Le Monde - 29.08.2019

(coco) #1
0123
JEUDI 29 AOÛT 2019 économie & entreprise| 13

Editis s’allie à Jungle


dans la bande dessinée


Le groupe dirigé par Pierre Conte se renforce
ainsi dans un secteur de l’édition qui va bien

O


fficiellement dans le gi­
ron de Vivendi depuis le
1 er février, Editis poursuit
ses emplettes et complète le
spectre non encore couvert par
ses cinquante maisons. Mercredi
28 août, le groupe dirigé par
Pierre Conte devait annoncer son
renforcement dans la bande des­
sinée et le roman graphique, deux
secteurs quasiment absents de
l’entreprise.
Une aubaine aussi puisque ce
créneau, dans un marché général
de l’édition déprimé (– 4,4 %
en 2018, selon le Syndicat natio­
nal de l’édition), se porte bien. Les
ventes de BD ont, en effet, rebondi
de façon spectaculaire au cours
des six premiers mois de l’année
(+ 9,9 % par rapport à la même pé­
riode de 2018, selon GFK).

Adaptations de romans
Dans le droit fil du discours prôné
par Vivendi sur les vertus espé­
rées de la convergence des mé­
tiers, Editis va rapprocher sa filiale
Edi8 (pôle pratique et illustré) des
éditions Jungle (qui appartien­
nent au petit groupe indépendant
de BD et de romans graphiques
Steinkis) pour créer de concert
une nouvelle maison d’édition de
bande dessinée. Son nom n’est
pas encore choisi. Déjà, Moïse Kis­
sous, qui dirige Steinkis Groupe, a
initié de nombreux projets avec
certaines maisons du groupe
(Nathan, Pocket, Plon, Les Escales,
404), en coédition (comme les ré­
cits de grands reporters en Syrie,
au Kurdistan et en Amazonie) ou
en achats de droits (l’adaptation
en BD de la série Les Filles au cho­

colat signée par Cathy Cassidi chez
Nathan par exemple).
« Nous proposons à nos auteurs
de faire vivre leurs univers sur dif­
férents supports et d’adapter leurs
romans en BD voire en déclinai­
sons audiovisuelles », affirme Vin­
cent Barbare, président d’Edi8. Il
assure avoir reçu un feu vert des
principaux écrivains du groupe


  • français ou anglo­saxons – pour
    adapter leurs ouvrages au neu­
    vième art. Mais garde la primeur
    des quinze premiers projets de ro­
    mans graphiques ou de BD pour
    le prochain festival d’Angoulême,
    en janvier 2020.
    Pour Moïse Kissous, le principal
    avantage de cette alliance sera de
    compléter l’offre éditoriale de
    Jungle grâce à un accès à la BD de
    genre (policier, fantastique,
    science­fiction, etc.). Ce partena­
    riat se traduit aussi par une prise
    de participation de 30 % d’Editis
    dans le capital de Steinkis Groupe

  • dont le chiffre d’affaires s’élève
    à 5 millions d’euros. Enfin, ce
    dernier confiera à Editis, dès
    janvier 2020, la diffusion et la dis­
    tribution de l’ensemble de ses
    catalogues – et pas seulement,
    comme aujourd’hui, celui de
    Véga (mangas).
    En neuf mois, le deuxième édi­
    teur français après Hachette Livre
    a racheté les éditions Héloïse
    d’Ormesson – qui publient les très
    médiatiques Tatiana de Rosnay et
    Jean d’Ormesson – puis L’Archipel
    (dont le prisme englobe les écrits
    du dalaï­lama et la Bibliothèque
    des classiques) ainsi que L’Agrume
    (jeunesse). Pas de trêve, donc.
    nicole vulser


Après un divorce en 2008, les sociétés mères


de Marlboro prêtes à se remarier


Altria et Philip Morris International ont annoncé discuter d’une éventuelle fusion entre
égaux. Le nouvel ensemble atteindrait un chiffre d’affaires de 55 milliards de dollars

A


près le divorce, le rema­
riage? Les mœurs finan­
cières sont coutumières
de ces volte­face censées satisfaire
les investisseurs. C’est ainsi que les
cigarettiers américains Philip
Morris International et Altria ont
annoncé, mardi 27 août, discuter
d’une éventuelle fusion entre
égaux. Une transaction qui s’effec­
tuerait exclusivement sous forme
d’actions. Les deux entreprises
ont en commun la marque emblé­
matique Marlboro. Il y a un peu
plus de dix ans, en 2008, elles
avaient choisi de se séparer, Altria
portant la marque au cow­boy aux
Etats­Unis, quand Philip Morris
International la commercialisait
hors des frontières américaines.
Cette fusion, si elle se concrétise,
intervient au moment où le mar­
ché du tabac vit de grands boule­
versements. La consommation de
cigarettes ne cesse de s’éroder, en
particulier en Europe et aux Etats­
Unis. Ainsi Philip Morris Interna­
tional a vu ses ventes de cigarettes
baisser de 2,1 % en 2018, à 781 mil­
liards d’unités. Une activité qui
reste toutefois un véritable pac­
tole, puisque le chiffre d’affaires

