Le Monde - 29.08.2019

(coco) #1

10 |france JEUDI 29 AOÛT 2019


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Blanquer joue l’apaisement avec les enseignants


Pour sa troisième rentrée, le ministre de l’éducation a promis une « juste reconnaissance du travail des personnels »


L


e monde enseignant
aura­t­il l’« acte II » qu’il
appelle de ses vœux? Bé­
néficiera­t­il, après une
première partie de quinquennat
rythmée par des réformes à tous
les niveaux de la scolarité, de ce
« temps de respiration » qu’il ré­
clame pour mettre en débat
d’autres questions : les salaires,
les carrières, les retraites?
C’est en tout cas le message que
leur adresse le gouvernement en
cette troisième rentrée scolaire
de l’« ère Blanquer ». Lors de sa
traditionnelle conférence de ren­
trée, mardi 27 août, le ministre de
l’éducation a fait de la « juste re­
connaissance du travail des per­
sonnels » l’un des axes prioritaires
de l’année qui vient ; une année
qu’il a placée « sous le signe de la
maturité et de la réussite ».
Jean­Michel Blanquer ne s’est
pas contenté d’évoquer la réforme
du lycée (qui s’appliquera dès sep­
tembre à la première génération
d’élèves entrant en première),
l’abaissement de l’âge de l’instruc­
tion obligatoire à 3 ans, l’accueil
des élèves handicapés, les dédou­
blements de classes en éducation
prioritaire, la prise en compte des
enjeux climatiques ou encore le
« plan violence » attendu depuis
bientôt un an. C’est en « ministre
des ressources humaines » qu’il a
voulu inaugurer cette année sco­
laire, réagit­on déjà dans les cer­
cles d’enseignants.

« Réduire le fossé »
Le contexte politique s’y prête : la
loi de transformation de la fonc­
tion publique tout juste promul­
guée et la réforme des retraites
qui se dessine (et dont les ensei­
gnants redoutent d’être les
« grands perdants ») pèsent
autant que la disparition des
séries S, L et ES au lycée, ou les
programmes scolaires à peine
publiés, sur le retour en classe
lundi 2 septembre.
La feuille de route livrée par le
chef de l’Etat à ses ministres est
connue, l’« apaisement » en est le
maître mot. Lundi 26 août, sur le
plateau de France 2, Emmanuel
Macron a lui­même lancé l’opéra­
tion déminage : « Ce n’est pas
juste de décaler l’âge de départ » à
la retraite, a affirmé le président
de la République, citant expressé­
ment parmi les professions pou­
vant être « lésées » les ensei­
gnants, qui touchent très peu de
primes comparativement aux
autres fonctionnaires.
Mardi matin, devant la presse,
le ministre de l’éducation n’a
donc pas seulement endossé le
costume du « DGRH » pour rassé­

réner la profession. Il a aussi
(re)donné la preuve qu’il reste,
même après la session chaotique
du bac 2019, qui l’a vu hausser le
ton contre les enseignants gré­
vistes et leur promettre des
« sanctions », le bon élève du gou­
vernement. « Il est temps de tour­
ner la page de la crise du bacca­
lauréat, de passer à autre chose »,
a affirmé M. Blanquer, en insis­
tant sur « la nécessité de travailler
en profondeur avec les partenai­
res sociaux ». Il faudra « revalori­
ser la profession », a­t­il ajouté.
« Nous avons une opportunité his­
torique de travailler tranquille­
ment » sur cette question.
« Le ton a changé », reconnais­
sent les syndicats d’enseignants
reçus chacun leur tour, Rue de
Grenelle, en ces derniers jours du
mois d’août. Une première. L’en­
semble des syndicats avait déjà
été convié au ministère de l’édu­
cation, à la mi­juillet, pour tenter
de « réduire le fossé entre, d’un
côté, la frange d’enseignants prêts
à en découdre pour ne pas voir le
“bac Macron” appliqué, et, de
l’autre, un ministre de l’éducation

qui ne semblait pas prêt à infléchir
ses réformes », s’inquiétait­on
alors dans les rangs du SNPDEN­
UNSA, syndicat majoritaire parmi
les chefs d’établissement.
Du deuxième round de rencon­
tres, les porte­parole du monde
enseignant sont sortis avec le
sentiment, pour beaucoup d’en­
tre eux, que le « bras de fer » pour­
rait être derrière eux. C’est en
tout cas ce qu’ils espèrent. « Il y a
une ouverture du dialogue très
claire sur la question des salai­
res », reconnaît­on au SNUipp­
FSU, syndicat majoritaire dans
l’enseignement élémentaire.
« Après deux années et demie à

porter maintes et maintes fois les
mêmes demandes, on se sent en­
tendus », confie­t­on au SE­UNSA.
Le SGEN­CFDT salue, lui aussi,
un « infléchissement dans la pos­
ture et un changement dans le
discours ». « M. Blanquer semble
ne plus se positionner en homme
qui agit seul », fait­on aussi re­
marquer dans les rangs du SNES­
FSU, majoritaire dans le secon­
daire. « Il y a des efforts dans la
manière ; on attend de voir s’il y a
des efforts dans la matière »,
confie­t­on au Snalc.

