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ÉCONOMIE & ENTREPRISE
JEUDI 29 AOÛT 2019
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La France résiste, l’Allemagne patine
L’économie française se montre plus résiliente face aux incertitudes extérieures que sa voisine d’outreRhin
V
oilà qui est plutôt de
bon augure pour la
rentrée économique
du gouvernement.
Après un G7 (clos lundi 26 août)
jugé réussi sur le plan diplomati
que, la série d’enquêtes, publiées
mardi 27 août par l’Insee, a de
quoi prêter à un optimisme relatif
- du moins, au regard des incerti
tudes généralisées qui planent
sur la scène internationale.
Si l’on excepte le commerce de
détail, qui a baissé, le climat des
affaires mesuré auprès des chefs
d’entreprise est en effet resté sta
ble au mois d’août dans la plupart
des secteurs, et ce, à un niveau su
périeur à sa moyenne historique.
De même, la confiance des ména
ges s’est stabilisée à son plus haut
niveau depuis fin 2017.
Certes, les carnets de comman
des dans l’industrie sont bas et les
patrons du secteur manufactu
rier ont réduit de cinq points
leurs prévisions d’investisse
ments pour 2019 par rapport à
avril. Mais ils prévoient toujours
d’augmenter ces derniers de 6 %
sur l’ensemble de 2019.
« Dit autrement : ils n’ont pas
sombré dans la sinistrose, et cela
tranche avec ce que l’on observe
dans le reste de l’Europe », cons
tate Philippe Waechter, écono
miste en chef d’Ostrum AM. « Ce
n’est pas flamboyant, mais alors
que l’économie de nos trois grands
partenaires – Italie, Allemagne et
RoyaumeUni – a stagné ou s’est
contractée entre avril et juin, la
France s’en sort un peu mieux »,
ajoute Mathieu Plane, de l’Obser
vatoire français des conjonctures
économiques (OFCE).
Un rythme de tortue
De fait, la situation de l’Allema
gne est particulièrement préoc
cupante. Face aux tensions com
merciales, le moral de ses entre
preneurs a plongé à son plus bas
niveau depuis fin 2012 en août,
selon l’enquête publiée, lundi
26 août, par l’institut Ifo. Pis, l’in
dustrie allemande est quasiment
à l’arrêt, affectée par les nouvelles
normes écologiques dans l’auto
mobile et par le ralentissement
chinois. « Les derniers chiffres
laissent penser que la décennie
dorée que vient de connaître l’Alle
magne est terminée », s’inquiète
Carsten Brzeski, économiste chez
ING, à Francfort.
Au deuxième trimestre, son
produit intérieur brut (PIB) a re
culé de 0,1 %, miné par le plon
geon des importations (– 1,3 %),
alors que celui de la France a pro
gressé de 0,2 %. Et l’écart devrait
se creuser encore ces prochains
mois : sur l’ensemble de 2019, la
croissance allemande ne devrait
guère dépasser les 0,5 %, selon la
Commission européenne, contre
1,3 % de ce côtéci du Rhin...
Etrange retournement : long
temps admirée comme la loco
motive de l’économie euro
péenne, l’Allemagne est désor
mais désignée comme son
homme malade. A l’inverse,
l’élève moyen qu’est la France ap
paraît mieux doté pour faire face
au ralentissement.
« Cela tient pour beaucoup au
modèle économique choisi par nos
deux pays », avance M. Waechter.
Au tournant des années 2000, ce
lui d’Angela Merkel est entré dans
une longue ère de modération sa
lariale, qui a dopé sa compétiti
vité à l’international. Dans le
même temps, sa production in
dustrielle s’est en partie déployée
en Europe de l’Est et, surtout, s’est
massivement tournée vers les
consommateurs asiatiques. La
France, elle, est restée centrée sur
sa demande intérieure (les dépen
ses des ménages pèsent 55 % du
PIB), laissant son industrie douce
ment décliner.
Résultat : aujourd’hui, près de la
moitié du PIB allemand dépend
des exportations, contre guère
plus de 30 % du PIB tricolore.
Quand le commerce mondial va
bien, la machine allemande fait
donc des étincelles, tandis que
celle de la France progresse à un
train de sénateur. Quand les
échanges internationaux ralen
tissent, en revanche, le moteur al
lemand cale... Et la croissance
française, fidèle à son rythme de
tortue, résiste un peu mieux.
Problèmes structurels
D’autant que la large taille de son
secteur public contribue à amor
tir les chocs venus de l’extérieur.
