C’est une chaude journée d’été.
Allongé dans l’herbe, vous sentez les rayons
chauds du soleil sur votre visage. En tendant le
bras, vous pouvez toucher les fleurs dans
l’herbe qui se balancent doucement au gré du
vent. Rien ne semble plus réel que ça.
Mais la vérité est bien différente. Il y a
quelques jours, un scientifique fou est entré dans
votre appartement, vous a assommé, vous a scié
le crâne et en a extrait votre cerveau. Maintenant,
ce même cerveau flotte dans un bac rempli d’une
solution nutritive qui maintient les neurones en
vie. Un superordinateur connecté aux extrémités
des nerfs stimule l’organe comme s’il recevait des
stimuli de son environnement, et vous fait croire
que vous êtes toujours en vie.
À partir des années 1970 ont commencé à
circuler des versions de plus en plus nombreuses
de cette expérience de pensée philosophique (ici
basées sur le chapitre « Cerveau dans une cuve »
de l’ouvrage du philosophe Hilary Putnam
Reason, Truth and History, en 1981). Le cerveau,
selon l’opinion courante des scientifiques cogni-
tifs à l’époque, fonctionnerait comme un ordina-
teur. Cet organe pesant environ 1 300 grammes
générerait la conscience, nos désirs, sentiments
ou pensées de façon algorithmique, à la façon de
représentations symboliques. Certains penseurs
soutiennent que nous ne pouvons tout simple-
ment pas savoir si nous existons en tant qu’hu-
mains dans la réalité ou simplement en tant que
cerveaux dans un réservoir.
Au cours des dernières décennies, l’opposition
au « modèle informatique de l’esprit » s’est toute-
fois accrue dans les rangs de l’entreprise. Les
représentants de la science cognitive incarnée,
par exemple, soulignent un fait que les cher-
cheurs sur le cerveau risquent d’oublier lorsqu’ils
examinent principalement des sujets immobiles
dans un tomographe : les êtres humains sont des
êtres vivants dont le corps est en mouvement et
interagit avec le monde pendant la plus grande
partie de son existence. Pour les adeptes de la
« thèse de l’incarnation », la conscience s’appuie
en grande partie sur un corps agissant.
Mais l’incarnation est aussi depuis longtemps
un concept dans les sciences de la vie, par
exemple en psychologie, en psychiatrie, en psy-
chothérapie et, bien sûr, en neurosciences.
Habituellement, le terme est utilisé lorsqu’est
révélée une influence du corps sur l’esprit beau-
coup plus grande qu’on ne le pensait auparavant.
Et maintenant, les spécialistes du cerveau doivent
se demander s’ils n’ont pas cherché la conscience
au mauvais endroit.
LE SENTIMENT PHYSIQUE DE SOI
L’importance du corps dans nos expériences
subjectives est déjà évidente à un niveau très élé-
mentaire, selon le psychiatre et philosophe
Thomas Fuchs, de l’hôpital universitaire de
Heidelberg. Car la conscience ne comprend pas
seulement des processus cognitifs de plus haut
niveau tels que les pensées, mais, selon Fuchs,
« inclut une sorte de faculté centrale – un senti-
ment physique de soi, un sentiment de vie, qui est
donné en arrière-plan à chaque instant et est lié
Par Christian Wolf, philosophe, journaliste scientifique.
Penser uniquement avec son cerveau est
impossible. À tout instant, des signaux issus
de chaque cellule de notre corps forgent
à la fois notre conscience, notre perception
et notre réflexion sur nous-mêmes.
EN BREF
£ Notre cerveau interagit
à tout instant avec
notre corps pour forger
notre conscience, nos
perceptions et même
notre sentiment d’exister.
£ Par exemple,
nos émotions prennent
naissance dans notre
corps et sont captées
par notre cerveau qui
s’en inspire pour prendre
des décisions.
£ Même notre vision
ne se développerait
pas si nous ne pouvions
pas nous déplacer dans
notre environnement.
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