de ce géant du tabac a frôlé,
en 2018, les 30 milliards de dollars
(27 milliards d’euros) pour un bé­
néfice net de 7,9 milliards de dol­
lars. Altria n’est pas en reste, qui
revendique un chiffre d’affaires de
25,4 milliards de dollars, assorti
d’un bénéfice net de 7 milliards de
dollars. Le nouvel ensemble at­
teindrait un chiffres d’affaires de
55 milliards de dollars.

Diversification
Altria comme Philip Morris Inter­
national cherchent donc à diversi­
fier leurs activités. Et n’hésitent
pas à faire des chèques astronomi­
ques pour tenter de trouver de
nouveaux filons. Ainsi, Altria a été
le premier cigarettier à investir
dans le cannabis. Début décem­
bre 2018, il a misé 1,8 milliard de
dollars pour s’emparer de 45 % du
capital de la société canadienne
Cronos. Une somme rondelette
pour une start­up qui pesait alors
à peine quelques millions de dol­
lars de chiffre d’affaires.
Quelques jours plus tard, fin dé­
cembre 2018, Altria sort de nou­
veau son chéquier et dépense
13 milliards de dollars pour acqué­

rir 35 % de la start­up Juul. Une en­
treprise créée en 2015 à San Fran­
cisco et qui a laminé tous ses con­
currents sur le marché américain
du vapotage. Avec sa e­cigarette
fortement dosée en nicotine et
ses recharges parfumées, elle a
conquis près des trois quarts du
marché aux Etats­Unis et a dé­
passé la barre du milliard de dol­
lars de ventes en 2018.
Toutefois, ce succès doit beau­
coup à l’engouement des lycéens
pour Juul. Avec les risques de dé­
pendance mis en lumière par les
autorités de santé. La ville de San
Francisco a d’ailleurs voté, en juin,
une ordonnance visant à interdire
la vente de cigarettes électroni­

ques. Elle a estimé que les fabri­
cants rendaient les lycéens, mi­
neurs, dépendants à la nicotine.
Les autorités de santé dénoncent
également le risque de dépen­
dance à d’autres drogues, lié à l’en­
gouement pour le vapotage.
De son côté, Philip Morris Inter­
national prône une autre alterna­
tive à la cigarette traditionnelle,
avec son produit de vapotage Iqos,
affirmant que, dans ce cas, le tabac
est chauffé, mais n’est pas brûlé.
Iqos, qui a été développé en in­
terne, est vendu dans de nom­
breux pays dont la France. Il a ob­
tenu en avril le feu vert des autori­
tés américaines pour être com­
mercialisé sur le sol américain.
Cette volonté d’étendre les ven­
tes d’Iqos aux Etats­Unis, d’une
part, et celles de Juul hors des
frontières américaines, d’autre
part, n’a pas manqué d’alimenter
la réflexion des investisseurs sou­
cieux de rapprocher les destinées
de Philip Morris International et
d’Altria. Quitte à brûler le projet
de scission entre les deux cigaret­
tiers, qu’ils avaient encensé il y a
une décennie.
laurence girard

L’Inde tente de relancer


une économie en berne


La nouvelle ministre des finances, Nirmala Sitharaman,


a annoncé une série de mesures censées favoriser l’investissement


bombay ­ correspondance

L


orsque l’Etat pioche dans
les réserves de la banque
centrale, cela signifie en
général que l’heure est
grave. Lundi 26 août, la Reserve
Bank of India (RBI) a annoncé, au
terme d’une épreuve de force avec
le gouvernement de Narendra
Modi de plusieurs mois, qu’elle
consentait à verser cette année la
somme record de 1 760 milliards
de roupies (22 milliards d’euros)
au budget de la nation. Jamais les
finances publiques fédérales de
l’Inde n’avaient reçu jusqu’ici pa­
reille obole.
D’après les calculs du journal
économique Mint, cela corres­
pond « au triple » du montant des
dividendes que l’institut d’émis­
sion avait versés à l’Etat en 2018,
et cela représente « le quart » des
stocks d’or et de devises que ce­
lui­ci avait affichés dans ses
comptes, l’an dernier. L’idée

