Elle N°3844 Du 23 Août 2019

(nextflipdebug5) #1

100 ELLE.FR


C’ÉTAIT
MES 40 ANS!
JE NE SAIS PAS
POURQUOI
J’AVAIS MIS TANT
DE CHARGE
SYMBOLIQUE
DANS CET
ANNIVERSAIRE.

J’ai d’abord cru à une blague, même si ce n’était pas le
genre de Thom. Lorsque j’ai vu le sac en papier brillant qu’il me
tendait, mon cœur s’est mis à battre fort. Il y avait une montre stylisée
dessinée dessus. Mon anniversaire était le lendemain, mais Thom
tenait absolument à m’offrir son cadeau ce soir-là. « T’es sûr? »
J’essayais de gagner du temps. Thom, comme un gamin, trépignait
d’impatience. J’aurais voulu être ailleurs, pressentant déjà le point
de non-retour. Il ne pouvait pas m’offrir ça! Une semaine auparavant,
il m’avait demandé ce qui me ferait plaisir. J’avais trouvé que, pour
mes 40 ans, il aurait pu se bouger avant. Mais, je n’avais rien dit :
c’ était peut - être une feinte pour me surprendre davantage. Mais, au
fond, je m’en foutais pas mal, du cadeau. J’espérais juste une vraie
surprise, qui me touche. Pour une fois, je voulais que Thom se décar-
casse pour moi. Comme je le faisais pour lui. J’en avais besoin
comme un signe d’amour. À chaque Noël ou anniversaire, il allait
dans la boutique au coin de la rue et revenait avec un pull, très joli
cer tes. Mais après quatorze ans de vie commune, j ’en avais plein le
dressing, moi, des pulls. Thom attendait que j’ouvre son cadeau. J’ai
bu une grande gorgée de champagne pour me donner du courage.
À mesure que je défaisais le ruban, ma gorge se nouait de décep-
tion. Je reconnaissais la couleur et le logo de cette marque de luxe.
Je n’y croyais pas. Je cherchais sur le visage de Thom, dans ses yeux ,
autour de nous, un signe : une autre petite pochette peut-être, une
caméra cachée dans un coin du salon qui aurait montré que c’était
pour de faux, pour rire. Mais rien, et Thom me regardait émerveillé,
suspendu à ma réaction. Alors? Bah, alors, j’aurais préféré un pull,
un grille-pain, une scie sauteuse. « Une montre ?! Tu m’offres une
montre! » ai-je répété cinq fois tellement je n’en revenais pas.

LA SURPRISE RATÉE
C’était la montre de luxe par excellence. Celle qui se voit au poignet
et qui incarne un monde auquel je ne veux pas appartenir. Mais
pourquoi? Quelle image avait-il de moi pour penser qu’un tel
cadeau me plairait? J’étais bohème, j’aimais la simplicité, la discré-
tion, je ne portais quasiment pas de bijoux. Et, en plus, je détestais
avoir l’heure. Pourquoi une montre? Pourquoi cette montre? « Tu ne
l’aimes pas? », me demanda Thom, anxieux. Je n’ai pas dû être
tendre sur le coup ; je lui en voulais tellement de s’être trompé. Il était

C’EST MON HISTOIRE


ELLE VIE PRIVƒE


ÉMILIE MÈNE UNE VIE SANS HISTOIRES, HEUREUSE ET SEREINE,
JUSQU’AU JOUR OÙ SON AMOUREUX LUI OFFRE, POUR SES 40 ANS,
UN PRÉSENT QUI LA DÉCONCERTE. SA VIE S’EN TROUVE CHAMBOULÉE.

déçu par ma réaction, mais je n’allais quand même pas lui mentir
pour lui faire plaisir !? Et puis, c’était moi la blessée dans l’histoire.
Pas lui. C’était mes 40 ans! Je ne sais pas pourquoi j’avais mis tant
de charge symbolique dans cet anniversaire. Peut-être parce que je
le voyais comme le milieu de ma vie ou le début de sa fin. « Tu n’es
qu’une princesse insatisfaite », conclut Thom énervé. Nous avons fini
la bouteille de champagne en silence, vexés comme deux poux l’un
en face de l’autre, moi avec le goût amer de ne pas être aimée.
Ambiance. Cette soirée scella le
début d’une longue introspection.
Je ne comprenais pas comment on
pouvait partager quatorze ans
d’intimité avec quelqu’un et ne pas
le connaître à ce point. Nous
avions fait un enfant ensemble, le
tour du monde, partagé des
milliers de restos, de concerts, de
fous rires, de nuits d’amour! Je
n’étais pas seulement blessée.
J’étais perdue. Comme si ce
cadeau raté avait été un déclic et
avait réveillé mon moi profond. Je
ne m’étais jamais posé de ques-
tions. Je passais mon temps à dire
« merci », « pardon », à faire plaisir
aux autres. Au bureau, je bossais
comme une folle depuis des
années, mais, au fond, est-ce que
j’en avais vraiment envie? J’avais
le sentiment d’être passée à côté de moi-même. Et l’image de réus-
site et de conformisme que me renvoyait la montre ne faisait que
l’accentuer. Et si c’ était moi qui me trompais? De boulot, de mec, de
vie? Thom méprisait ma soudaine remise en question. « Tout ça à
cause d’une montre, n’importe quoi », disait-il encore piqué dans son
amour-propre. Il n’y voyait que les larmoiements de son amoureuse
capricieuse. Je voyais, moi, qu’on s’éloignait. J’ai commencé à obser-
ver notre vie de couple. Je la disséquais, ne retenant plus que
ses mauvais côtés. Je ne voulais plus être dans le sacrifice de ma

PROPOS RECUEILLIS PAR MARGOT VERARD ILLUSTRATION STÉPHANE MANEL

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« C’EST
MON HISTOIRE »
EN PODCAST SUR
L A CHAÎNE ITUNES
D E « E L L E ».

C’ÉTAIT LE CADEAU


DE TROP!

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