« Nos voisins sont plus affectés
par les incertitudes secouant le
commerce mondial et par les
troubles politiques internes, dans
le cas de l’Italie et du Royaume
Uni », résume M. Plane. Tout en
soulignant que l’investissement
des entreprises françaises a pro
gressé de 1,2 % au deuxième tri
mestre, et que les créations d’em
plois sont restées dynamiques
(62 100 entre avril et juin).
Mais ce n’est pas tout. « Au total,
le gouvernement français a con
cédé des mesures budgétaires de
près de 25 milliards d’euros en fa
veur des ménages, soit 1 % du PIB,
essentiellement dans la foulée de
la crise des “gilets jaunes” et du
grand débat », calcule Daniela Or
donez, économiste en chef France
chez Oxford Economics, dans une
note sur le sujet. Un coup de
pouce qui ne pouvait pas mieux
tomber pour atténuer les incerti
tudes extérieures.
Pourtant, il ne joue pas encore à
plein : malgré la confiance qu’ils
affichent, les ménages ont jus
qu’ici préféré épargner une partie
du pouvoir d’achat gagné, si bien
que leurs dépenses de consom
mation ont progressé de 0,2 %
seulement au deuxième trimes
tre. « C’est moins que ce que l’on
attendait, observe M. Plane.
Toute la question est de savoir si
leurs dépenses augmenteront sur
la deuxième partie de l’année, où
si les incertitudes, par exemple
liées à la réforme des retraites,
pousseront encore les ménages à
mettre de côté. »
Dans tous les cas, une chose est
sûre : critiqué quand le reste du
monde va bien, le modèle fran
çais et sa « mollesse » conserve
les faveurs des investisseurs
quand les autres vont mal. Début
juillet, l’Etat a ainsi emprunté sur
dix ans à des taux négatifs pour
la première fois de son histoire.
Ce qui signifie que des financiers
en quête de placements sûrs ont
accepté de perdre un peu d’ar
gent pour détenir des titres de
dettes tricolores.
En 2018, notre pays a en outre
attiré 1 027 projets d’investisse
ments internationaux, soit 1 % de
plus qu’en 2017, selon le baromè
tre du cabinet EY, publié le 4 juin.
Il est ainsi passé devant l’Allema
gne, où le nombre de projets re
Les tensions commerciales fragilisent l’économie mondiale
Confrontées au manque de visibilité lié, entre autres, aux crispations sinoaméricaines, les entreprises diffèrent leurs investissements
U
n climat d’incertitude,
exacerbé par les tensions
sinoaméricaines, décou
rage les investissements et pèse
sur la croissance économique
mondiale. Les dirigeants du G7,
réunis à Biarritz (PyrénéesAtlanti
ques), n’ont pas caché leur inquié
tude en insistant, lundi 26 août,
dans leur déclaration commune,
sur leur « attachement » à la « stabi
lité de l’économie mondiale ».
S’il est encore difficile de mesu
rer l’impact des tensions com
merciales entre les EtatsUnis et
la Chine, ses effets se font d’ores
et déjà sentir. Dans un rapport
publié le 23 août, le Fonds moné
taire international (FMI) estime
que la hausse des droits de
douane annoncée par les deux
pays en mai amputera la crois
sance du produit intérieur brut
(PIB) mondial de 0,3 point de
pourcentage en 2020. Un « man
que à gagner » qui s’ajoute au 0,
point de PIB projeté par l’institu
tion de Washington après la
hausse des taxes sur les importa
tions instaurée en 2018.
« Les dernières ripostes dans la
guerre commerciale sinoaméri
caine semblent anéantir tout es
poir de résolution à court terme »,
relève l’agence de notation Stan
dard & Poor’s dans une note pu
bliée lundi, en s’alarmant de « l’in
certitude qui continue à saper la
confiance des investisseurs et des
entreprises ».
Il faut dire que la surenchère à
laquelle se livrent les deux camps
n’est pas rassurante. Après les
multiples hausses de droits de
douane, puis l’affaire Huawei (le
géant chinois des télécommuni
cations est accusé d’espionnage
par Washington), Pékin a laissé sa
devise filer audessous de la barre
de 7 renminbis pour 1 dollar, au
début du mois d’août, avant d’être
accusé par Donald Trump de
« manipuler sa monnaie ».
Face au manque de visibilité, les
entreprises diffèrent leurs inves
tissements. « L’investissement et
la demande de biens de consom
mation durables sont modérés
dans l’ensemble des pays avancés
et des pays émergents, les entrepri
ses et les ménages continuant de
freiner leurs dépenses à long
terme », a constaté le FMI, dans sa
note sur les perspectives de l’éco
nomie mondiale, en juillet. Il
avait alors révisé à la baisse sa pré
vision de croissance mondiale
pour 2019, de 3,3 % à 3,2 %.
