix­
huit heures et trois change­
ments, par exemple de 13 h 55
à 7 h 49 le lendemain. A partir
de 59,80 € l’aller.
Mieux vaut avoir une voiture
ou une moto sur l’île d’Elbe.
Le plus simple est de louer à
Pise, puis de rouler vers
Piombino pour prendre le
ferry de la Moby. Compter
160 € pour un aller­retour
avec une voiture, deux adul­
tes et un enfant. Mobylines.fr

S E L O G E R
Le Grand Hôtel Elba Interna­
tional est un 4­étoiles défraî­
chi avec une vue splendide
et un accès la mer. A partir
de 129 €. Réservation :
+39 0565 946111.
Elbainternational.it
Le Park Hotel Napoleone est
situé à l’entrée de la villa
Napoleonica, à San Martino.
Ancien mais chic, chambre
double à partir de 78 €
sur Hotels.com.
Parkhotelnapoleone.it
Plus moderne, le Resort
Tenuta delle Ripalte offre
une retraite luxueuse entre
vignes, campagne et mer. A
partir de 70 € la nuit en saison
basse. Tenutadelleripalte.it

D É J E U N E R , D Î N E R
Da Paola, à Marina di Campo,
pour le poisson. Environ 35 €
par personne. Réservation :
+39 0565 193 1489.
Cacio e vino di Galvani
Laura, à San Piero, pour la
cuisine traditionnelle
toscane. Environ 25 € par
personne. Cacio­e­vino­di­
galvani­laura.business.site

C A R N E T
D E R O U T E

Portoferraio
Marciana San Martino

Monte
Capanne

San Piero
Acquarilli
Innamorata
Naregno

Rio
nell’Elba

Capoliveri

Porto
Azzurro

2 km

Mer Tyrrhénienne

Marina di Campo

Remaiolo

VOYAGE
portoferraio (île d’elbe, italie)

L


a faute à Napoléon! C’est
à cause du séjour de l’ex­
empereur en 1814 et 1815
sur l’île d’Elbe que celle­ci
est immanquablement associée à
l’idée d’exil, de bannissement et
pour tout dire au léger ridicule
d’un maître de l’Europe réduit à
gouverner un confetti. A l’hori­
zontale de Bastia, dont elle n’est
séparée que par 50 kilomètres de
mer, la plus grande île de l’archi­
pel toscan a pourtant une histoire
plus longue que ce fugace coup
du hasard.
Depuis les Etrusques jusqu’au
milieu du XXe siècle, l’Elbe était
l’île du fer, qu’on extrayait des
montagnes à la verticale de la
mer Tyrrhénienne. Ayant subi de
plein fouet la grande crise de la
métallurgie des années 1970 et
1980, elle s’est tournée lentement
vers le tourisme. Mais, plus de
deux fois plus petite qu’Ibiza, elle
n’a pas eu le destin légendaire du
paradis hippie des Baléares.
Quand les mines ont définitive­
ment fermé, dans les années
1990, il a fallu ajouter aux Alle­
mands et aux Italiens un tou­
risme plus mélangé, à la recher­
che de nature et de petites plages
familiales.
Le premier défi consiste à faire
oublier Piombino, sur la côte tos­
cane, une ville industrielle dont
les cheminées d’usine et les citer­
nes ont du mal à rivaliser avec Flo­
rence ou les vignes de Chianti :
c’est de là que partent les bateaux
pour Portoferraio, « capitale » et
port principal de l’île. Le ferry de
la Moby fait la traversée en une
heure. A l’arrivée, son ventre li­

bère voitures et motos : il faut
pouvoir se déplacer facilement
pour profiter de la diversité de
l’île.
Depuis les chambres avec vue
du Grand Hotel Elba Internatio­
nal, un 4­étoiles vieillissant dont
l’emplacement de rêve sur la col­
line de Naregno fait oublier les
moquettes exsangues et l’inqua­
lifiable cuisine, la baie de Porto
Azzurro est une merveille. La
route pour rejoindre cette partie
sud­est de l’île permet de com­
prendre son paysage tout entier :
des montagnes couvertes d’un
maquis typiquement méditerra­
néen, ponctuées de plages sur
leur contour et d’une maigre
plaine en leur centre.