d’une telle opération circulait
depuis bientôt un an, avant les
élections législatives du prin­
temps 2019. La résistance de la
RBI à mettre la main à la poche
aura fait fi du calendrier politi­
que, avec au passage la démission
de son gouverneur, Urjit Patel, en
décembre 2018, puis celle de l’un
de ses vice­gouverneurs, Viral
Acharya, en juin.
Finalement, avec l’arrivée aux
commandes de Shaktikanta Das,
un ancien membre du cabinet du
ministre des finances, Arun Jait­
ley (mort samedi 24 août, à l’âge
de 66 ans), cette opération histo­
rique a pu être organisée à point
nommé, pour un exécutif en mal
de marges de manœuvre face à
une économie en berne. Alors
qu’ils juraient de la bonne santé
du pays avant les élections, les na­
tionalistes hindous, reconduits
triomphalement au pouvoir en
mai, reconnaissent aujourd’hui
que le sous­continent est frappé
par un franc ralentissement.

La consommation dégringole
Au premier trimestre, le rythme
de croissance du produit intérieur
brut (PIB) indien est tombé à 5,8 %,
le plus mauvais score de ces cinq
dernières années, et en attendant
de connaître le chiffre du
deuxième trimestre, qui doit être
publié vendredi 30 août, de nom­
breux signaux sont au rouge.
Selon le Centre for Monitoring In­
dian Economy, un cabinet privé de
Bombay, l’investissement a chuté,
au début de l’été, à son plus bas ni­
veau depuis quinze ans, tandis
que la consommation des ména­
ges dégringole elle aussi, comme
le montre la déprime persistante
de l’industrie automobile. Les
principaux constructeurs, Maruti
Suzuki, Hyundai, Mahindra
& Mahindra, Tata Motors et
Honda, ont accusé, en juillet, une
chute de 31 % de leurs ventes en
rythme annuel, au terme de neuf
mois de baisse d’affilée.

Malgré les dénis de l’adminis­
tration Modi, qui invoque un
changement de méthode de cal­
cul et des lacunes dans le recense­
ment de la population active, le
taux de chômage, dont la publica­
tion avait été gelée durant l’hiver
2018­2019, est au plus haut depuis
quarante­cinq ans, à 6,1 %. Consé­
quence de ce tableau préoccu­
pant, les recettes fiscales sont en
baisse, et le gouvernement pour­
rait d’ailleurs utiliser une bonne
partie des ressources exception­
nelles fournies par la banque
centrale pour maintenir le déficit
public sous la barre des 3,3 % du
PIB, l’un de ses grands objectifs.
C’est dans ce contexte que la
nouvelle ministre des finances,
Nirmala Sitharaman, a dévoilé,
vendredi 23 août, une trentaine
de mesures de relance, un mois et
demi seulement après la présen­
tation du traditionnel collectif
budgétaire marquant le début
d’une nouvelle législature.
Injection de 8,7 milliards
d’euros dans les banques publi­
ques, afin que ces dernières, tou­
jours embarrassées par leurs
créances douteuses, irriguent da­
vantage les circuits économi­
ques ; annulation de la taxe sur
les ventes d’actions annoncée en
juillet, qui avait affolé les investis­
seurs étrangers et secoué la
Bourse de Bombay ; suppression
de l’impôt qui devait frapper les

business angels financeurs des
start­up... Le cocktail « rassure »
les milieux d’affaires, explique
Sumeet Anand, fondateur de la
société de conseil en stratégie
IndSight et vice­président de la
Chambre de commerce et d’in­
dustrie franco­indienne : « C’est
clairement un changement de di­
rection de la part du gouverne­
ment, qui montre pour la pre­
mière fois de la réactivité et qui
tend la main aux entreprises. »
Dans son discours prononcé le
15 août pour la Fête de l’Indépen­
dance, au Fort rouge de Delhi,
M. Modi avait en effet rendu hom­
mage aux « créateurs de riches­
ses », qui, selon lui, doivent « rece­
voir les honneurs » au lieu d’être
regardés « avec suspicion ». « Si la
richesse n’est pas créée, elle ne peut
pas être distribuée. Et si elle n’est
pas distribuée, nous ne pouvons
pas élever les catégories les plus
pauvres de notre société », avait­il
ajouté, comblant d’aise un patro­
nat qui s’était avoué déçu par le
premier mandat du dirigeant
nationaliste, arrivé au pouvoir
en 2014.
« Le chef du gouvernement recon­
naît, d’une certaine manière, que la
réalité est plus difficile que prévu et
que l’investissement public, réalisé
dans des proportions impression­
nantes ces cinq dernières années,
ne peut suffire à faire tourner la
machine », observe M. Anand.
Preuve que l’Inde possède de soli­
des capacités de rebond, Amazon
n’a pas attendu ces nouvelles pour
faire ce pari. Mercredi 21 août, le
géant américain de l’e­commerce
a inauguré à Hyderabad (centre) le
plus grand campus qu’il ait jamais
construit dans le monde, afin de
concurrencer son compatriote
Walmart, qui s’est emparé,
en 2018, de Flipkart, numéro un in­
dien du secteur. L’Inde est
aujourd’hui le marché qui connaît
la plus forte croissance de la pla­
nète dans le commerce en ligne.
guillaume delacroix

