Le Monde - 29.08.2019

(coco) #1

14 |économie & entreprise JEUDI 29 AOÛT 2019


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Contre la pauvreté, le Cap­Vert mise sur le tourisme


L’archipel souhaite davantage impliquer la population, qui profite peu de l’essor du nombre de visiteurs


REPORTAGE
santo antao, (cap­vert) ­
envoyé spécial

D’


un geste ample,
Heriberto Duarte
indique à quelques
trekkeurs la vallée
de Paul, sans doute la plus majes­
tueuse de l’île de Santo Antao,
dans le nord­ouest de l’archipel
du Cap­Vert. « Ici, la main des habi­
tants n’est intervenue que pour bâ­
tir des maisons traditionnelles ou
pour tracer des sentiers qui relient
fermes et hameaux », explique le
jeune homme de 28 ans, guide de
randonnée depuis 2013. Avec ses
cultures en terrasses et ses pentes
vertigineuses, Santo Antao dé­
voile un spectacle grandiose, où
alternent montagnes abruptes,
vallées luxuriantes, canyons ari­
des et côtes rocheuses. Un paradis
pour les marcheurs et les amou­
reux d’horizons sauvages.
Depuis le printemps, le balisage
des principaux itinéraires de ran­
donnée est terminé. De même,
depuis deux ou trois ans, les habi­
tants, fortement encouragés par
les autorités locales, développent
diverses activités, de la petite épi­
cerie­bar à la maison d’hôte. A
cela s’ajoutent la création de peti­
tes infrastructures et des chan­
tiers d’extension des réseaux
d’électricité et d’eau. L’objectif est
ambitieux : résorber la pauvreté
en devenant l’une des plus gran­
des destinations du tourisme du­
rable. « Pour cela, il est indispensa­
ble de favoriser l’implication des
communautés à chacune des éta­
pes », explique Valter Silva, l’ad­
joint au maire de Porto Novo
(sud­est de l’île) chargé du déve­
loppement économique.
Car, malgré ses atouts, Santo
Antao est la plus défavorisée des
dix îles qui composent le pays : se­
lon l’Institut national des statisti­
ques, près de 46 % de ses
40 000 habitants vivent avec
moins de 1,90 dollar (1,70 euro)

par jour. Sur l’ensemble du pays,
la pauvreté touche 35 % des
550 000 Capverdiens (contre 58 %
en 2001). Un chiffre que le gouver­
nement de José Ulisses de Pina
Correia e Silva affirme vouloir ré­
duire à 28 % d’ici à 2021.
Le Cap­Vert, perdu au large du
Sénégal, affiche depuis vingt ans
l’un des meilleurs résultats en
matière de lutte contre la pau­
vreté d’Afrique subsaharienne. Il
s’est hissé, en 2008, dans la caté­
gorie des pays à revenu intermé­
diaire et se situe aujourd’hui au 5e
rang des pays subsahariens pour
l’indice de développement hu­
main des Nations unies (accès à
l’éducation, espérance de vie, re­
venu brut par habitant, etc.).
S’y ajoutent une évolution régu­
lière de sa croissance économi­
que (5 % en 2018) et une inflation
maîtrisée, autour de 1,3 %. Dans
un rapport publié en juillet, l’ONG
Oxfam fait figurer le Cap­Vert en
tête des pays ouest­africains les
plus engagés dans la réduction
des inégalités, devant la Maurita­
nie, le Sénégal et le Ghana.

