Le Monde - 29.08.2019

(coco) #1
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JEUDI 29 AOÛT 2019 international| 5

Fragile alliance pour éviter un Brexit sans accord


Les travaillistes et les libéraux­démocrates s’unissent pour obtenir un report de la date de sortie de l’UE


londres ­ correspondante

L


a bataille pour éviter le
« no deal » est engagée à
Westminster, mais son
issue reste très incertaine.
Après avoir tenté, à la mi­août,
une alliance transpartisane, sous
sa seule bannière, afin de bloquer
une sortie sans accord de l’Union
européenne, Jeremy Corbyn est
cette fois parvenu, mardi 27 août,
à réunir un front des « anti ».
Au prix d’une mise entre pa­
renthèses de ses ambitions ini­
tiales (il proposait de démettre
le premier ministre, Boris John­
son, lors d’un vote de défiance, et
de prendre sa place), le leader des
travaillistes britanniques a
réussi à réunir autour de la table
Jo Swinson, la toute nouvelle
chef des libéraux­démocrates,
mais aussi les Verts, quelques
dissidents conservateurs et les
indépendantistes écossais du
Scottish National Party.
La réunion a eu lieu dans la très
symbolique Church House, le
bâtiment où se réunissaient les
députés pendant la seconde
guerre mondiale – Westminster
ayant été éventrée par les bom­
bes. Ils sont 160 députés à avoir
signé un communiqué commun
reconnaissant « l’urgence d’agir
ensemble ». Objectif : éviter une
suspension du Parlement, que
n’a pas exclue M. Johnson, résolu
à un Brexit à tout prix le 31 octo­
bre. Y compris en cas d’absence
d’accord, un « no deal », donc.

« Positive et substantielle »
Grands absents de cette réunion :
les ex­ministres conservateurs,
Philip Hammond, Dominic
Grieve ou Oliver Letwin, qui ces
dernières semaines s’étaient
pourtant opposés avec fermeté à
un « no deal ». Mais qui se font
très discrets ces derniers jours.
« Les livres d’histoire retiendront
qu’il y a ceux qui ont agi avec cou­
rage et les autres, qui sont restés
assis sans même rien tenter », a dé­
claré mardi Anna Soubry, ex­tory,
passée au début de 2019 dans le
camp des « indépendants ».
La jeune députée Jo Swinson,
39 ans, a notamment obtenu,
mardi, que les députés « anti »
planchent en priorité sur le
moyen de « prendre le contrôle »
de l’ordre du jour de la Chambre

des communes – dont la rentrée
officielle n’aura lieu que le 3 sep­
tembre. Cela dans le but d’obliger
le gouvernement à réclamer à
Bruxelles une nouvelle extension
de l’article 50 du traité sur l’Union
européenne, qui organise le re­
trait d’un membre de l’UE, pour
éviter le couperet du 31 octobre.
Un éventuel vote de défiance
contre M. Johnson a donc été re­
poussé à plus tard. Outre le fait
que M. Corbyn entendait profiter
de ce « coup » pour entrer à Dow­
ning Street, ce qui était inaccep­
table pour tous les autres oppo­
sants à une sortie sans accord,
tous ont fait leurs comptes. A en
croire le Sunday Times du 25 août,
à force de marteler un message
simple mais efficace (« on sort le
31 octobre »), Boris Johnson, qui a
des sondages favorables, aurait
désormais de bonnes chances de
surmonter un vote de défiance.

Les sourires complices et la con­
férence de presse commune
constituaient donc un moment
important ce mardi, alors que de­
puis le référendum les députés
britanniques ont eu le plus grand
mal à surmonter leurs visions
partisanes. Si les « anti » ne veu­
lent pas d’une sortie sans accord,
que souhaitent­ils à la place? Les
lib­dem s’affichent clairement
comme le parti du « Remain », le

maintien dans l’UE, et réclament
un second référendum. Mais les
travaillistes restent toujours
aussi divisés, entre les « remai­
ners » (dont John McDonnell,
chancelier de l’échiquier dans le
« cabinet fantôme ») et Jeremy
Corbyn, qui ne continue à soute­
nir l’option d’un second référen­
dum que du bout des lèvres. S’il
présidait la réunion des « anti »,
mardi, M. Corbyn n’a d’ailleurs
pas pris part à la conférence de
presse commune, ni signé, sous
l’œil des caméras, la « déclaration
de Church House ».
La reprise des discussions
entre Downing Street et Bruxel­
les, afin de trouver les bases d’un
hypothétique nouvel accord de
divorce, complique sérieuse­
ment la tâche de ce front. Mer­
credi 28 août, l’émissaire de
M. Johnson, David Frost, était at­
tendu à Bruxelles. Boris Johnson

s’est entretenu mardi soir avec le
président de la Commission
européenne, Jean­Claude Junc­
ker. La discussion a été qualifiée
de « positive et substantielle » par
Londres, mais Boris Johnson a
aussi répété lors de cet appel
qu’« il n’y avait pas de perspective
d’accord » sans changements par
rapport à celui qui avait été
conclu entre l’ancienne pre­
mière ministre, Theresa May,
et Bruxelles. M. Juncker a de son
côté averti le Britannique que
« toute proposition concrète » de
changement devait justement
être compatible avec cet accord.

