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JEUDI 29 AOÛT 2019 international| 3
En Algérie, le général Gaïd Salah souhaite
précipiter l’élection présidentielle
L’homme fort du régime s’attaque aux partisans d’un dialogue national et d’une transition
démocratique « aux conséquences périlleuses »
alger correspondance
L
e chef d’étatmajor de l’ar
mée algérienne, Ahmed
Gaïd Salah, homme fort du
régime depuis la démission for
cée d’Abdelaziz Bouteflika le
2 avril, s’en est pris violemment,
lundi 26 août à Oran, aux parti
sans d’une transition démocrati
que en Algérie et a réitéré son ap
pel à « l’organisation d’une élec
tion présidentielle transparente
dans les plus brefs délais ».
Alors qu’une instance de dialo
gue et de médiation dirigée par
l’ancien président de l’Assemblée
nationale, Karim Younes, doit
mener des consultations sur les
modalités de la tenue du scrutin
mais peine à trouver des interlo
cuteurs, le chef de l’armée a été
tranchant. Selon lui, la prépara
tion de l’élection présidentielle
doit commencer « dans les se
maines à venir » et il faut accélé
rer le « processus d’installation de
l’instance nationale indépen
dante » chargée de l’organisation
et de la surveillance du scrutin.
Ahmed Gaïd Salah a accusé ceux
qui défendent une transition
« aux conséquences périlleuses »
d’être au service des « intérêts de
la bande [le clan Bouteflika] et de
leurs maîtres ». Il assure détenir
des « informations confirmées de
leur implication » dans des com
plots, qu’il dévoilera « au moment
opportun ». Ces parties sont égale
ment accusées d’entraver le tra
vail de l’instance de Karim
Younes, « en faisant la promotion
de l’idée de la négociation, au lieu
du dialogue, et de la désignation
plutôt que de l’élection ».
Cette déclaration particulière
ment dure intervient alors que
l’instance de dialogue et de mé
diation tente laborieusement de
convaincre les acteurs politiques
de présenter des propositions
pour la tenue dans les meilleures
conditions d’une élection prési
dentielle que le pouvoir, contesté,
n’arrive pas à organiser. Faute de
candidats, Abdelkader Bensalah,
le chef de l’Etat par intérim, a été
contraint d’annuler le scrutin ini
tialement fixé le 4 juillet.
Le mouvement de contestation
populaire, le « hirak », exige,
préalablement à un retour aux
urnes, le départ de M. Bensalah
ainsi que du premier ministre,
Noureddine Bedoui, et la mise en
place d’un gouvernement dirigé
par des personnalités indépen
dantes. L’écart, déjà grand, entre
les exigences du « hirak » et
l’agenda du pouvoir s’est accen
tué au fil des semaines, notam
ment à la suite de l’emprisonne
ment de manifestants porteurs
de drapeaux amazighs et de
Lakhdar Bouregaa, un ancien
combattant âgé de 86 ans qui
avait accusé le pouvoir d’avoir
« déjà choisi le président ».
Instance fragilisée
Le chef de l’armée affiche son im
patience, alors que l’instance de
dialogue et de médiation cherche
à convaincre les opposants
qu’elle n’est pas une simple ruse
du pouvoir. Le crédit de l’instance
avait été fragilisé dès son lance
ment : les mesures d’apaisement
préalables (libération des déte
nus politiques et liberté de circu
lation des personnes) avaient été
vigoureusement refusées par le
chef de l’armée.
Lundi, Ahmed Gaïd Salah a éga
lement rejeté une idée phare
avancée par Karim Younes, celle
d’un engagement préalable des
candidats à l’élection présiden
tielle à mettre en œuvre les re
commandations d’une confé
rence nationale de dialogue à ve
nir. Cette « charte d’honneur »
est censée être une réponse à
ceux qui estiment que la Consti
tution actuelle donne un pou
voir de monarque au président
et qu’il faut l’amender avant d’al
ler au scrutin.
