spécialistes actuels de l’attention, « une
bonne concentration reste la clé de
l’apprentissage ».
Alors, quelles solutions adopter? Une
petite anecdote : dans le cadre d’une
phase d’évaluation de la capacité de
concentration « normale » menée en
classe de sixième (c’est-à-dire avant toute
forme d’intervention concernant l’atten-
tion, comme des programmes de sensibi-
lisation), mon équipe et moi-même avons
soumis quatre classes à un exercice
d’écoute attentive. Les élèves devaient
noter pendant deux minutes des listes de
chiffres prononcées les unes après les
autres, sans répétition, par une voix pré-
enregistrée. À notre grande surprise,
nous avons constaté que la quasi-totalité
des élèves avait correctement écouté et
noté la soixantaine de chiffres du test
avec des taux de succès largement supé-
rieurs à 95 % – alors que chaque seconde
d’inattention suffisait à en rater un ou
deux. Nous sommes donc arrivés à la
conclusion – contraire à nos hypothèses
préalables – que sur une tâche simple, la
quasi-totalité des élèves de sixième sont
parfaitement capables d’une
élèves ou des personnes situées à proxi-
mité. La deuxième source de distraction
provient de leurs propres actions, que ce
soit avec leur téléphone ou des objets plus
« classiques » (faire tomber son stylo, etc.).
Les pensées spontanées viennent en troi-
sième place en termes de fréquence rap-
portée, avec des contenus très divers : des
projets concernant le futur immédiat
(après le cours, le soir), d’éventuelles sen-
sations de fatigue ou d’ennui (« qu’est-ce
que je m’ennuie »), des inquiétudes
concernant leurs résultats scolaires ou la
perception de la difficulté du cours, des
doutes quant à ce qui leur est demandé
(pendant des exercices, notamment).
Un esprit cynique pourrait voir dans
ce tableau une préparation idéale à la vie
professionnelle moderne, qu’on sait de
plus en plus ponctuée d’interruptions
fréquentes qui obligent à commuter sans
cesse d’une activité à une autre :
dès 2005, Gloria Mark et ses collègues
de l’université d’Irvine, en Californie,
ont montré, en examinant le temps
moyen consacré continûment à une
tâche, que la durée moyenne consacrée
à une tâche de manière ininterrompue
était de 11 minutes. Et c’était avant l’ex-
plosion du nombre de messages instan-
tanés et de mails!
LES PETITES BULLES DE L’ATTENTION
Alors, faut-il voir dans cette fragmen-
tation de l’attention une avancée vers un
mode de travail plus dynamique appris
dès les salles de classe? Plus dynamique,
certes, mais pas forcément plus efficace
ni plus heureux : dans une autre étude
consacrée en 2008 à l’effet de ces inter-
ruptions sur le bien-être au travail, Clark
avait relevé entre autres : un stress plus
élevé, et une sensation accrue d’effort, de
frustration et de pression.
La fragmentation de l’attention des
élèves n’est donc pas une très bonne nou-
velle, d’autant que les distractions ont des
effets très négatifs sur les résultats sco-
laires et universitaires, car comme le rap-
pelle Michael Posner, l’un des plus grands
concentration continue pendant deux
minutes, à condition toutefois d’être pla-
cés dans les conditions « spéciales » d’en-
gagement et de motivation causées par la
visite de chercheurs dans leur classe...
Deux minutes, cela peut sembler un
peu court... mais songez à tout ce qu’il est
possible de faire grâce à deux minutes
d’attention continue! Lire une page d’un
livre, écouter une consigne complexe...
En classe, ces deux minutes sont une
durée tout à fait intéressante à condition
de pouvoir être répétées. Pour cela, la clé,
ce sont les pauses! (courtes, bien sûr). Dès
lors le problème n’est pas tant d’apprendre
aux élèves à se concentrer d’une manière
vague et globale, que de leur apprendre
d’abord sur quoi se concentrer précisé-
ment, en fonction de la tâche qu’ils
doivent réaliser, et ensuite, à organiser
leur concentration dans le temps, de façon
à ce que ces « bulles » de quelques minutes
dont ils sont presque tous capables soient
utilisées aux bons moments et de manière
synchrone lorsque l’enseignant s’adresse
à toute la classe. Des bulles pour des pois-
sons rouges, avouez qu’on pouvait diffici-
lement trouver mieux... £
Bibliographie
N. Unsworth
et B. D. McMillan,
Cogn. Res. Princ. Implic.,
vol. 2, p. 32, 2017.
J. - P. Lachaux, Les Petites
Bulles de l’attention.
Se concentrer dans un
monde de distractions,
Odile Jacob, 2016.
M. I. Posner et M.
K. Rothbart, Trends
Neurosci Educ., vol. 3,
pp. 14-7, 2014.
G. Mark et al., Proc.
SIGCHI conf. Hum. Fact.
Computing Sys.,
pp. 107-110, 2008.
Nous sommes
presque tous
capables de
petites bulles
d’attention
de 2 minutes :
captons ce
rare oxygène!