Courrier International - 22.08.2019

(lu) #1

Courrier international — n 1503 du 22 au 28 août 2019 EUROPE. 15


maire au chapitre des principales
contraintes. Mais lorsqu’on lui
demande si la ville arrive au bout
de ses forces, Carda répond qu’on
n’en est pas encore là.
Le problème avec les tou-
ristes chinois, c’est d’abord que
ce sont des touristes d’un jour.
Ils viennent, parcourent la rue
principale, se prennent en photo,
exceptionnellement achètent un
souvenir, et tout au plus s’ins-
tallent à la table d’un restau-
rant avant de repartir quelques
heures à peine plus tard. Entre-
temps, d’autres sont arrivés pour
marcher sur leurs traces, faisant
ainsi se produire un incessant
roulement. C’est qu’ils n’ont pas
le loisir de traîner en route dans
leur tour d’Europe qui doit leur
permettre, à un rythme eff réné,
de prendre en photo le maximum
de monuments.


Ces fl ots de touristes ont com-
mencé après que le président
tchèque Milos Zeman a décidé
de renforcer les relations entre
Prague et Pékin [en 2016]. Il a
effectué plusieurs voyages en
Chine, avec notamment pour
objectif de contribuer au déve-
loppement du tourisme. La
signature du programme Czech-
China Tourism a été synonyme
de changement brutal pour
Cesky Krumlov. Aussitôt après,
les maires de diverses villes
chinoises s’y sont pointés avec
des demandes de partenariat
sous les bras. Krumlov les refuse
cependant en prétextant de ne
pas pouvoir faire face. Même
l’ambassadrice de Chine a fait le
déplacement depuis Prague après
avoir reçu l’ordre directement du
président Xi Jinping d’augmen-
ter de 1 % le nombre de touristes
chinois en République tchèque.
La Chine fait aussi une intense
promotion de la République
tchèque. Sur le campus de la
société Huawei à Pékin se trouve
par exemple une copie gran-
deur nature du centre de Cesky
K r umlov. “Personne ne nous a
rien demandé, explique le maire.
Une année, des ingénieurs chinois
sont venus et ont pris des photos,


Plantés il y a des centaines d’an-
nées, voire plus de mille ans dans
certains cas, ces arbres bibliques
sont très prisés sur le marché de
l’horticulture.
“Il faut arrêter cette spolia-
tion”, dénonce le groupe écolo-
giste Gepec, le Groupe d’étude
et de protection des écosystèmes
de Catalogne, un des plus actifs
dans la lutte contre cette pra-
tique. Rafael Ribó a très vite réagi
et a demandé au gouvernement
autonome catalan de prendre des
“mesures strictes” contre la vente
de ces arbres.
Cela fait longtemps que les mai-
ries signalent le fait que ces arbres
ne sont pas protégés et dénoncent
l’inaction de la région autonome
catalane. Núria Ventura, 45 ans,
est la maire socialiste d’Ullde-
cona, environ 6 500 habitants. Elle
vient de renouveler son mandat, le
26 mai. Elle s’est montrée très cri-
tique face à l’incapacité de la justice
à protéger ces oliviers extraordi-
naires. Selon elle, ce phénomène
n’est pas localisé mais découle de
l’appauvrissement de régions déjà
très vulnérables. Elle lance une
alerte : “D’ici quinze ans, il ne res-
tera peut-être plus rien à protéger.”
Les écologistes déplorent égale-
ment ces pertes : “On les arrache par
centaines”, s’indigne Xavi Jiménez,
président du Gepec. Parmi les

—El País (e x t r a i t s) Madrid

C


’est tout un patrimoine qui
disparaît sous nos yeux.
La vente d’oliviers millé-
naires représente une perte consi-
dérable pour la région catalane
des Terres de l’Èbre, dans le sud
de la Catalogne, à la frontière de
la région de Valencia. Un terri-
toire qui a toujours été agricole et
où les exploitations abandonnées
laissent place à un commerce fl o-
rissant : des arbres uniques sont
déracinés afi n de décorer les jar-
dins de riches particuliers.
Les maires et les écologistes
ont fait part de leurs inquiétudes
à Rafael Ribó, défenseur des
droits du peuple de Catalogne, et
au Parlement autonome qui tra-
vaille sur une loi pour protéger
le précieux héritage que repré-
sentent ces oliviers millénaires.
Le long de la frontière entre
la Catalogne et le Castellón
[région autonome de Valencia],
à l’ombre des montagnes de la
Serra de Godall, s’étendent des
parcelles d’oliviers, tentant de sur-
vivre malgré la sécheresse qui cra-
quelle les sols.
Les plus vieux, reconnaissables
à leur tronc robuste et tortueux,
à leurs branches noueuses, sont
convoités pour leurs vertus déco-
ratives et non pour leurs olives.