La même idée d’engagement
préalable a été avancée par
Soufiane Djilali, président du
parti Jil Jadid, pour concilier les
différentes positions : une prési
dentielle assortie d’un engage
ment des partis et des candidats
à organiser des législatives anti
cipées et à ouvrir le « chantier
d’un processus constituant ». Des
pistes balayées par le général
Gaïd Salah, qui a fustigé la « ten
tative de diffuser des idées som
bres qui condamnent le futur pré
sident et lui imposent des agen
das préétablis » qui seraient
contraires à la Constitution.
Face à la tentation du pouvoir
de passer en force, des efforts
sont menés pour rapprocher les
différentes composantes de l’op
position, dont les points de vue
divergent sur la sortie de crise.
Des partis regroupés sous le label
des « forces du changement »
sont favorables, sous conditions,
à une élection présidentielle.
D’autres formations dites de
« l’alternative démocratique »
prônent la tenue d’une assem
blée constituante.
Sous l’impulsion d’acteurs de la
société civile, les deux groupes se
sont rencontrés le 24 août. Une
première, sanctionnée par un
communiqué qui souligne, en
réponse à l’instance de Karim
Younes, qu’un « dialogue efficace,
responsable et souverain (...) né
cessite un climat politique fondé
sur des mesures de rétablissement
de la confiance absente ».
Il s’agit notamment de « la libé
ration des détenus d’opinion, la le
vée des contraintes sur les espaces
publics, la libération des médias et
la levée du blocus sur la capi
tale ». Les partis qui doivent en
core se rencontrer ont appelé à
renforcer le « hirak », qui doit se
poursuivre « de façon pacifique,
populaire et nationale jusqu’à la
réalisation de ses revendications
légitimes ».
L’impasse politique est totale,
alors que les manifestations, en
trées dans leur septième mois,
connaissent un regain de mobili
sation. Dans une interview à El
Watan, le sociologue Nacer Djabi
dit s’attendre à « un durcissement
du “hirak” » à la rentrée sociale, en
septembre. Selon lui, « les Algé
riens devront passer à une vitesse
supérieure dans leur mouvement
de protestation pour imposer le
rapport de force nécessaire au
changement voulu ».
amir akef
La détention d’un écrivain australien par la
Chine provoque des tensions avec Canberra
Connu pour ses vues prodémocratie, l’intellectuel Yang Hengjun a été arrêté au début
de l’année lors d’un passage à Canton, avant d’être accusé d’espionnage
sydney correspondance
C’
est finalement une ac
cusation d’espionnage
qui a été retenue, mardi
27 août, pour justifier l’arrestation,
sept mois plus tôt, et jusqu’alors
sans chef d’inculpation, de l’écri
vain australien d’origine chinoise
Yang Hengjun, intellectuel expri
mant ses vues prodémocratie.
Face à cette nouvelle épine dans sa
relation avec la Chine, Canberra a
durci le ton. « Si Yang Hengjun est
détenu en raison de ses convictions
politiques, il doit être libéré », a
réagi la ministre australienne des
affaires étrangères, Marise Payne,
exprimant en outre de graves in
quiétudes pour l’état de santé du
quinquagénaire détenu à Pékin.
« Je continuerai à plaider ferme
ment en faveur du Dr Yang afin
qu’une explication satisfaisante
justifiant son arrestation soit four
nie, pour qu’il soit traité avec hu
manité et qu’il soit autorisé à ren
trer chez lui », a assuré la ministre,
qui avait déjà interpellé les autori
tés chinoises au sujet du ressortis
sant australien à cinq reprises. Elle
a par ailleurs assuré au Guardian
que l’accusation d’espionnage,
pour Canberra, était « sans fonde
ment ». De telles charges peuvent
valoir, en Chine, entre trois ans de
prison et la peine de mort.
Titulaire d’un doctorat de l’uni
versité technologique de Sydney
et naturalisé australien en 2002,
M. Yang, auteur, entre autres, de
romans d’espionnage, avait ex
primé à de multiples reprises des
critiques envers le régime com
muniste, notamment sur les ré
seaux sociaux. Il vivait à New
York, étant chercheur associé à
l’université Columbia, et c’est lors
d’un passage dans la ville de Can
ton, en début d’année, qu’il avait
été intercepté par les autorités chi
noises. Six mois durant, il avait été
détenu au secret, avant que Pékin
ne fasse état de sa situation. Can
berra dénonce l’absence de droit
de visite de sa famille et de ses
avocats. Le porteparole de la di
plomatie chinoise, Geng Shuang,
a appelé Canberra à « respecter la
souveraineté judiciaire de la Chine
sans s’ingérer en aucune façon ».