« 300 euros annuels de plus »
Car, sur le fond, si des « gages
sont donnés », reconnaissent ces
syndicats dans une rare unani­
mité, si des « sujets qui fâ­
chent ont été gommés » (comme
le projet de rapprochement éco­
le­collège), « tout reste à concréti­
ser ». Concernant les réformes
qui s’annoncent, trois « comités
de suivi » seront créés – sur le ly­
cée, sur la voie professionnelle et
sur les nouvelles écoles du pro­
fessorat. « C’est un symbole de
notre implication, estime Sté­

phane Crochet, du SE­UNSA, à
condition qu’on y travaille réelle­
ment... et collectivement. » « Ce
peut être un bon outil, analyse,
dans la même veine, Claire Gué­
ville, du SNES­FSU, dès lors que
ces comités sont dotés de moyens
d’expertise et permettent d’abou­
tir à des décisions politiques. »
Un texte de cadrage sur la for­
mation – sujet de préoccupation
majeur – est attendu dès septem­
bre. Des « mesures sociales » sur
le logement des enseignants ou
sur l’accès à la culture sont aussi
promises.
Sur l’épineuse question de la
revalorisation, M. Blanquer a in­
sisté, mardi, sur l’augmentation
des rémunérations déjà négociée
dans le budget 2020, à hauteur de
« 300 euros annuels de plus pour
chaque personnel de l’éducation
nationale » – en moyenne, préci­
se­t­on dans son entourage. Il a
également rappelé la défiscalisa­
tion des heures supplémentaires
et la revalorisation de la prime
dans les réseaux d’éducation
prioritaire renforcés (les REP +,
dans le jargon de l’école). « Cela

ne suffit pas, réagit Frédérique
Rolet, du SNES­FSU. Le gouverne­
ment semble vouloir traiter la re­
valorisation des enseignants en la
liant à la question des retraites.
Cela ne compensera pas les pro­
grès à faire dès les débuts de car­
rière! » Une rencontre au minis­
tère avec Jean­Paul Delevoye,
haut­commissaire à la réforme
des retraites, pourrait avoir lieu
dans les semaines qui viennent.

Préavis de grève
Cette relance du dialogue garan­
tit­elle une rentrée des classes
« techniquement réussie », comme
le veut la formule consacrée, avec
chacun des 870 900 enseignants
dans leur classe, et 12,4 millions
d’élèves satisfaits? Des préavis de
grève courent pour tout le mois de
septembre, déposés par bon nom­
bre de syndicats d’enseignants.
Dans les lycées, « on ne peut oc­
culter qu’il y a un passif », fait ob­
server Claire Guéville, du SNES­
FSU. Au primaire, la loi Blanquer
reste « ressentie par les ensei­
gnants comme une duperie, as­
sure pour sa part Francette
Popineau, du SNUipp­FSU. Et la
perspective des évaluations à re­
faire passer [ces tests en CP et CE
qu’une frange des instituteurs
avaient boycottés] est toujours
mal vécue ».
« Partout où ça a coincé avant
l’été, dans les lycées et les centres
d’examen les plus mobilisés, on
peut s’attendre à ce que la contes­
tation reprenne, pronostique Jules
Siran, de SUD­Education, syndicat
qui a appelé à la tenue d’« assem­
blées générales » dès la rentrée. Il
faut profiter du moment : notre
rapport de force est aujourd’hui
favorable face au gouvernement! »
Beaucoup d’autres ne voient pas
la « mèche se rallumer », notam­
ment dans les rangs des provi­
seurs de lycée, où l’on assure avoir
« tout donné » pour que les em­
plois du temps et la composition
des classes soient « cohérents ». Le
ministère de l’éducation a pris les
devants, demandant aux recto­
rats de contacter, fin août, chaque
établissement pour s’en assurer.
« Une rentrée est toujours à ris­
ques : c’est un moment où la so­
ciété tout entière braque son re­
gard sur l’école, rappelle Stéphane
Crochet du SE­UNSA. Celle­ci s’ins­
crit, il est vrai, dans un contexte
social et politique particulier. »
« Mais la rentrée, conclut­il, c’est
d’abord un moment ou chacun
souhaite que tout se passe bien. »
Réponse lundi 2 septembre.
mattea battaglia,
violaine morin
et camille stromboni

Face aux violences scolaires, un « plan sécurité » réduit au minimum


Promis à l’automne 2018, et depuis régulièrement repoussé, le dispositif présenté mardi fait l’impasse sur les pistes les plus polémiques