Diversifier l’offre
Cette dynamique est favorisée par
la stabilité politique et la solidité
des institutions de l’ancienne co­
lonie portugaise, indépendante
depuis 1975. Mais elle a pour res­
sort principal la promotion de
l’écotourisme. « Jusqu’ici, l’activité
était concentrée sur le tourisme
balnéaire dans deux îles, Sal et Boa
Vista. L’idée est de déployer les
atouts des îles rurales comme
Santo Antao, Sao Nicolau, Fogo ou
Santiago, où on peut développer
de belles alternatives autour du
voyage écoresponsable et cultu­
rel », souligne Francisco Sanches
Martins, directeur général au mi­
nistère du tourisme et des trans­
ports à Praia, la capitale.
Le « M. Tourisme » du Cap­Vert
rappelle le double objectif du Plan
stratégique national de dévelop­
pement durable adopté pour la
période 2017­2021 : réduire les iné­
galités et protéger l’environne­
ment. Ce n’est donc pas un hasard
si l’île de Santo Antao, préservée
du tourisme de masse, a été choi­
sie comme territoire pilote.
Le Cap­Vert est une destination
prisée. Entre 2010 et 2016, le nom­
bre de chambre est passé de 5 800
à presque 12 000. La plupart de ces
hébergements sont concentrés
dans des complexes de luxe ins­
tallés sur les rivages de Sal, Boa
Vista ou Sao Vicente, des îles cou­
rues par des foules de touristes en
quête de soleil et de plage. L’archi­
pel cherche aujourd’hui à diversi­

fier son offre, car il connaît les li­
mites du modèle actuel : près de
90 % des 700 000 visiteurs se ren­
dant chaque année au Cap­Vert
prennent des séjours « tout in­
clus » dans de luxueux hôtels et
plus de la moitié atterrissent à Sal.
Selon une étude de la direction ré­
gionale pour l’Afrique de l’Organi­
sation mondiale du tourisme
(OMT), seulement 17 % du budget
des visiteurs, en 2016, avaient été
dépensés localement.
Mais échapper au « all­inclu­
sive » ne sera pas facile : les voya­
gistes, en majorité des filiales de
groupes internationaux, y oppo­
sent une farouche résistance.
« Lorsque le tourisme a commencé
à se développer, il n’y avait pas
d’autre solution que des formules
“tout compris”. Aujourd’hui, le
Cap­Vert étant en concurrence
avec des destinations telles que les
Canaries, les Baléares ou les Caraï­
bes, le forfait “all inclusive” est en­
core moins contournable. Le tou­
riste qui se rend dans une destina­
tion inconnue ou émergente re­
cherche d’abord sécurité et
confort », argumente Victor Fi­
dalgo, consultant pour The Re­
sort Group, un consortium bri­
tannique spécialisé dans la créa­
tion de complexes hôteliers. Le
lobbyiste cherche à accréditer

l’idée que le Cap­Vert n’est pas en
mesure, en termes d’infrastructu­
res, d’attirer les personnes voya­
geant en dehors du « tout­in­
clus ». C’est, pourtant, de moins
en moins vrai.
Partout, dans les autres îles, se
développent de petites structures
d’accueil, hôtels, pensions et
chambres chez l’habitant, favori­
sant des séjours de découverte
plus intimistes, des randonnées
en montagne, la visite des nom­
breux parcs nationaux, sans
oublier les sites inscrits au Patri­
moine mondial de l’humanité
tels que Cidade Velha, un bourg à
l’est de Praia qui renferme un pan
de la longue et tragique histoire
de la traite négrière dans ce pays.
A cela s’ajoutent l’amélioration
sensible des liaisons maritimes et
aériennes entre les îles (sept aéro­

ports, dont quatre internatio­
naux), l’émergence d’agences de
voyages locales mais aussi les
transferts d’argent des quelque
700 000 Cap­Verdiens de la dias­
pora (20 % du produit intérieur
brut, contre quelque 25 % pour le
tourisme).

