28 | 0123 JEUDI 29 AOÛT 2019
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Tirage du Monde daté mercredi 28 août : 175 717 exemplaires
M
ardi 27 août, le pré
sident turc, Recep
Tayyip Erdogan,
était en visite à
Moscou pour parler Syrie avec Vla
dimir Poutine. Au même mo
ment, à près de 3 000 km de là, le
président Emmanuel Macron ex
posait avec force arguments sa
nouvelle doctrine russe aux am
bassadeurs français réunis à l’Ely
sée. Il faut, atil martelé, « repen
ser notre lien avec la Russie ».
La coïncidence est fortuite, mais
les deux événements ne sont pas
totalement étrangers. Moscou, re
lève un diplomate français rap
portant les propos d’un ambassa
deur arabe, « est la nouvelle Mec
que » : tous les dirigeants du
monde arabomusulman y vont.
Le pèlerinage n’est pas religieux, il
est stratégique : Benyamin Néta
nyahou, le premier ministre israé
lien, le fait aussi, d’ailleurs, à l’occa
sion. La Russie est devenue incon
tournable et Emmanuel Macron
n’entend plus la contourner.
A trois reprises en l’espace d’une
semaine, il a expliqué en détail
pourquoi remettre la Russie dans
le jeu européen était devenu un
axe majeur de sa diplomatie : en
recevant le président Poutine
dans sa résidence d’été de Brégan
çon, le 19 août, puis, deux jours
plus tard, face à la presse présiden
tielle, et à nouveau mardi à l’Ely
sée. Le sujet a également été
abordé avec ses collègues du G7, à
Biarritz, qu’il a briefés, samedi, sur
ses cinq heures de conversation
avec le président russe.
Trois postulats
Le tournant n’est pas tout à fait
nouveau. En mai 2018, à SaintPé
tersbourg, M. Macron a déjà tenté
de jeter les jalons de cette nouvelle
approche, mais M. Poutine n’a pas
été particulièrement réceptif. Fin
août 2018, dans son discours an
nuel devant les ambassadeurs, le
chef de l’Etat a avancé l’idée d’une
« nouvelle architecture européenne
de sécurité » qui engloberait la Rus
sie – une idée floue, accueillie avec
« défiance », accusetil aujour
d’hui, par ses propres diplomates.
Le 11 novembre, pour les céré
monies du centenaire de l’armis
tice de 1918, Vladimir Poutine a
fait une fleur au président fran
çais, en acceptant de participer au
très macronien Forum sur la paix
sans y prendre la parole. Les « gi
lets jaunes » ont détourné M. Ma
cron de la Russie pendant l’hiver,
mais, dès le printemps, il a confié à
JeanPierre Chevènement une let
tre à porter au Kremlin à M. Pou
tine pour l’inviter à venir le voir
avant le G7. Et en juillet, la France a
appuyé le retour de la Russie au
Conseil de l’Europe.
Après Brégançon, la dynamique
est en marche. M. Poutine devrait
revenir pour la deuxième édition
du Forum sur la paix, en novem
bre, et M. Macron ira à Moscou
pour le 75e anniversaire de la vic
toire soviétique en mai 2020. Et
avant cela, si tout va bien, si les
quelques gestes attendus de Mos
cou (un échange de prisonniers
avec Kiev, par exemple) se produi
sent à brève échéance, ils se re
trouveront fin septembre à Paris
pour un sommet quadripartite
sur l’Ukraine avec le nouveau pré
sident ukrainien, Volodymyr
Zelensky, et la chancelière Angela
Merkel, censé relancer le proces
sus de règlement du conflit dans
le Donbass. Un déblocage de la
crise ukrainienne est en effet la
condition sine qua non de ce ré
chauffement.
Emmanuel Macron estil en
train de rejouer le « reset » de Ba
rack Obama, vaine tentative amé
ricaine de rapprochement avec la
Russie en 2009? Il s’en défend :
dix ans après, si M. Poutine est
toujours là, les réalités géopoliti
ques, elles, ne sont plus les mê
mes. Le monde traverse une phase
de recomposition inédite.
Le président français lie sa stra
tégie russe à trois postulats. Pre
mier postulat : le modèle Poutine
d’expansion militaire et de con
flictualité permanente, encouragé
par « nos faiblesses », connaît un
certain succès, mais il n’est pas du
rable. Faible économiquement et
démographiquement, tôt ou tard,
la Russie va devoir chercher des
appuis ; inévitablement, elle se
tournera vers la Chine. Aux Euro
péens d’empêcher cette alliance,
qui leur serait néfaste.
Deuxième postulat : le décou
plage transatlantique. Tout en res
tant « un allié très important », les
EtatsUnis se sont détachés de
l’Europe et ne sont plus chargés de
sa pensée stratégique. En mettant
fin cet été au traité avec Moscou
sur la limitation des missiles à
portée intermédiaire, l’un des der
niers vestiges de la guerre froide,
que Moscou avait allègrement
violé, Washington a précipité les
choses. Puisque cette architecture
du contrôle des armements, « con
çue dans une géopolitique qui n’est
plus la nôtre », se défait, à nous de
construire la nouvelle, en y asso
ciant la Russie qui, M. Macron en
est convaincu, « est européenne ».
Troisième postulat : la nouvelle
bipolarisation du monde est sino
américaine. Les EtatsUnis veulent
à présent un dialogue avec la Chine
sur le contrôle des armements?
Très bien. Mais « moi, dit M. Ma
cron, je ne veux pas en être l’otage ».