Le ton employé par Marise
Payne est « exceptionnellement
fort en termes diplomatiques », es
time le professeur Rory Medcalf,
chef du National Security College
à l’Université nationale austra
lienne de Canberra. « Je m’attends
à ce que, dans les années à venir, de
nombreux gouvernements euro
péens soient confrontés à des inci
dents de la sorte », met en garde
M. Medcalf, alors que les sujets de
discorde entre la Chine et les Occi
dentaux se multiplient. Le Ca
nada se trouve déjà dans une si
tuation assez semblable à celle de
l’Australie : deux de ses ressortis
sants, un exdiplomate devenu
chercheur et un consultant, sont
détenus de manière arbitraire en
Chine depuis décembre 2018, en
représailles évidentes à la déten
tion à Vancouver de la directrice
financière et fille du fondateur du
géant des télécoms Huawei, qui
fait l’objet d’une demande d’ex
tradition des EtatsUnis.
« Diplomatie des otages »
Un autre cas est l’enlèvement
d’un éditeur de livres critiques
du Parti communiste chinois à
Hongkong, Gui Minhai, réap
paru ensuite livrant des aveux
forcés à la télévision d’Etat chi
noise. Il est détenteur d’un pas
seport suédois, mais Pékin est
jusqu’à présent resté sourd aux
démarches de Stockholm.
Evoquant une « diplomatie des
otages », M. Medcalf estime que la
Chine n’attaque pas « purement
l’Australie » dans le cas de Yang
Hengjun, mais que cette nouvelle
friction reflète plutôt « une ten
dance très négative dans les rela
tions entre la Chine et de nom
breux pays ». Pékin envoie le mes
sage que ses autorités « traitent
les personnes d’origine chinoise
partout dans le monde comme des
individus sur lesquels elle peut
exercer son pouvoir et utilisent des
prétextes de sécurité nationale
pour intimider ses détracteurs »,
observe le chercheur.
La Chine est le premier parte
naire commercial de l’Australie,
qui y écoule son minerai de fer et
son charbon. Mais Canberra to
lère de moins en moins l’emprise
de Pékin, tant dans ses affaires
intérieures que dans sa zone,
alors que les investissements chi
nois se multiplient dans les îles
du Pacifique.
En 2018, l’Australie a adopté un
train de lois visant à contrer l’in
fluence étrangère sur sa scène po
litique, dont les effets commen
cent à se faire ressentir. Une en
quête a été ouverte cette semaine
sur les dons d’un millionnaire chi
nois, Huang Xiangmo, dont le visa
a été annulé en février, à un mem
bre du Parti travailliste australien,
avant une élection, en 2015.
La création d’un groupe de tra
vail visant à identifier les influen
ces étrangères au sein des univer
sités australiennes a été annon
cée mercredi 28 août, dans la fou
lée d’altercations entre étudiants
chinois et hongkongais, les se
maines précédentes, sur les cam
pus australiens. « Nous nous diri
geons vers un problème perma
nent, souligne le professeur Rory
Medcalf. Les deux pays vont devoir
s’habituer à ces nouvelles sortes de
frictions et tensions dans leur rela
tion, tout en essayant toutefois de
les ménager. » – (Intérim.)
Le chef d’état-
major accuse
ceux qui
défendent la
transition d’être
au service des
« intérêts » du
clan Bouteflika
L’intellectuel
d’origine chinoise
avait été détenu
au secret six
mois durant,
avant que Pékin
ne fasse état
de sa situation
Malgré les injonctions des auto
rités, personne ne veut rouvrir les
magasins ni envoyer les enfants à
l’école. Sans s’être concertés,
8 millions de Cachemiris trans
forment leur confinement en
une gigantesque révolte silen
cieuse. « Nous faisons grève! »,
lâche Ishaq, la trentaine, à Bijbe
hara. Les Cachemiris ont déjà
perdu beaucoup d’argent et bien
tôt la récolte fruitière va débuter.