Wagonnets et tapis roulant
Faisons tout de suite un sort à
l’empereur. Nul besoin d’être un
napoléonien nostalgique pour
constater in situ que le Corse a
laissé sur l’île un bon souvenir,
celui d’un bâtisseur de routes, et
d’un humble administrateur, qui
gouverna avec une énergie fidèle
à sa réputation. Pas étonnant
dans ces conditions que les célé­
brations du bicentenaire de son
arrivée, en 2014, aient été l’occa­
sion de fêter sa mémoire.
Sa maison d’été, la Villa Napo­
leonica, à San Martino, est la prin­
cipale attraction de l’île. De la
serre presque effondrée du jardin
aux murs peints de fresques, ici
aux couleurs de la Légion d’hon­
neur, là pour évoquer l’Egypte, en
passant par les aigles et les « N »
qui pullulent, tout ici rappelle la
présence de l’empereur des Fran­
çais. Pour les fans absolus, le Park
Hotel Napoleone se situe à l’en­
trée du site.

Mais le véritable héros de l’île
d’Elbe est anonyme : c’est le « Ca­
vatore », le mineur, qui donne son
nom à des rues ou des cafés,
quand il n’est pas statufié en
gloire! La Piazza del Cavatore est
la place principale de Capoliveri,
d’où la vue est splendide. On y
loue des vélos électriques tout­
terrain pour partir à la découverte
des mines de fer du mont Cala­
mita. Porte d’entrée du site, un
modeste musée fait de bric et de
broc raconte l’histoire de l’extrac­
tion de la magnétite, de la mala­
chite et de l’azurite à travers de
magnifiques cartes et photos jau­
nies, des machines, des outils...
On peut se faire accompagner par
un guide dans la mine souter­
raine de Ginevro, mais ce sont les
mines à ciel ouvert qui ont laissé
les paysages les plus singuliers.
On roule en suivant la pente de
l’Antica Ferrovia, étroit chemin ja­
dis parcouru par des wagonnets
sur rails, qui conduit aux vestiges
rouillés qui théâtralisent le bord
de mer. Tapis roulant aux formes
serpentines, tours colossales me­
nacées d’effondrement, espla­
nade bariolée de flaques rouges,
laiteuses ou bleues, c’était depuis
ce point bas que les minéraux

étaient emportés par bateau. Un
petit groupe de bouquetins bon­
dit jusqu’à un promontoire de fer­
raille d’où ils semblent nous ob­
server... les observant.
Après l’effort (il faut remonter),
le réconfort : la Tenuta delle Ri­
palte est un hôtel installé dans un
domaine viticole qui domine le
site minier, où l’on peut aussi dé­
jeuner. Il faut y passer pour des­
cendre à nouveau vers la petite
baie de Remaiolo et sa plage de
carte postale : paillote à l’ombre
des pins, filet de volley tendu sur
le sable, kayaks, parasols et chai­
ses longues à louer, on peut y pas­
ser le reste de la journée loin de la
foule. Cette randonnée à vélo
n’est qu’un des parcours du Capo­
liveri Bike Park, qui propose plus
de 100 km de sentiers et de routes.
Un autre site minier se situe
plus au nord, à Rio nell’Elba, lui
aussi aménagé pour l’accès à vélo.
Mais le village porte un autre sou­
venir, moins connu. Depuis les
photographies des étés 1979 et
1980 jusqu’à La Pudeur ou l’Impu­
deur, dans lequel l’écrivain se
filme un an avant sa mort,
l’œuvre d’Hervé Guibert est habi­
tée par le presbytère de l’ermitage
de Santa Catarina. Accroché au­
dessus du village, l’ermitage n’est
accessible qu’à pied. La simplicité
de sa façade, son isolement, la spi­
ritualité qui s’en dégage, tout est
splendide dans ce havre de paix.
Le jardin de simples (Orto dei
Semplici Elbano) qui le jouxte
propose une collection botanique
typique de l’archipel toscan.
Hervé Guibert a voulu reposer
au cimetière de Rio nell’Elba.
Dans le columbarium circulaire,
une plaque de marbre porte son
nom seul. Sans dates, peut­être

pour braver le destin qui fit mou­
rir l’écrivain né en 1955 et mort
en 1991, la même année que son
voisin pour l’éternité, un capi­
taine prénommé Fulvio, né qua­
rante­quatre ans avant lui. Les ci­
metières sont merveilleux sur
l’île d’Elbe, où les morts sont ber­
cés par le chant des vagues.