ESPAGNE


Le business des


oliviers millénaires


Dans le sud de la Catalogne, ces arbres sont l’objet d’un
négoce lucratif pour être replantés dans des jardins
de particuliers aisés. Un scandale pour les élus locaux.

arbres recensés, on distingue un
olivier de plus de 1 705 ans. “C’est
le plus vieux d’Espagne”, soulignait
récemment Núria Ventura sur les
réseaux sociaux.
Et pourtant, ce n’est pas facile
de déterminer l’âge d’un arbre. En
ce qui concerne ces oliviers d’une
valeur historique, les écologistes
et les biologistes s’accordent à dire
que si le pourtour du tronc dépasse
les 3,5 mètres en prenant la mesure
à 130 centimètres du sol, alors il
s’agit d’un olivier extraordinaire.
Le lent déclin de l’agriculture a
donné lieu à ce commerce lucra-
tif. “Pour quelqu’un qui ne travaille
plus sa terre, il est tentant de vendre
un arbre ou une parcelle”, explique
Xavi Jiménez. Il confi rme que les
revendeurs font d’énormes béné-
fi ces : “Ils achètent un olivier environ
100 euros mais ils le revendent beau-
coup plus cher”. On trouve facile-
ment des publicités d’entreprises
qui proposent ces arbres majes-
tueux pour 3 000 euros.

Mémoire d’un peuple. Le
Parlement autonome catalan pré-
pare actuellement une proposition
de loi qui protégera les oliviers cen-
tenaires ou millénaires. Elle pré-
voit un régime de sanctions avec
des amendes qui pourront s’éle-
ver à 500 000 euros. La chambre
des députés catalans a formé une
commission chargée de rédiger
le texte de loi pour protéger ces
arbres de grande valeur historique,
culturelle et écologique.
Pour ce faire, il s’agira de dresser
la liste des oliviers millénaires tous
les ans et de déterminer quelles
sont les ressources nécessaires
pour les protéger et les soigner.
En outre, le texte interdira “d’e n-
dommager, de tuer, de déraciner ou
de commercialiser” ces spécimens.
Mais, selon le Gepec et le groupe
Salvem lo Montsià [Sauvons
Montsià, le canton le plus méri-
dional de Catalogne], la procé-
dure parlementaire a eu un eff et
inverse puisque le saccage des oli-
veraies s’est accéléré. Ces orga-
nismes possèdent des vidéos
où l’on aperçoit des camions
chargés d’une demi-dou-
zaine d’arbres. Ils comptent
se fonder sur la réglementa-
tion de la région autonome de
Valencia qui, elle, protège déjà ces
arbres millénaires. Les Terres de
l’Èbre livrent une bataille pour
sauver la mémoire d’un peuple.
—Marc Rovira
Publié le 8 juillet

↙ Dessin de Kazanevsky,
Ukraine.

même avec un drone. Ils sont reve-
nus l’année suivante cette fois avec
des appareils de mesure. Et la troi-
sième année, ils ont entrepris les
travaux. Depuis, ils possèdent une
copie quasi identique.” Ils ont pro-
cédé de manière similaire avec
le village autrichien de Hallstatt,
dont une copie a également été
réalisée en Chine. Hallstatt est
depuis confronté aux mêmes pro-
blèmes que Krumlov.

Nouvelle vie. L’hôtelier Smida
souligne néanmoins que c’est
essentiellement grâce au tourisme
que des bâtiments qui tombaient
en désuétude ou qui avaient été
gravement endommagés par les
grandes inondations de 2002 ont
pu être rénovés. Les touristes
ont insuffl é une nouvelle vie à
la ville. Si tout cela est vrai, il
n’en reste pas moins que la ville
préférerait accueillir une clien-
tèle plus variée qui resterait plu-
sieurs jours sur place.
En déambulant avec le maire
de Krumlov, nous avons porté un
autre regard sur la ville. En obser-
vant la rivière Vltava – que par ail-
leurs plus de 200 000 canoéistes,
cette fois majoritairement
tchèques, descendent chaque
année –, nous repensons à l’inté-
rêt de notre reportage. Nous nous
sommes comportés comme les
touristes chinois, qui représen-
tent quelque 70 % des visiteurs.
Comme eux, nous n’avons passé
que quelques heures à Krumlov,
n’avons rien dépensé et sommes
pressés de repartir. Cela justifi e-
t-il un déplacement de quatre
heures en voiture (ou de cinq
en train) depuis Prague, autre
étape obligatoire de tout passage
en République tchèque?
Notre réponse est “oui”, même
s’il convient de rester prudent.
Cesky Krumlov est indéniable-
ment une ville magnifi que. Mais
sans aucun doute sa découverte
nécessite-t-elle d’y passer plu-
sieurs jours, de prendre son
temps, de visiter les musées, de
profiter d’une promenade en
bateau sur la rivière ou d’entre-
prendre une excursion dans les
environs. Et si vous en évitez
les rues principales, ou plutôt si
vous les empruntez tôt le matin
ou tard le soir, il ne fait alors
aucun doute que la ville vous
enchantera.
—David Pasztor
et Filip Minich
Publié le 29 juin

“Nous produisons


autant de déchets


qu’une ville de


50 000 habitants.”
Dalibor Carda,
MAIRE DE KRUMLOV

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