le magazine satirique Punch, reprend
le terme à son compte et en élargit le
sens, jusqu’à pouvoir se vanter non
seulement de lui avoir donné son
acception moderne, mais aussi
d’avoir attiré l’attention d’un vaste
public sur ce qu’il considère comme
une nuisance sociale.
LES DÉBUTS
DE LA SNOBOGRAPHIE
Thackeray envisage la possibi-
lité de développer une véritable
science du snobisme, et lui-même se
qualifie tantôt de « snobonome »,
tantôt de « snobographe ». De
février 1846 à février 1847, il publie
une série d’articles intitulés « Les
Snobs d’Angleterre, par l’un d’entre
eux », qui seront réunis en 1848
dans Le Livre des snobs. La même
année, il entame son feuilleton le
plus célèbre, La Foire aux vanités (en
anglais Vanity Fair), grande fresque
victorienne de l’ascendance sociale
où l’on retrouvera nombre de ces
grotesques personnages.
Le Livre des snobs contient une
série de portraits caustiques dont
les protagonistes sont camouflés
par des noms ridicules, mais néan-
moins facilement reconnaissables
pour qui fréquente la bonne société
londonienne de l’époque. La vie des
snobs y est contée par le menu, dans
les milieux aristocratique, militaire,
universitaire, politique, culturel ou
ecclésiastique. Thackeray y détaille
leur rapport à l’argent, à l’amour, à
la société, aux goûts et à la
connaissance.
Pour l’écrivain, le snob ne cesse
de répéter à la ronde : « N’est-ce pas
que j’ai l’air de quelqu’un? » Cette
soif irrépressible de paraître est
peut-être l’essence même du sno-
bisme. À l’époque de Thackeray,
cela passe notamment par l’imita-
tion des classes supérieures, en par-
ticulier la noblesse. Sans avoir tota-
lement disparu, cet aspect s’est
affaibli, suite à la démocratisation
de nos sociétés. Mais il est un autre
moyen d’être snob, qui reste fort
utilisé par ceux d’aujourd’hui et que
Thackeray a très bien saisi : une iné-
puisable prétention à tout savoir
(voir l’extrait ci-dessous).
Malheureusement pour les
snobs, cette prétention, qualifiée de
« revendication excessive » (overclai-
ming, en anglais) par les psycholo-
gues modernes, est facile à détecter.
Dans les années 1990, le chercheur
en psychologie Delroy Paulhus a
développé une série de question-
naires pour la mesurer.
AVEZ-VOUS LU LA NEIGE JAUNE?
Le principe est de demander aux
gens leur degré de familiarité avec
un certain nombre de sujets, par
exemple des romans, des concepts
scientifiques, des personnages histo-
riques, des lieux géographiques ou
des termes juridiques. Parmi ces
sujets, on introduit subrepticement
quelques termes susceptibles de faire
illusion, mais qui n’existent en réalité
pas, comme « la tour de Gibraltar »,
« l’anarchisme résurrectionnel », les
« ultralipides » ou le roman La Neige
jaune. On mesure alors la tendance
des personnes interrogées à montrer
qu’elles connaissent ce dont on parle,
et surtout à prétendre connaître des
choses que personne ne peut savoir.
En cas de doute sur votre inter-
locuteur, vous pouvez ainsi le tester
en glissant quelques fausses réfé-
rences dans la conversation. S’il a
visité la Tour de Gibraltar ou adoré
La Neige jaune, c’est un snob!
La difficulté est que les snobs
semblent se duper eux-mêmes et ont
réellement l’impression de tout
connaître. Une étude menée par les
chercheurs américains Brent Hughes
LIVRES Neurosciences et littérature
Chez les snobs, la zone
du cerveau chargée
de détecter l’ignorance
sur un sujet resterait
silencieuse.
EXTRAIT
LE SNOB SAIT TOUT
J
awkins est le plus obstiné des Snobs des Clubs. Tous les jours, il est à cette même place,
près de la cheminée, brandissant le Standard, dont il lit l’éditorial jusqu’à la dernière
ligne, pour le déverser ore rotundo avec le sang-froid le plus stupéfiant dans l’oreille
de son voisin, qui vient d’en lire tous les détails dans le journal. Jawkins a de l’argent, ainsi
que vous pouvez vous en rendre compte à son nœud de cravate. Il passe ses matinées à
faire le faraud dans la Cité, chez les banquiers et les courtiers, et à vous dire : « Je causais,
hier, avec Peel et ses intentions sont ceci ou cela. Graham et moi avons parlé de cette
affaire, et je vous donne ma parole que son opinion coïncide avec la mienne, et que
ce Machinchose est la seule mesure que le Gouvernement se risquera à essayer. » [...]
J’ai souvent rencontré, dans beaucoup de Clubs, un autre genre de Snob politique, et c’est
celui qui ne s’intéresse pas outre mesure à la politique intérieure, mais qui est remarquable
sur le terrain des affaires étrangères. [...] C’est lui qui est vraiment inquiet des intentions
de la Russie et de l’atroce perfidie de Louis-Philippe. C’est lui qui s’attend à voir la flotte
Française dans la Tamise et qui ne perd pas de vue le Président des États-Unis, dont il lit
(que Dieu le protège !) les discours, depuis A jusqu’à Z.
Le Livre des snobs, W. M. Thackeray, traduit de l’anglais
par Raymond Las Vergnas, Flammarion, 1990/1848, pp. 211-212.