questionnaires. Ils ont alors introduit
des « pièges », principalement sous
forme de questions sur des compor-
tements immoraux auxquels nul, en
principe, n’a échappé (« Je ne mens
jamais », « Je n’ai jamais blessé
quelqu’un », « Je n’ai rien fait de mal
dans ma vie »). Ceux qui acquiescent
à ces affirmations sont fortement
suspects d’une tendance générale à
exagérer leurs talents et leurs vertus.
Autrement dit, si votre interlocuteur
n’a jamais eu le moindre comporte-
ment répréhensible, vous êtes plus
probablement face à un snob que
face à un ange.
ENTRE NARCISSISME
ET OUVERTURE D’ESPRIT
Le snob contemporain reste donc
avide de se faire mousser, même si
c’est désormais en prétendant tout
savoir. Les recherches montrent que
cette attitude s’ancre profondément
dans la structure de la personnalité.
Elle est associée au narcissisme, mais
aussi à un tempérament plutôt ouvert
et créatif, qui dénote d’une curiosité
générale, en particulier envers des
éléments peu conventionnels. En
outre, elle va de pair avec un bon
niveau d’éducation – même si elle est
largement déconnectée des connais-
sances réelles de l’individu sur un
sujet précis. C’est comme si la combi-
naison de l’instruction, du narcis-
sisme et de l’ouverture d’esprit insuf-
flait un air de familiarité avec tout et
n’importe quoi, créant l’illusion
qu’une vague culture superficielle
suffit à impressionner son monde.
Ce leurre ne devrait plus vous
abuser – si tant est qu’il l’ait déjà
fait –, puisque vous avez maintenant
toutes les cartes en main pour recon-
naître les snobs. Et pour les faire
changer? Pas si simple. Thackeray
lui-même reconnaissait qu’il ne suffit
pas de pointer leurs contradictions
et leur ridicule : « On ne peut pas
transformer la nature des hommes
et des Snobs par la seule force de la
satire ; de même qu’on a beau mettre
autant de rayures qu’on veut sur le
dos d’un âne, on ne le change pas
pour cela en zèbre ». £
et Jennifer Beer incrimine une struc-
ture cérébrale particulière, le cortex
orbitofrontal médian. Cette structure
s’active lorsqu’on s’aperçoit qu’on ne
connaît pas quelque chose. Or chez
les adeptes des « revendications
excessives », elle reste silencieuse
lorsqu’ils doivent statuer sur leur
connaissance d’un sujet, ce qui sug-
gère que le snobisme est chez eux une
attitude automatique et inconsciente.
Croire qu’ils savent correspond en
quelque sorte au fonctionnement par
défaut de leur cerveau.
LEUR BUT : SE FAIRE MOUSSER
Reste que, consciemment ou
non, ils en attendent un avantage.
Une quête qui transpire dans l’ex-
trait ci-contre : comme lorsqu’ils sin-
geaient la noblesse, les snobs
cherchent à s’élever au-dessus de la
masse à moindres frais, en endos-
sant la parure de quelqu’un de supé-
rieur. Cette « personne supérieure »,
ici, est un être excessivement fin et
cultivé, qu’ils finissent par se
convaincre d’être réellement.
Pour le philosophe Matthew
Kieran, ce qui distingue le snob
culturel d’un authentique amateur
d’art, c’est d’ailleurs le rôle priori-
taire que joue le jugement social
dans ses appréciations. C’est-à-dire
que son jugement esthétique ou
intellectuel est motivé par des cri-
tères purement externes : il n’aime
pas tel ou tel artiste en fonction des
qualités propres à son œuvre, mais
uniquement, ou principalement,
pour les avantages qu’il peut retirer
du simple fait d’aimer cet artiste. Et
bien sûr de le faire savoir à la ronde.
Mais c’est là une autre des failles
qui empêchent les snobs de passer
sous les radars, leur second talon
d’Achille en quelque sorte. Il y a près
d’un siècle, les psychologues ont
développé une astuce pour détecter
cette tendance extrême à se mettre
en valeur. Bien obligés : pour vérifier
la validité de leurs études sur la per-
sonnalité, les compétences ou les
relations sociales, ils devaient s’assu-
rer que les personnes interrogées
n’en rajoutaient pas dans les
POURQUOI
J’AI AIMÉ CE LIVRE
Il est rare de pouvoir
associer un mot
et un concept aussi
directement à un auteur.
C’est pourtant le cas
de Thackeray et de ses
« Snobs », dont on retrouve la trace
dans tous les lieux et à toutes les
époques. La satire n’en aura sans
doute jamais fini avec ces prétentieux
personnages, mais c’est aussi à un
exercice d’autocritique et d’humilité
que nous invite l’écrivain : « Dites-moi
comment on pourra jamais
se débarrasser du Snobisme, alors
que la Société fait tellement pour
l’entretenir? » De fait, un siècle
et demi après la parution de son
ouvrage, les snobs sont loin d’avoir
disparu. Si nous les tolérons autant,
ne serait-ce pas pour nous permettre
de l’être un peu nous-mêmes,
au moins de temps en temps?
Sebastian Dieguez
Bibliographie
S. Atir et al., When
knowledge knows no
bounds , Psychological
Science, 2015.
B. Hughes et J. Beer,
Medial orbitofrontal
cortex is associated
with shifting decision
thresholds in self-
serving cognition,
Neuroimage, 2012.
M. Kieran, The
vice of snobbery :
Aesthetic knowledge,
justification and virtue
in art appreciation,
Philosophical
Quarterly, 2010.