Splendeur romane
A Porto Azzurro, pour une soirée,
il ne faut pas hésiter à jouer crâne­
ment au touriste, en se baladant
sans bouder son plaisir du port
aux ruelles en pente. Les spaghetti
alle alici e finocchio (anchois et fe­
nouil) de La Risacca, un des restau­
rants de la marina, sont parfaits.
Difficile ensuite de résister à l’ap­
pel des néons multicolores du Ge­
lateria Bar Elba, où l’on déguste sa
glace en terrasse à côté de l’ances­
tral palabre des vieux insulaires
qui semblent faire partie du décor.
A l’opposé de l’île, Campo
nell’Elba, sur la côte sud, mérite
qu’on s’y arrête pour une expé­
rience gastronomique entre terre
et mer. Terre chez Cacio e vino di
Galvani Laura, dans le hameau de
San Piero, en hauteur, avec de ro­
boratives pappardelle al ragu’di
cinghiale (des pâtes à la daube de
sanglier) : 12 euros de bonheur
rustique, qui rappelle également
qu’ici la cuisine rurale est tout
aussi toscane que sur le continent.
La balade digestive conduit à
l’église de San Nicolo, une petite
splendeur d’architecture romane.
Ses deux cloches nichées dans un
peigne à trois dents qui surmonte
l’entrée de la cour pavée, ses forti­
fications du XVe siècle et surtout
sa position de vigie, accrochée au
point culminant du village, lui
donnent une allure rare.
Devant elle, la place du belvé­
dère domine Marina di Campo, et
la vue porte jusqu’à l’île de Giglio,
pourtant distante de 50 kilomè­
tres. Pour la mer, on descend vers
Marina justement, une anse de
plages touristiques, et son petit
port d’où partent les ferrys pour
passer la journée sur l’île plate de
Pianosa. Chez Da Paola, un restau­
rant un brin chic, le chef sert des
sgombro all’isolana (des maque­
reaux à la tomate) inoubliables.
Il faudrait aussi découvrir la
plage sauvage d’Acquarilli, ses na­
turistes et ses genêts ; la plage fa­
miliale d’Innamorata et ses si jolis
parasols ; le village de Marciana et
le funiculaire qui conduit au
Monte Capanne, à 1 019 mètres
d’altitude, point culminant de l’île
d’Elbe d’où l’on voit parfaitement
la Corse ; le tour de l’ouest de l’île
en voiture, par la corniche, au so­
leil couchant ; et enfin la balade
dans les rues de Portoferraio juste
avant de partir. Plus que la simple
dolce vita, l’île d’Elbe offre des
émotions fortes et raconte des
histoires dont on se souvient
longtemps.
thomas doustaly

La Villa Napoleonica
est la principale
attraction de l’île.
DE AGOSTINI/GETTY IMAGES

elbe, l’île aux souvenirs


Surtout connue pour


l’exil napoléonien,


l’île italienne a aussi


un passé minier


qui a laissé


des paysages


singuliers. A découvrir


entre les plages


sauvages et le maquis


typiquement


méditerranéen


La plage de Sottobomba, à Portoferraio. ROBERTO RIDI

À CAMPO NELL’ELBA, 


LA PLACE DU BELVÉDÈRE 


DOMINE MARINA DI 


CAMPO, ET LA VUE PORTE 


JUSQU’À L’ÎLE DE GIGLIO, 


POURTANT DISTANTE 


DE 50 KILOMÈTRES


La jetée d’où
les bateaux
venaient
chercher le fer.
ROBERTO RIDI
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