Créer 13 000 emplois directs
« Si nous voulons tenir notre ambi­
tion de 3 millions de visiteurs d’ici
à 2030, nous n’avons pas d’autre
choix que de diversifier l’offre et de
poursuivre l’amélioration des ca­
pacités d’accueil et de transport en
encourageant l’investissement
privé local et étranger », estime
Francisco Sanches Martins. En
juin, la structure qu’il dirige a été
transformée en un institut du
tourisme autonome. Sa mission
reste de réguler l’industrie touris­
tique et d’y créer 13 000 emplois
directs en plus d’ici deux ans.
Mais où trouver l’argent? Lors
d’une conférence avec des
bailleurs institutionnels à Paris,
en décembre 2018, le premier mi­
nistre annonçait avoir obtenu
850 millions d’euros de promes­
ses pour financer le plan stratégi­
que capverdien, dont 300 millions
d’euros de la part de l’Union euro­
péenne. Des montants toutefois
insuffisants au regard de l’ambi­

tion affichée d’atteindre une crois­
sance de 7 % d’ici à 2021 et de ré­
duire le chômage de 15 % à 9 %.
Au début du mois de juillet, le
Cap­Vert a donc organisé sur l’île
de Sal un forum avec des acteurs
privés pour lever 1,5 milliard
d’euros. Dix­sept des 22 projets
présentés lors de ce conclave con­
cernaient le tourisme. Le volonta­
risme gouvernemental n’échappe
pas aux critiques.
« C’est une erreur de penser qu’on
peut lutter efficacement contre la
pauvreté dans un pays comme le
Cap­Vert par le seul biais du tou­
risme, sans développer la pêche et
l’agriculture. Or ces deux secteurs
peinent encore à satisfaire les be­
soins domestiques. Là se situe le
vrai défi », estime Edivaldo Neves,
responsable d’une ONG de déve­
loppement communautaire sur
l’île de Santo Antao.
« Certaines côtes de l’archipel
commencent à devenir de vérita­
bles décharges maritimes », s’in­
quiète par ailleurs Tommy Melo,
cofondateur de Biosfera, un col­
lectif citoyen de lutte contre la
pollution. Des craintes qui résu­
ment toute la difficulté de conci­
lier croissance, réduction de la
pauvreté et préservation des éco­
systèmes.
raoul mbog

La banque du Vatican fait vœu de transparence


Le pape François a approuvé les nouveaux statuts de l’institution qui a été, pendant des dizaines d’années, le théâtre
de nombreux scandales financiers. Un commissaire aux comptes externe contrôlera les bilans de l’établissement

I


l aura fallu attendre plus de
six années après l’élection du
pape François, en mars 2013,
pour que la banque du Vatican,
théâtre de nombreux scandales
financiers, soit finalement réfor­
mée. Le 10 août, un chirographe,
décret signé du chef de l’Eglise ca­
tholique, a approuvé les nou­
veaux statuts de l’Institut pour
les œuvres de religion (IOR), la
banque de l’Etat pontifical. Cette
révision des organes de direction
de l’établissement vise à établir
des règles plus strictes en ma­
tière de transparence, de con­
trôle des comptes et à promou­
voir une dimension éthique au
sein de l’institution.
La mesure la plus emblémati­
que de cet aggiornamento revient
à confier à un commissaire aux
comptes externe (une personne
physique ou une société) le con­

trôle des bilans financiers de
l’IOR, conformément aux nor­
mes internationales. Jusqu’alors,
cette tâche incombait à trois audi­
teurs internes à la banque... Une
organisation qui avait montré
toutes ses limites.
Le nouveau statut – approuvé
ad experimentum par le pape
pour une période de deux ans –
précise aussi la fonction de « pré­
lat » de la banque, « qui est de pro­
mouvoir la dimension éthique des
administrateurs et des employés »
de l’établissement, « afin que leur
travail soit conforme aux princi­
pes catholiques », précise Vatican
News. Il crée par ailleurs la fonc­
tion de secrétaire unique du con­
seil, « doté d’une formation juridi­
que adéquate », chargé de l’enre­
gistrement et de la rédaction des
procès­verbaux des réunions du
conseil d’administration.