A


près avoir été repoussé
pendant près d’un an, le
« plan sécurité » promis
par le ministre de l’éducation na­
tionale à l’automne 2018 a été
présenté, mardi 27 août, lors de sa
conférence de presse de rentrée.
Jean­Michel Blanquer a donné le
détail des dispositifs mis en
œuvre pour renforcer la sécurité
dans les établissements scolaires.
Ce chantier avait été lancé pour
répondre à l’agression survenue
le 19 octobre 2018 dans un lycée à
Créteil. La vidéo d’une ensei­
gnante braquée avec une arme
factice par un élève avait fait le
tour des réseaux sociaux et dé­
clenché des dizaines de milliers
de réactions, les professeurs dé­
nonçant le tabou de la violence
dont ils sont victimes sous le
hashtag #pasdevagues. Dans la
foulée, le ministère de l’éducation
nationale avait lancé une mission

d’expertise. Annoncé pour mi­dé­
cembre, ce « plan d’action » avait
été repoussé au printemps, puis à
l’été... Avant d’être annoncé parmi
les nouveautés de la rentrée.

Responsabiliser les parents
C’est une série de mesures rédui­
tes au minimum qui voient le jour,
au regard des pistes évoquées
dans le sillage de la crise « pas de
vagues ». Il n’y est plus question de
policiers dans les établissements


  • une possibilité évoquée, fin oc­
    tobre 2018, par le ministre de l’in­
    térieur –, ni de sanctions financiè­
    res à l’encontre des familles d’en­
    fants violents. Le dispositif préfère
    un « protocole d’accompagnement
    et de responsabilisation des pa­
    rents » lorsqu’un élève a été exclu
    définitivement au moins deux
    fois au cours de l’année.
    Sur ce point, le ministre de l’édu­
    cation semble avoir hésité. Le


12 février, lors de l’examen du pro­
jet de loi « pour une école de la
confiance » à l’Assemblée, Eric
Ciotti (LR, Alpes­Maritimes) avait
réclamé des sanctions financières
par le biais d’un amendement.
Lors d’une suspension de séance,
une trentaine de députés de la
majorité La République en mar­
che (LRM) s’étaient fortement
opposés à l’adoption de cet amen­
dement que le ministre envisa­
geait, selon les informations re­
cueillies par Le Monde auprès de
députés présents. Les sanctions
financières n’étaient pas dans la
« ligne » présidentielle, avait rap­
pelé Benjamin Griveaux, alors
porte­parole du gouvernement.
Outre ce compromis « entre ne
rien faire du tout et taper au porte­
feuille », dit le secrétaire général
du SNPDEN, Philippe Vincent, les
mesures présentées le 27 août
« creusent le même sillon ». Une

collaboration interministérielle
accrue entre justice, éducation
nationale et ministère de l’inté­
rieur, des référents « violence »
dans chaque département, la pro­
messe de mieux accompagner les
professeurs victimes et la possibi­
lité d’inscrire des élèves « grands
perturbateurs » et « polyexclus »
dans des « classes relais » sans
l’accord de leur famille.

« Les familles s’opposaient rare­
ment à l’inscription de leurs en­
fants dans les classes relais, com­
mente Benjamin Moignard, socio­
logue à l’université Paris­Est et
spécialiste des violences scolaires.
Le problème est plutôt qu’il n’y en a
pas assez au regard des besoins. »
La mesure relève donc « plutôt de
l’affichage », comme le sont sou­
vent, selon lui, les annonces relati­
ves à la sécurité : « Il y a eu quatorze
plans violence depuis le milieu des
années 1990 », rappelle­t­il.
Du reste, les annonces présen­
tées le 27 août se situent dans la
continuité. Le renforcement des
patrouilles de police aux abords
des établissements dans les
« quartiers de reconquête répu­
blicaine » rejoint « la marotte ha­
bituelle de la sécurisation des
abords, qui part d’un principe
faux, puisque les problèmes vien­
nent en majorité de l’intérieur,

juge Benjamin Moignard. Les in­
trusions, même si elles sont trau­
matisantes pour les personnels, ne
correspondent pas au quotidien
des enseignants ».
A l’inverse, le sociologue regrette
que ne soit pas prise à bras­le­
corps la question de la « stabilisa­
tion des équipes » dans les établis­
sements difficiles, où le turnover
est souvent plus important
qu’ailleurs. Or, il s’agit d’un « véri­
table levier », plaide l’expert, puis­
qu’un établissement où l’équipe
est soudée connaîtra moins de
violences « qu’un autre à profil
comparable ». En revanche, l’idée
de simplifier les procédures de
sanctions et de favoriser celles qui
représentent une « plus­value édu­
cative » est pour lui sensée, dans la
mesure où « l’une des difficultés est
la déconnexion entre ce qui s’est
passé et la sanction reçue ».
v. m.

Il n’est plus
question de
policiers dans les
établissements,
ni de sanctions
financières pour
les familles
d’enfants violents

JM. Blanquer, lors de sa conférence de presse de rentrée, au ministère de l’éducation nationale à Paris, mardi. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP

« Il est temps de
tourner la page
de la crise
du baccalauréat,
de passer
à autre chose »
JEAN-MICHEL BLANQUER
ministre de l’éducation
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