Le Monde + Magazine - 31.08.2019

(Kiana) #1

4 |international SAMEDI 31 AOÛT 2019


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Des figures prodémocratie arrêtées à Hongkong


Une nouvelle manifestation a été interdite tandis que la Chine communique sur sa présence militaire


hongkong ­ correspondance

I


l était environ 7 h 30, ven­
dredi 30 août, lorsque Jos­
hua Wong, leader politique
de 22 ans, a été poussé dans
une camionnette et emmené au
commissariat central de Wan
Chai, à Hongkong. Le secrétaire
général de Demosisto, parti pro­
démocratie et très critique envers
Pékin, était sur le chemin habi­
tuel entre son domicile et la sta­
tion de métro de South Horizon,
à Ap Lei Chau, petite île couverte
de tours de logements sociaux,
reliée par un pont au sud de l’île
de Hongkong. L’information a
été donnée par le président du
même parti, Nathan Law. Trois
heures plus tard, on apprenait
l’arrestation, chez elle cette fois,
d’une autre figure de ce parti,
Agnes Chow, 22 ans.
La veille, Andy Chan, 29 ans, fon­
dateur du Hongkong National
Party, interdit depuis un an en rai­
son de son positionnement indé­
pendantiste, avait été arrêté a l’aé­
roport. Il s’apprêtait à s’envoler
pour le Japon, où il s’était déjà
rendu en juin à l’occasion du som­
met du G20 afin d’attirer l’atten­
tion sur le sort de Hongkong.
La police a indiqué qu’Andy Chan
était soupçonné d’avoir « participé
à une émeute » et « attaqué la po­
lice ». Fin juillet, les forces de l’or­
dre avaient découvert de l’explosif
et de quoi fabriquer des cocktails
Molotov dans un local loué par un
autre groupuscule indépendan­
tiste à Shatin, sur la partie conti­
nentale de la région administra­
tive spéciale. Joint à l’époque par
Le Monde, Andy Chan avait af­
firmé connaître l’existence de ce
groupe. « Mais ce ne sont pas les
mêmes gens [que mes sympathi­
sants] », avait­il précisé.
Joshua Wong est internationa­
lement connu depuis ses pre­
miers engagements politiques
en 2012, contre des cours d’éduca­
tion patriotique chinoise au col­
lège. Fréquemment arrêté, con­

damné à plusieurs reprises, il est
sorti de prison le 17 juin après
avoir purgé une peine de quel­
ques mois pour obstruction et
troubles à l’ordre public.
Selon un Tweet de l’agence de
presse Chine nouvelle, posté ven­
dredi, « d’autres arrestations sont
attendues ». La dépêche officielle
rapportant les arrestations décrit
en outre Demosisto comme un
parti « pro­indépendance », signe
que c’est sans doute également à
cause des idées du parti que ces
arrestations ont lieu.
Fondé après le « mouvement des
parapluies « en vue des législatives
de 2016, Demosisto propose no­
tamment que les Hongkongais
puissent participer à un référen­
dum d’autodétermination à l’ap­
proche de 2047, date à laquelle le
principe « un pays, deux systè­
mes » arrive théoriquement à
échéance, cinquante ans après la
rétrocession de Hongkong à la
Chine. Nathan Law avait été élu au
parlement local en 2016 mais,
comme cinq autres députés de
l’opposition, il avait rapidement
été disqualifié et interdit de siéger.

Jets d’encre
Selon le vice­président de Demo­
sisto, Isaac Cheng, « le gouverne­
ment tente de semer la terreur pour
décourager les gens de manifes­
ter ». Hongkong se préparait en ef­
fet à marquer, le 31 août, le cin­
quième anniversaire de l’annonce
par Pékin d’une réforme électorale
censée permettre d’élire au suf­
frage universel le chef de l’exécutif

de Hongkong, mais seulement
après présélection des candidats
par Pékin. A l’époque, la proposi­
tion avait été catégoriquement re­
jetée par le camp pro­démocratie
et l’indignation avait donné lieu
au « mouvement des parapluies »,
trois mois d’occupation de gran­
des artères de la cité en 2014.
Or, la manifestation prévue sa­
medi a été interdite jeudi par la
police, qui dit avoir de fortes rai­
sons de craindre de nouveaux dé­
bordements violents et des cas
de « destruction massive que la
police ne serait pas en mesure
d’empêcher ». D’autant que cette
marche avait pour destination le
bureau de liaison de Pékin, où
des heurts ont déjà eu lieu plu­
sieurs fois, notamment le
21 juillet, quand l’emblème de la