Dès son élection, le pape Fran­
çois avait fixé parmi ses objectifs
prioritaires celui de remettre de
l’ordre au sein de l’IOR, dont les
malversations et les soupçons de
blanchiment d’argent sale ont
éclaboussé l’image de l’Eglise pen­
dant plusieurs dizaines d’années.

Créée en 1942 par Pie XII
Le scandale le plus retentissant
reste la faillite frauduleuse,
en 1982, de Banco Ambrosiano,
institution italienne catholique
dont l’IOR était le premier action­
naire. L’archevêque américain
Paul Marcinkus, président de la
banque vaticane au cours des an­
nées 1970 et 1980, avait été direc­
tement mis en cause dans cette
affaire. Celle­ci avait mis au jour
des placements dans des paradis
fiscaux, des manipulations fi­
nancières, des interactions avec

la loge « noire » P2, impliquée
dans plusieurs affaires criminel­
les, et l’ombre de la Mafia. La jus­
tice italienne avait inculpé le pré­
lat de coresponsabilité dans la
chute de Banco Ambrosiano et la
spoliation des petits actionnai­
res, et avait rédigé un mandat
d’amener. Le Saint­Siège refusa
de le livrer.
La réputation de l’IOR a ensuite
été de nouveau mise à mal par
plusieurs enquêtes judiciaires,
pour des soupçons de recyclage
d’argent sale. Le 1er janvier 2013, la
Banque d’Italie avait même or­
donné un temps la mise hors ser­
vice des distributeurs automati­
ques de billets du Vatican, pour
non­respect des normes anti­
blanchiment.
Quelques mois après ce discré­
dit public, le nouveau pape an­
nonçait la création d’une com­

mission spéciale d’enquête sur la
banque du Vatican, pour s’assurer
que ses activités soient « en har­
monie » avec la mission de l’Eglise
catholique. François aurait alors
envisagé d’aller jusqu’à fermer
l’établissement, dont la vocation
n’est pas de proposer des prêts,
mais de conserver l’argent confié
par des congrégations religieu­
ses, des employés du Vatican ou
des cardinaux, des évêques et des
membres du clergé répartis dans
plus de 110 pays.
L’institution, créée en 1942 par
le pape Pie XII, va finalement ten­
ter de restaurer sa réputation.
Plusieurs milliers de comptes ir­
réguliers ont été fermés depuis


  1. Après trois quarts de siècle
    de culte du secret, la banque du
    Vatican s’engage sur la voie de la
    transparence.
    véronique chocron


Sur l’île de
Santo Antao,
au Cap­Vert,
en 2016.
GUILLAUME
SOULARUE/
ONLY FRANCE

La pauvreté
touche
aujourd’hui 35 %
des 550 000
Capverdiens,
contre 58 %
en 2001

É N E R G I E
BP quitte l’Alaska
Le géant pétrolier britanni­
que BP a annoncé, mardi
27 août, avoir vendu tous ses
actifs en Alaska à l’américain
Hilcorp pour 5,6 milliards de
dollars (environ 5 milliards
d’euros), marquant son dé­
part de cet Etat, où il est pré­
sent depuis près de soixante
ans. La vente inclut les capa­
cités de production de
pétrole et de gaz ainsi que
de transport par oléoduc,
a précisé le groupe. – (AFP.)

J U S T I C E
Fonds 1MDB :
procès de l’ex-premier
ministre malaisien
Le principal procès de l’ex­
premier ministre malaisien,
Najib Razak, dans le scandale
lié au pillage du fonds d’in­
vestissement 1MDB s’est
ouvert, mercredi 28 août.
M. Razak et ses proches sont
accusés d’avoir puisé des
sommes colossales dans le
fonds souverain devant servir
au développement économi­
que de la Malaisie. – (AFP.)

Santo Antao
Sao Vicente
Sal

Brava
Fogo

Santiago

Maio

Sao Nicolau Boa Vista
Praia

CAP-VERT

SÉNÉGAL

MAURITANIE

OCÉAN ATLANTIQUE

300 km
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