« Extrêmement loyaux »
« Certains auront moins envie de
se rebeller s’ils estiment qu’il y a
une chance pour un accord avec
les Européens, qui rend la constitu­
tion d’une majorité en défaveur
d’un “no deal” aléatoire », relève

Maddy Thimont Jack, du think
tank Institute for Government. La
reprise des négociations est parti­
culièrement paralysante pour les
députés conservateurs. « Ils sont
extrêmement loyaux, c’est une des
armes secrètes du parti. Ils
auraient d’autant plus de mal à
s’opposer à M. Johnson qu’il est
charismatique et apprécié de la
base », souligne Agnès Alexandre­
Collier, chercheuse pour la Mai­
son française d’Oxford.
Les moyens légaux dont les dé­
putés disposent pour s’opposer
au « no deal » sont limités. Il n’y a
besoin d’aucune législation pour
le déclencher : c’est une simple
conséquence de l’article 50, ap­
prouvé par la Chambre des com­
munes en 2017. Parmi les quel­
ques solutions possibles : les dé­
putés pourraient utiliser un
texte de loi, quel qu’il soit, et
l’amender pour obliger le gou­
vernement à réclamer à Bruxel­
les une extension de l’article 50.
Mais Boris Johnson et ses
conseillers ont anticipé la
manœuvre : selon les médias
britanniques, Downing Street
veut limiter au maximum, cet
automne, la soumission de tex­
tes législatifs à Westminster.
Pour sa part, M. Johnson conti­
nue à répéter avec une belle cons­
tance que le Royaume­Uni quit­
tera l’UE le 31 octobre. Nigel Fa­
rage, le chef du Parti du Brexit, qui
faisait sa rentrée politique ce
mardi, a même proposé un « pacte
de non­agression » au premier mi­
nistre conservateur, en cas d’élec­
tions générales anticipées. Le dé­
puté européen, héraut du Brexit,
aurait­il désormais peur de perdre
tous les électeurs gagnés lors des
élections européennes, au profit
de Boris Johnson devenu le vérita­
ble « Mr. No Deal » ?
cécile ducourtieux

La CEDH condamne la Russie dans l’affaire Magnitski


La Cour de Strasbourg a jugé Moscou responsable de la mort en détention, en 2009, de l’avocat anticorruption


moscou ­ correspondance

P


rès de dix ans après sa
mort dans une prison de
Moscou, Sergueï Ma­
gnitski a remporté à Strasbourg,
mardi 27 août, une victoire
morale posthume. La Cour euro­
péenne des droits de l’homme
(CEDH) a lourdement condamné
la Russie pour de multiples viola­
tions des droits fondamentaux
dans le dossier, qui ont abouti à la
mort de cet avocat anticor­
ruption réputé. Régulièrement
frappé pendant ses onze mois de
détention préventive, puis laissé
sans soins dans sa cellule, il a fini
battu à mort. Officiellement, le
décès de Sergueï Magnitski, le
16 novembre 2009, est survenu
« par négligence ». Une version
dénoncée par les défenseurs des
droits de l’homme qui en ont fait
une cause emblématique.
Dans son arrêt, la CEDH dé­
nonce les mauvais traitements,
les conditions d’incarcération
inadaptées, le défaut de soins mé­
dicaux adéquats et l’excessive du­
rée de détention. Les juges stras­
bourgeois estiment que Sergueï

Magnitski a subi des violences car­
cérales jusqu’à peu avant sa mort.
Et ils reprochent à la justice russe
une enquête incomplète sur les
circonstances du décès, qualifiant
de « superficielle » la décision, en
mars 2013, des autorités de la clas­
ser sans suite. La CEDH n’a toute­
fois pas retenu la qualification de
« détention arbitraire », ce qui a
été immédiatement relevé par
Moscou. « La Cour européenne a
jugé manifestement infondée la
plainte portant sur une détention
arbitraire de M. Magnitski, recon­
naissant que son arrestation et son
placement en détention étaient
parfaitement conformes à la
Convention », a déclaré le minis­
tère russe de la justice.
« Ce jugement confirme claire­
ment que Sergueï Magnitski a été
torturé en prison et que ses droits
ont été violés », salue Zoïa Svetova,
journaliste et militante des droits
de l’homme. « C’est aujourd’hui
un soulagement pour sa famille
qui, à Strasbourg, obtient la justice
qu’elle n’a pas pu obtenir en Rus­
sie », confie Mme Svetova, qui a
beaucoup enquêté sur Sergueï
Magnitski et prépare un livre.