Brève panique
Le climat tendu entre Pékin et
Washington n’est pas la seule me
nace qui pèse sur la conjoncture.
« D’autres facteurs comme le ris
que de retournement de l’écono
mie américaine, le spectre du
Brexit, le niveau élevé d’endette
ment des entreprises et la crise du
secteur automobile accroissent les
incertitudes », souligne Sébastien
Jean, directeur du Centre d’études
prospectives et d’informations
internationales (Cepii). Et ce, alors
que la marge de manœuvre des
banques centrales, dont les taux
directeurs sont déjà bas, est faible.
En cette ère d’instabilité, les in
vestisseurs se rabattent sur des
placements sûrs, tels les bons du
Trésor, l’or – dont le cours s’est en
volé pour atteindre, lundi, son ni
veau le plus élevé depuis 2013
(près de 1 555 dollars, soit
1 400 euros l’once) – ou le dollar.
Les investisseurs préfèrent le
court au long terme, comme l’at
teste la forte demande en obliga
tions américaines à deux ans,
dont le prix s’est apprécié. Mi
août, le taux d’intérêt sur les bons
du Trésor américains à dix ans est
brièvement passé sous celui des
bons à deux ans, un inversement
des courbes interprété comme un
signe avantcoureur d’une réces
sion et qui a créé une brève pani
que sur les marchés boursiers.
Devant ces défis, le G7 a esquissé
quelques pistes timides pour ren
forcer la stabilité de l’économie
mondiale. Les chefs d’Etat se sont
engagés, lundi, « à changer en pro
fondeur l’OMC [l’Organisation
mondiale du commerce] afin
qu’elle soit plus efficace dans la
protection de la propriété intellec
tuelle, règle plus rapidement les
différends et éradique les prati
ques commerciales déloyales ».
julien bouissou
SOURCES : EUROSTAT, BANQUE MONDIALE, COFACE
Economie, le match franco-allemand
France
France Allemagne
Allemagne
L’Allemagne est plus exposée aux difficultés
du commerce mondial...
PART DES EXPORTATIONS DE BIENS ET SERVICES DANS LE PIB,
EN %, EN 2018
31,
47
France Allemagne
... et au ralentissement de l'industrie
POIDS DE L'INDUSTRIE DANS LE PIB, EN %, EN 2018
10,
20,
Le PIB fléchit plus vite outre-Rhin
ÉVOLUTION DU PIB TRIMESTRIEL, EN %
1,
0,
0,
- 0,
T1 T
2017
T3 T
1,
0,
0,
0,
- 0,
0
0,
1,
T1 T
2018 2019
T3 T4 T1 T
Nos entreprises investissent plus
ÉVOLUTION TRIMESTRIELLE DU TAUX D'INVESTISSEMENT
DES ENTREPRISES NON FINANCIÈRES, EN %
23,
20
24,
20,
T1 T
2017
T3 T
25
17
15
19
21
23
T1 T
2018 2019
T3 T4 T1 T
Le marché de l'emploi tricolore reste en moins bonne forme
ÉVOLUTION DU TAUX DE CHÔMAGE MENSUEL,
AU SENS DU BIT, EN %
9,
3,
8,
3,
T1 T
2017
T3 T
10
7
5
4
2
3
6
8
9
T1 T
2018 2019
T3 T4 T1 T
Plus endetté, notre pays a moins de marges
de manœuvre budgétaires
DETTE PUBLIQUE ANNUELLE, EN % DU PIB
2014 2015 2016 2017 2018
94,
75,
95,
71,
98
68,
98,
64,
98,
60,
Longtemps
admirée comme
la locomotive
de l’économie
européenne,
l’Allemagne
est désormais
désignée comme
son homme
malade
censés (973) a chuté de 13 %.
Outre le risque de récession, Ber
lin devra faire face, ces prochai
nes années, à la baisse tendan
cielle de la consommation de
biens industriels dans le monde
(au profit des services), ainsi qu’à
la concurrence d’une Asie de plus
en plus innovante, fragilisant
son modèle.
Pour autant, la France est elle
aussi confrontée à des problèmes
structurels de taille, tels que son
endettement public élevé, un
taux de chômage important chez
les jeunes peu diplômés, ou la fra
gilité du tissu de PME. Surtout :
« Nous ne sommes pas complète
ment immunisés contre le ralentis
sement extérieur, loin de là », pré
vient M. Waechter.
Si l’Allemagne devait sombrer
dans une grave récession, si les
tensions commerciales entre Pé
kin et Washington s’enveni
maient de nouveau, l’économie
française plongerait elle aussi.
Consolation, si l’on peut dire : la
chute serait probablement un
peu moins brutale que celle de
nos voisins...
marie charrel