« Le
gouvernement
montre pour
la première fois
de la réactivité
et tend la main
aux entreprises »
SUMEET ANAND
fondateur de la société
de conseil IndSight

Il en est des stars de la Silicon
Valley comme de leurs consœurs
d’Hollywood. Elles ont tout – la
puissance, la gloire, le glamour –,
mais cela ne leur suffit pas. Elles
voudraient qu’on les aime pour
elles­mêmes. Mais avec le succès
vient la solitude. Google est la
plus célèbre des vedettes de l’In­
ternet (ses fans se comptent par
milliards), mais, en ce moment,
on lui en veut. On la pille, on la
rackette, on la rançonne.
Mardi 27 août, Anthony Levan­
dowski, ex­brillant ingénieur de
la firme de Mountain View (Cali­
fornie), a été inculpé par la justice
américaine pour avoir volé les se­
crets de la voiture autonome de
Google. Il était l’un des fonda­
teurs de cette activité promet­
teuse. Il est parti avec les plans
chez l’ennemi Uber et encourt
dix ans de prison. Saine concur­
rence ou vol pur et simple? La
bataille judiciaire commence.

Une affaire politique
Puis il y a le président Macron,
qui a obtenu ce week­end à Biar­
ritz (Pyrénées­Atlantiques) l’in­
dulgence des pays du G7 pour ap­
pliquer sa taxe GAFA, laquelle vise
en priorité Google et Facebook.
Assise sur le chiffre d’affaires et
non les bénéfices, elle entend
compenser l’inadaptation de la
fiscalité des entreprises aux
champions du numérique, qui sa­
vent si bien dissocier présence
économique et présence physi­
que. « Nous ne devrions pas soute­
nir un compromis donnant le feu
vert à des taxes discriminatoires à
l’encontre des entreprises de tech­
nologie américaines au prix d’une
vague promesse d’un éventuel

remboursement partiel des années
plus tard », s’est insurgé Ed Black,
le président de la Computer
& Communications Industry As­
sociation, au nom du secteur.
Comme si cela ne suffisait pas,
la commissaire européenne à la
concurrence, Margrethe Vesta­
ger, a annoncé mardi que ses ser­
vices venaient de lancer une en­
quête concernant le service Goo­
gle for Jobs, accusé de
concurrence déloyale sur le mar­
ché de la recherche d’emploi.
Une menace qui, là non plus, ne
doit pas être prise à la légère.
Bruxelles a déjà infligé plus de
huit milliards d’euros d’amende
à Google en seulement deux ans,
sur trois affaires différentes. La
dernière, très similaire, portait
sur l’application de shopping
permettant de comparer les prix
d’un produit vendu sur le Net.
Comme Emmanuel Macron,
Margrethe Vestager, qui compare
Google et Facebook à de gigan­
tesques robots aspirateurs de
données, en fait une affaire poli­
tique qui dépasse largement la
plainte de concurrents. « Est­il
juste que des entreprises comme
Google et d’autres aient un tel
contrôle sur le succès ou l’échec
des autres compagnies et puis­
sent utiliser ce pouvoir comme
bon leur semble? », s’interroge la
commissaire danoise, qui évo­
que un enjeu capital pour l’ave­
nir de l’Europe.
Peu à peu, la politique s’insinue
dans les rouages des grandes pla­
tes­formes Internet Google, Face­
book ou Amazon. Le temps des
explications approche, comme
toujours quand les stars se
croient éternelles et invincibles.

PERTES & PROFITS|GOOGLE
p a r p h i l i p p e e s c a n d e

Pourquoi tant


de haine?


LES  CHIFFRES


5,8  %
C’est le taux de croissance
du produit intérieur brut (PIB)
indien au premier trimestre.
Soit le rythme le plus faible
0enregistré au cours de ces
cinq dernières années.

6,1  %
C’est le taux de chômage atteint
en Inde. Soit son niveau le plus
haut depuis quarante-cinq ans.

8,7  MILLIARDS
C’est, en euros, le montant in-
jecté par le gouvernement dans
les banques publiques pour
atténuer le manque de liquidités
dont souffre l’économie.

Les deux
cigarettiers
n’hésitent pas à
faire des chèques
astronomiques
pour trouver de
nouveaux filons
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