« Mais, hélas, les arrêts de la CEDH
ont peu d’effet car nos juges ne res­
pectent pas les décisions de Stras­
bourg », regrette­t­elle. Membre
depuis 1996 du Conseil de l’Eu­
rope, la Russie n’a exécuté pleine­
ment que 38 % des arrêts de la
Cour à son encontre, selon le fo­
rum d’ONG russe de défense des
droits de l’homme.

Cellules immondes
L’affaire Magnitski avait déclen­
ché une première tempête diplo­
matique entre les Etats­Unis et la
Russie. Fin 2012, Washington, sous
la présidence de Barack Obama, a
adopté un texte prévoyant des
sanctions (gels d’avoirs et inter­
dictions de visas) contre les offi­
ciels russes considérés comme
responsables du décès de Sergueï
Magnitski. « Un geste inamical », a
alors dénoncé Vladimir Poutine.
En guise de représailles, le chef du
Kremlin a soudainement interdit
aux familles américaines d’adop­
ter des enfants russes.
Ces suites diplomatiques étaient
bien loin du dossier initial. Ser­
gueï Magnitski, avocat fiscaliste,
conseillait à l’époque Hermitage

Capital, un fonds d’investisse­
ment occidental à Moscou dirigé
par Bill Browder. Tout en étant
bien en cour au Kremlin, ce finan­
cier britannique dénonçait la cor­
ruption dans le système et a fini
par trop déranger. Résultat : de­
venu en 2005 persona non grata
en Russie, il s’est un jour vu refu­
ser l’entrée sur le territoire russe.
Le financier a rejeté une compro­
mettante offre de collaboration
avec le pouvoir et, impuissant, a
subi les raids contre ses sociétés.
Pour éclaircir ces manœuvres,
Bill Browder a embauché des avo­
cats. Mais leurs enquêtes pour
corruption se sont retournées
contre eux et tous se sont réfugiés
à l’étranger. Tous sauf un : Sergueï
Magnitski, âgé alors de 36 ans, qui
finit par être arrêté en 2008 pour
fraude fiscale après avoir dénoncé
une vaste machination financière
de 130 millions d’euros orches­
trée, selon lui, par des responsa­
bles de la police et du fisc. Il est
inculpé par les responsables mê­
mes qu’il dénonçait.
C’est alors que commencent les
onze mois durant lesquels Ser­
gueï Magnitski est battu en pri­

son. Dans son journal, il raconte
son martyre. Mais plus il se
plaint, plus ses conditions de dé­
tention se dégradent. L’avocat fi­
nit dans des cellules immondes
et, à bout de force, il est envoyé
dans une antenne médicalisée où
il décède à 37 ans. Il a succombé,
selon les services pénitentiaires, à
un malaise. Mais une enquête du
conseil consultatif pour les droits
de l’homme auprès du Kremlin a
déjà conclu, en 2011, qu’il avait été
victime de coups et privé de soins.
Aucune poursuite pénale n’a ce­
pendant été engagée.
Avant sa mort, Sergueï Ma­
gnitski avait lui­même saisi la
CEDH. Une longue procédure
poursuivie par son épouse et sa
mère. La Cour a condamné la Rus­
sie à leur verser 34 000 euros
pour dommage moral, une
somme inhabituellement impor­
tante. Alors qu’en juillet 2013,
quatre ans après sa mort, Sergueï
Magnitski avait été reconnu cou­
pable d’évasion fiscale, la CEDH a
sévèrement jugé cette condam­
nation posthume d’« intrinsèque­
ment inadéquate ».
nicolas ruisseau

Jeremy Corbyn avec des membres du cabinet fantôme travailliste, à Londres, le 27 août. STEFAN ROUSSEAU/AP

Le leader
travailliste ne
soutient l’option
d’un second
référendum
que du bout
des lèvres

Nigel Farage,
le chef du Parti
du Brexit,
a proposé un
« pacte de non-
agression » au
premier ministre,
Boris Johnson

É TAT S - U N I S
Un juge du Missouri
suspend une loi
restrictive sur
l’avortement
Un juge fédéral du Missouri
a suspendu temporairement,
mardi 27 août, l’application
d’une loi très restrictive sur
le droit à l’avortement, qui
devait entrer en vigueur mer­
credi dans cet Etat conserva­
teur. Le juge a estimé que
cette loi interdisant les avor­
tements à partir de la hui­
tième semaine allait à l’en­
contre de la décision de la
Cour suprême américaine,
qui garantit le droit à l’inter­
ruption volontaire de gros­
sesse tant que le fœtus n’est
« pas viable », soit vers la 24e
semaine de grossesse. – (AFP.)

G A Z A
Trois policiers
palestiniens tués dans
des attaques à la bombe
Trois policiers palestiniens
ont été tués, mardi 27 août,
dans des attaques à la bombe
qui ont frappé deux postes
de contrôle de la police situés
dans la bande de Gaza. L’ori­
gine des attaques n’est pas
claire, mais un porte­parole
de l’armée israélienne a indi­
qué qu’il n’était au courant
d’aucune implication de son
pays. – (AFP et Reuters.)
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