« Mais nous avons des réserves et
tiendrons le temps qu’il faudra,
souligne Ishaq. Le moment venu,
nous protesterons au grand jour. »
La veille, Yunis, âgé de 18 ans, a
tenté avec ses camarades de
caillasser les forces de l’ordre, à
Awantipora. « Mais c’est impossi
ble, il y a trop de soldats », observe
til en se replongeant dans un jeu
hors ligne sur son téléphone.
« Chaque fois que les autorités ont
allégé les restrictions, les gens sont
descendus dans les rues, explique,
à voix basse, un petit vendeur. Du
coup, ils redéploient ensuite davan
tage de forces. C’est sans fin. Et puis
les soldats font des raids dans nos
maisons », ditil en désignant les
vitres cassées de bâtisses alentour.
« Lancers aléatoires de gaz »
Dans les vieux quartiers, ghettos
de la haine envers New Delhi, la
colère explose à l’occasion, à
coups de jets de pierre. A l’entrée
de Soura, un quartier de Srinagar,
les effluves du gaz au poivre pren
nent à la gorge et des débris suggè
rent des scènes d’affrontements
récents. A Baramulla, un district
du nordouest du Cachemire, les
forces sécuritaires sont encore
plus présentes, en cette journée
de la fin août, près du pont qui en
jambe la Jhelum, alors que trois
jeunes manifestants auraient été
arrêtés. Le lendemain, jour de la
prière et des tentatives de mani
festation, la nervosité des autori
tés est palpable : la capitale de la
région est entièrement bouclée.
Interdiction de passer.
Combien de temps l’étau sera
til maintenu? Pour se justifier,
les autorités disent vouloir éviter
des pertes humaines. « Aucun
mort n’a été rapporté aux autori
tés et seules des violences sporadi
ques sont à déplorer », s’est féli
cité, le 25 août, Satya Pal Malik,
gouverneur du Cachemire. Mais,
dans la vallée, les forces de l’ordre
ont un lourd passif d’exactions :
112 manifestants ont été tués du
rant l’été 2010, 100 autres en 2016.
A Srinagar, des témoins affir
ment que des manifestants ont
été tués. Fahmida Rafiq, âgée de
34 ans, est morte dans son quar
tier, le 9 août, par inhalation de
gaz au poivre. « Les forces de sécu
rité dispersaient des manifestants
avec des lancers aléatoires de gaz,
raconte son mari, Mohammed
Rafiq, en montrant le certificat de
décès. Fahmida est morte en
trente minutes. La police n’a pas
ouvert d’enquête. » A l’hôpital
SMHS, un médecin explique
l’omerta : « Le corps médical a reçu
l’interdiction de communiquer au
sujet des victimes. » Il confie néan
moins recevoir cinq à six mani
festants blessés par jour et avoir
eu connaissance de trois décès.
Aux soins intensifs de l’hôpital
Skims, un infirmier déclare avoir
assisté au décès de deux manifes
tants. Ce jourlà, Haris Ahmed Ba
too, âgé de 19 ans, est dans un état
critique : sa tête a été perforée par
des billes de plomb. « Un parami
litaire lui a tiré dessus à bout por
tant », hurle sa mère, Naseema,
en pleurs. Quelques étages plus
haut, Iqbac risque quant à lui une
amputation après avoir reçu une
balle réelle. De son lit, il implore
en anglais : « Les Nations unies
doivent intervenir! »
« La communauté internationale
est notre seul espoir, estime
Amim, simple chauffeur à la
barbe soignée, autour d’un thé
entre voisins à Kupwara. Mais
l’économie a remplacé l’humanité.
Les pays étrangers, comme la
France qui vend des Rafale à l’Inde,
veulent faire des affaires et se gar
dent de critiquer l’Inde. » Son élo
quence provoque un silence ad
miratif autour de lui. Solidaires,
les habitants du Cachemire se
sentent unis dans l’adversité et
dans leur rage envers New Delhi.
« L’Inde n’a jamais réussi à écraser
le séparatisme, conclut Amim. Elle
n’y parviendra pas aujourd’hui. Le
sort du Cachemire est à présent en
tre les mains de Dieu. »
angeli de rivoire