République populaire de Chine
avait été sali par des jets d’encre.
Cette marche était organisée par
le Front civil des droits de
l’homme (CHRF), qui se targue de
plus de quinze ans d’expérience
dans l’organisation de grandes
marches pacifiques, notamment
celles qui ont, selon le décompte
des organisateurs, rassemblé
2 millions de personnes le 16 juin
et 1,7 million le 18 août. Jeudi, le dé­
légué général du Front, Jimmy
Sham, a été attaqué dans un res­
taurant par deux hommes mas­
qués et armés de battes de base­
ball. L’ami qui l’a protégé a dû être
emmené à l’hôpital.
Le droit de manifester est garanti
par la Basic Law, la mini­Constitu­
tion de Hongkong. Après que l’ap­
pel du CHRF a également été rejeté

vendredi matin, le Front a an­
noncé l’annulation de la marche.
« C’est dans la nature humaine que,
quand nos demandes pacifiques ne
sont pas entendues, certains aient
recours à des actions plus radicales.
C’est exactement ce que le Front ne
veut pas voir et c’est pourquoi nous
continuerons à demander la per­
mission de marcher. Mais on ne
nous en donne pas la possibilité », a
déclaré vendredi matin Bonnie
Leung, porte­parole du Front.

« Rien de routinier »
La presse officielle chinoise a par
ailleurs diffusé, jeudi matin, des
photos du passage de la frontière
par des blindés et des véhicules de
transport de troupes, et pris le
soin de préciser que des hélicoptè­
res armés avaient également été

déployés sur une base de Hon­
gkong. L’agence de presse Chine
nouvelle a aussitôt ajouté qu’il
s’agissait d’une « rotation de rou­
tine annuelle normale », la vingt­
deuxième depuis la rétrocession.
La propagande ajoutait que ces
soldats ont reçu un entraînement
spécifique. « Les troupes ont ac­
quis la capacité de défendre Hon­
gkong » et sont engagées à proté­
ger la direction du Parti commu­
niste chinois, peut­on lire. Pour
Dennis Kwok, député du Civic
Party (opposition), « étant donné
le contexte actuel, une telle rota­
tion n’a rien de routinier. C’est une
manière délibérée de la part de
l’armée chinoise de rappeler aux
Hongkongais qu’elle peut être dé­
ployée à tout moment ».
florence de changy

La Papouasie indonésienne en proie à de violentes émeutes


Une descente de police brutale a conduit au soulèvement de nombreux Papous, frustrés depuis des décennies d’être rattachés à Djakarta


L


a colère gronde dans les
deux provinces constituant
la Papouasie indonésienne,
situées à l’ouest de la Papouasie­
Nouvelle­Guinée indépendante.
La région est en proie depuis dix
jours à un soulèvement qui a ga­
gné les principales villes. Selon
certaines sources, six personnes
ont été tuées dans des heurts dans
un district du centre, Deiyai, mer­
credi 28 août, lorsque la police a
tiré à balles réelles sur des mani­
festants. La police a confirmé un
mort dans ses rangs et deux dans
ceux des protestataires.
Les troubles ont débuté à la suite
d’une descente de police non pas
sur l’île de Papouasie mais dans la
deuxième ville d’Indonésie, Sura­
baya, le 17 août, date de fête de l’in­

tant les étudiants de « singes » et
de « chiens ». L’armée a précisé
que les officiers en question se­
raient rappelés à l’ordre.
Il n’en fallait pas davantage pour
que les Papous se mobilisent,
après des décennies de frustration
politique. Ancienne colonie néer­
landaise, la moitié occidentale de
l’île de Papouasie a été rattachée à
l’Indonésie de Sukarno après un
accord de 1962, prévoyant l’organi­
sation sous sept ans d’un référen­
dum d’autodétermination pour
ce peuple mélanésien.

« L’étoile du matin »
En 1969, seuls 1 025 citoyens soi­
gneusement désignés par l’armée
indonésienne étaient appelés à
voter, et optaient sans aucune sur­
prise pour le rattachement à l’In­
donésie, un processus approuvé
par les Nations unies. La Papoua­
sie indonésienne est depuis en
proie à un mouvement indépen­
dantiste, violemment réprimé par
les autorités centrales, et incarnée
par une rébellion armée, l’Organi­
sation pour une Papouasie libre.
Dès le 19 août, des manifestants
descendaient dans les rues de Ma­
nokwari, la capitale de la province
de Papouasie occidentale, et met­
taient le feu au Parlement local.
Une prison était également in­
cendiée, permettant à 250 con­
damnés de s’enfuir. La mobilisa­
tion n’a pas cessé depuis. Internet
a été coupé sur place, afin d’éviter,
selon Djakarta, que se propagent