Il faut un nouveau cadre multilaté
ral. L’Europe n’était qu’un pion
dans le système soviétoaméri
cain. Le moment est venu pour elle
de reprendre « le contrôle ». Alliée,
mais pas « vassale ».
Emmanuel Macron aime contes
ter les dogmes. Celui, par exemple,
selon lequel la Russie s’est d’elle
même éloignée de l’Occident
après l’effondrement de l’URSS.
Qui a perdu la Russie? Dans ce dé
bat qui divise les experts depuis
deux décennies, il a tranché : « Les
Russes ont vécu l’expansion de
l’OTAN et la stratégie de l’UE
comme une forme d’agression. »
Ce président français adepte de
la « diplomatie de l’audace » veut à
présent que l’Europe gagne la Rus
sie, après l’avoir perdue. Reste une
question cruciale : Vladimir Pou
tine, qui, depuis vingt ans, a forgé
cet éloignement, peutil être
l’homme du rapprochement?
M. Macron se défend de toute naï
veté, se situe dans « le temps long »
et jure qu’il sait à qui il a affaire. Il
va devoir en convaincre ses parte
naires européens, au premier rang
desquels les Suédois, les Baltes, les
Roumains et, surtout, les Polo
nais. Eux aussi connaissent le
temps long.
C
irculez, il n’y a rien à voir! Alors que
la vallée du Cachemire indien vit
sous un couvrefeu drastique et iné
dit, isolée du reste du monde depuis bien
tôt quatre semaines, Donald Trump a dé
claré le 26 août au sommet du G7 de Biar
ritz que le premier ministre indien,
Narendra Modi, « avait l’impression »
d’avoir la situation sous contrôle, ajoutant
qu’il ne voyait pas l’intérêt de s’impliquer
dans cette crise.
Emmanuel Macron tient un discours si
milaire, affirmant à l’issue de son entretien
avec M. Modi, jeudi 22 août, en marge du
G7, que le dirigeant indien lui avait fait part
« des changements auxquels il avait pro
cédé, qui relèvent de sa pleine souveraineté
pour ce qui est des aspects juridiques, et de
son engagement très ferme à maintenir la
stabilité dans la région ». La crise au Cache
mire ne figurait nulle part dans la déclara
tion conjointe publiée par la France et
l’Inde. M. Macron a toutefois précisé devant
la presse que la France demeurerait « atten
tive à ce que les intérêts et les droits des po
pulations civiles soient dûment pris en
compte dans les territoires de part et d’autre
de la ligne de contrôle », à savoir en Inde et
au Pakistan.
Les nouvelles en provenance de la région
sont rares, ce qui laisse présager le pire.
En 2010, des formes de torture particulière
ment atroces avaient été révélées. De nom
breux cas de disparitions forcées et d’exé
cutions extrajudiciaires ont également été
recensés depuis le début de l’insurrection
au Cachemire, à la fin des années 1980.
A la veille de l’annonce, le 5 août, de la ré
vocation de l’autonomie de l’Etat du Jam
muetCachemire, New Delhi a imposé un
blocage des communications et des restric
tions à la circulation. Près de 4 000 person
nes ont été arrêtées ou assignées à rési
dence, dont des opposants politiques pour
tant favorables au rattachement à l’Inde.
Le Cachemire occupe une place impor
tante en Inde. Le leader indépendantiste
Jawaharlal Nehru tenait particulièrement à
cette région à majorité musulmane, car il y
voyait la marque de singularité d’une Inde
plurielle et séculaire, en opposition au Pa
kistan fondé sur l’identité musulmane.
L’autonomie lui a été offerte en échange
de son rattachement à l’Inde, après le dé
part des Britanniques. Le sort de la vallée
du Cachemire est désormais entre les
mains de la Cour suprême. Cette question
relève effectivement de la souveraineté de
l’Inde. Un groupe d’experts de l’ONU s’est
toutefois alarmé des « restrictions dispro
portionnées » imposées à la population du
Cachemire, qu’il a qualifiées de « punition
collective ».
L’Inde justifie son attitude par la lutte an
titerroriste, le développement et l’unifor
misation des statuts des Etats fédérés. Elle
accuse le Pakistan d’entraîner sur son sol
des militants cachemiris pour la déstabili
ser. Or les infiltrations transfrontalières
ont fortement diminué au cours des der
nières années, même si elles restent meur
trières. L’insurrection est désormais ali
mentée par la frustration et la radicalisa
tion des esprits dans le Cachemire indien.
Et elle n’est pas près de s’éteindre avec la ré
vocation de l’autonomie, vécue sur place
comme une déclaration de guerre.
Paris a pris le parti de se ranger derrière
New Delhi, car l’Inde est un partenaire stra
tégique pour contrer l’expansion chinoise
dans l’océan Indien, et un débouché impor
tant pour les entreprises de l’Hexagone,
notamment dans l’industrie de la défense.
Si la situation continue de s’aggraver, le si
lence assourdissant des démocraties occi
dentales pourrait vite devenir intenable.
LA RUSSIE EST
DEVENUE
INCONTOURNABLE
ET MACRON
N’ENTEND PLUS
LA CONTOURNER
CACHEMIRE :
SORTIR
DU SILENCE
GÉOPOLITIQUE|CHRONIQUE
pa r s y lv i e k au f f m a n n
Qui gagnera
la Russie?
MOSCOU
« EST LA NOUVELLE
MECQUE ». MAIS
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LA SCIENCE DU BIEN-ÊTRE # 12 - ÉTÉ 2019
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