Elle N°3844 Du 23 Août 2019

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  • elle a un peu peur de se faire virer de la compagnie de danse –,
    elle passe une audition pour « Morse », une série télé locale. Elle est
    retenue. Elle adore l’expérience. Une blessure sérieuse, ensuite,
    cloue au sol ses ambitions de ballerine. Elle y voit l’occasion de
    rebondir et tente le concours d’entrée d’une école de théâtre : reca-
    lée deux fois. Qu’à cela ne tienne, suite à un casting réussi, la voilà
    dans « Pure », de la Suédoise Lisa Langseth, un premier long - métrage,
    dont, à 21 ans, elle tient le haut de l’affiche. Mais pour Alicia, ça ne
    va pas assez vite : « Je fabriquais moi-même mes bandes démos. Tu
    te filmes avec une caméra, tu télécharges la vidéo pendant des
    heures sur l’ordinateur, tu la passes dans tel programme pour la mon-
    ter et la couper... J’en ai enregistré une vingtaine, ce qui m’a pris, sans
    mentir, au moins deux mois complets de ma vie, et je les ai envoyées
    à des tas de gens. Personne ne m’a jamais rappelée! » Avant que
    tout ne se dénoue finalement avec l’« Anna Karenine », de Joe Wright,
    qui la lance dans le cinéma anglophone.


Si Alicia Vikander croule désormais sous les proposi-
tions de Hollywood, enquille les tournages comme une stakha -
noviste – elle avoue qu’elle passe rarement plus de trois semaines
au même endroit – et a vu tous ses rêves comblés – adolescente,
elle réglait son réveil pour regarder à la télévision la cérémonie des

Oscars à l’heure californienne –, elle met tout en œuvre pour que le
chant des sirènes ne l’enivre pas trop. « L’industrie du film perpétue
la merveilleuse illusion que le cinéma est un pays enchanté, analyse-
t-elle. Alors, certes, j’adore mon métier d’actrice, j’adore être à Los
A ngeles ou à New York, où j ’ai plein d’amis, mais une fois le tournage
terminé, j’adore rentrer à la maison! » « La maison », pour celle qui
se dit davantage européenne que suédoise, c’est aujourd’hui Lis-
bonne. Une ville, « où les paparazzis n’existent pas » et où le couple
Vikander-Fassbender peut tranquillement « descendre au marché,
aller à la plage ou prendre le ferry pour manger des sardines de
l’autre côté du Tage ». Ces deux-là raffolent aussi du camping sau-
vage, sillonnent les campagnes et les rives de l’Atlantique au volant
de leur van, « en dormant sur la banquette arrière » dès qu’ils trouvent
un joli bois pour passer la nuit. « J’ai quand même la grande chance
d’avoir accès à un éventail de beautés très large, reprend-elle. Un
jour, j’assiste à un défilé Vuitton incroyable, un autre jour, je suis au
Ritz, et le lendemain, je cuisine ma propre bouffe dans la nature face
à un coucher de soleil. » Une étoile holly woodienne, c’est sûr, au fir-
mament certainement, mais les pieds sacrément sur terre. n MARK SELIGER

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vous sentez vraiment créative ». On pressent alors qu’elle
va nous parler du pays du Soleil- Levant, où elle a passé trois mois et
demi pour les besoins du tournage, sur le mode « cette contrée loin-
taine qui nous déboussole, nous les Occidentaux ». Eh bien, tout faux
encore : « Vous savez, en Suède, on mange du poisson cru, toutes
sortes de pickles, on sait faire la queue bien en ligne, on se déchausse
en entrant chez les gens et on est à fond dans le design minimaliste.
Finalement, je ne me suis pas sentie si différente des Nippons! » Elle
a de nombreuses répliques, d’ailleurs, en japonais et se montre inta-
rissable sur la manière dont elle en a travaillé le sens, les nuances, et
sur les infinies subtilités que peut revêtir un simple pronom personnel.
Quand on avance que ses capacités linguistiques ont peut-être aidé


  • elle parle le suédois, le danois et un anglais - américain fluidissime –,
    elle nous répond que non, non, qu’elle a surtout bossé et encore
    bossé, qu’elle a toujours besoin, d’ailleurs, de travailler son anglais
    avec des coachs, et prend tout à coup, pour rire, l’accent le plus oxfor-
    dien qui soit, genre patate chaude dans la bouche. On lui demande -
    rait bien, dans la foulée, une imitation de l’accent du comté
    de Kerry – l’Irlande est la patrie de son sex-symbol de
    mari, l’acteur Michael Fassbender –, mais on nous a fait
    promettre de ne pas aborder le sujet « vie privée », même
    si d’elle-même, un peu plus tard, elle nous racontera deux
    ou trois choses sur sa vie de couple.


Tout nous dit, chez Alicia la bosseuse, que la
gloire, même si la chance et l’intuition entrent
en jeu, n’est pas tombée toute cuite. Q u’e l l e e n
veut, qu’elle n’est pas là par hasard, qu’elle ne fait rien par-
dessus la jambe. Ce sens du dépassement de soi, elle le
tient peut-être de ses années de ballerine : la petite fille de
Göteborg se voyait déjà étoile, oui, mais de danse clas-
sique, consacrant tout son temps extrascolaire aux ara-
besques et aux entrechats – et jusqu’à sept heures par jour
lorsqu’elle a quitté le cocon familial à 15 ans pour rejoin dre le Ballet
royal suédois. Sa mère, Maria Fahl Vikander, connaît bien les
planches : c’est une actrice de théâtre. Son père, Svante, connaît bien
l’âme humaine : il est psychiatre – « Mais, surtout, il a l’oreille la plus
attentive du monde. C’est un homme qui aime le mystère dont les gens
sont faits. » Alors, à ses parents, elle fait lire, depuis ses débuts et
encore aujourd’hui, tous les scénarios sur lesquels elle travaille. C’est
pourtant en secret que sa vocation d’actrice est née. Elle a 13 ans
quand, seule à la maison, elle met dans le lecteur le DVD de « La
Pianiste », de Michael Haneke, que sa mère lui a formellement inter-
dit de voir mais dont elle parle, avec ses amies, comme d’un chef-
d’œuvre. « Bon, j’ai vite compris pourquoi, se marre Alicia, en son-
geant à ces scènes trash – inceste, hémoglobine, fouillage de pou-
belles de peep-show – dont le film regorge. Mais quand même!
J’avais face à moi ce personnage joué par Isabelle Huppert, si com-
plexe, si blessé, si extrême que j’avais envie d’entrer dans sa tête. Je
me suis dit : “Waouh, c’est ça que je veux faire !” Je sentais à quel
point la comédienne s’était jetée à corps perdu dans le rôle et je
voulais, moi aussi, connaître ce don total de soi. » En secret toujours

ELLE MAG / PORTRAIT


23 AOÛT 2019

UN JOUR, JE SUIS AU RITZ,


ET LE LENDEMAIN, JE CUISINE
MA PROPRE BOUFFE

DANS LA NATURE FACE


À UN COUCHER DE SOLEIL.


ALICIA VIKANDER
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