les fausses rumeurs, mais la po­
pulation y voit une tentative
d’étouffer le mouvement, et au
moins un bureau d’une compa­
gnie de télécoms a été incendie.
A Sorong, la plus grande ville de
cette province, les manifestants
s’en sont pris à l’aéroport. Dans la
ville de Deiyai, des milliers de pro­
testataires se sont rassemblés
lundi aux cris de « Papouasie li­
bre! », « La Papouasie n’est pas
rouge et blanche, la Papouasie est
l’étoile du matin », référence au
nom du drapeau indépendantiste.
Ou encore « Indonésie, va­t­en! »
Jeudi, à Jayapura, capitale de la
province de Papouasie, les protes­
tataires ont incendié une prison
où sont détenus des militants in­
dépendantistes, certains s’échap­
pant, ainsi qu’un poste de police et
des véhicules de la garnison. Des
troupes ont été envoyées dans
cette région déjà sous forte pré­

sence militaire, et à laquelle la
presse étrangère n’a pas accès.
A Djakarta, des centaines de jeu­
nes Papous ont défilé du quartier
général de l’armée à la résidence
présidentielle, mercredi. « Les étu­
diants et le peuple papou sont d’ac­
cord pour un référendum », a dit au
Djakarta Post un des coordina­
teurs de la mobilisation, Ambro­
sius, qui, comme il est commun
dans l’archipel, n’a qu’un nom.

Rente
Le président indonésien, Joko Wi­
dodo, surnommé « Jokowi », a ap­
pelé les Papous à ne pas commet­
tre d’« actes anarchiques ». « Nous
y perdons tous si les biens publics
que nous avons bâtis ensemble
sont endommagés », a tenté de
faire valoir jeudi à la télévision le
chef de l’Etat, qui avait déjà appelé
à « se pardonner mutuellement »
au lendemain de la descente sur
le dortoir. « Le gouvernement
reste déterminé à améliorer la si­
tuation de la Papouasie, afin que
nos concitoyens et les enfants de
Papouasie puissent jouir du pro­
grès et de la prospérité », a dit le
président, réélu en mai.
« Jokowi » espère atténuer les
maux de la Papouasie indoné­
sienne en y investissant massive­
ment et en développant les infras­
tructures. La région est riche en
ressources – on y trouve le site de
Grasberg, première mine d’or et
deuxième site d’extraction de cui­
vre de la planète. Le président a

annoncé en décembre 2018 que
l’Etat avait récupéré une part ma­
joritaire du site, pour 3,85 mil­
liards de dollars, afin que la rente
profite davantage au pays. Le pré­
sident a aussi consacré 1,25 mil­
liard d’euros à la construction
d’une route nationale sur des mil­
liers de kilomètres dans la moitié
occidentale de l’île. Les indépen­
dantistes y voient un moyen pour
Djakarta de renforcer son emprise
et de piller davantage la région.
Les attaques contre le chantier
de la route se sont multipliées ;
seize ouvriers ont été tués en dé­
cembre 2018. Les combats ont fait
fuir des centaines de villageois.
Le président avait dû annoncer en
mars, à l’approche du scrutin, que
600 soldats seraient déployés sur
le chantier pour mener à bien un
de ses projets­phares.
harold thibault

Joshua Wong
et Agnes Chow,
militants pro­
démocratie, à
leur arrivée au
tribunal, à
Hongkong,
le 30 août.
TYRONE SIU/REUTERS

dépendance indonésienne. Ce
jour­là, les habitants de l’archipel
doivent hisser le drapeau rouge et
blanc devant chez eux.
Ce jour­là, des allégations selon
lesquelles des étudiants de la mi­
norité papoue auraient arraché
un drapeau qui flottait devant
leur dortoir, avant de le jeter dans
le caniveau, sont remontées à la
police locale. Les agents ont mené
une importante opération sur les
lieux, entrant par la force et em­
ployant des gaz lacrymogènes.
Quarante­trois jeunes ont été em­
menés au poste. Des vidéos ont
circulé les jours suivant sur les ré­
seaux sociaux dans la commu­
nauté papoue, montrant des poli­
ciers et des membres d’une mi­
lice nationaliste du quartier trai­

1 000 km

PHILIPPINES

CHINE

AUSTRALIE

INDONÉSIE

Deiyai

Papouasie
indonésienne

Djakarta

Jayapura

Manokwari
Sorong

Surabaya

Les partisans de
l’indépendance
voient, dans un
grand projet de
route, un moyen
pour le président
indonésien
de renforcer
son emprise

« Les troupes ont
acquis la capacité
de défendre
Hongkong »,
indique
la propagande
chinoise

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