Elle N°3844 Du 23 Août 2019

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PIERRE ET GILLES/GALERIE TEMPLON

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de faire du shopping avenue Montaigne que
de faire des mamours à un quelconque petit
ami de mon âge. Alors on m’a reproché
d’avoir été matérialiste, oui. Mais pardon,
notre société est capitaliste, non? Si j’avais
été caissière, mon corps et ma force de travail
auraient été exploités aussi. Et pour un salaire

de misère », assène-t-elle, presque marxiste
pour le coup. Parmi les lectures de Zahia, on
ne s’étonnera pas qu’il y ait Grisélidis Réal,
cette auteure et artiste suisse qui se prostituait
par choix et qui l’a théorisé... Pour autant, la
jeune fille n’est pas préparée à la lumière
crue qui va soudain s’abattre sur elle lors de
l’affaire qui porte son prénom. Elle songera
même, pendant des mois, au suicide, tant elle
se sentira mise au ban, cataloguée comme

ELLE MAG / RENCONTRE


genre et de sexualité – alors elle
s’anime, au point qu’un soupçon d’accent
algérien af fleure dans sa voix. Demandons - lui
comment elle envisage la séduction. Elle nous
répond façon « cas pratique » : « Lors d’un
rendez- vous avec un homme, par exemple, je
mange à peine, comme un oisillon qui picore,
et ne dis pas un mot de travers. C’est
une image de moi irréprochable,
presque sacrée, que je donne ainsi.
Le message, c’est : “je suis si parfaite
qu’il va falloir que tu fasses des
ef for ts !“, et là, c’est moi qui prends le
pouvoir et l’ascendant. » Jouer les
oisillons inoffensifs, n’est-ce pas
une posture qui peut sembler anti-
féministe? se hasarde-t-on. « Oui,
c’est vrai, oui... Mais, à la fois, on ne
peut pas se dire féministe quand on
estime qu’il y a des femmes respec-
tables et d’autres qui le sont moins. En
pensant comme ça, d’ailleurs, on se
prive de la possibilité d’avoir envie,
un jour, de danser à moitié nue sur
une table en boîte de nuit, et c’est
dommage. Qu’une femme veuille
séduire en robe en latex rose bon-
bon ou en smoking, personne n’a à
débattre là-dessus, et pourtant, on
s’acharne toujours sur celles qui
affichent une féminité exacerbée.
Alors, je suis sexy par révolte. » Ce
que revendique Zahia entre deux
gorgées de jus d’ananas, tout sou-
rire mais fermement, c’est le droit à
se jouer des codes de la féminité et
d’y prendre un malin plaisir. C’est
aussi le droit de faire de son corps
ce qu’elle veut, en l’occurrence un
ascenseur social qui l’a fait passer,
à l’âge où certaines en sont à leurs
premiers baisers, de petite banlieu-
sarde à courtisane haut de gamme


  • ses revenus mensuels, parfois,
    dépassaient les 20 000 euros. Loin
    d’elle, cependant, l’idée d’ériger son CV en
    modèle : elle ne parle qu’en son nom propre.


Cette période cocotte, Zahia la
raconte avec pudeur mais n’élude
rien. Elle admet carrément qu’elle était
« amoureuse de l’argent ». Qu’elle aimait
l’« aventure », aussi, et que ses relations
tarifées avec des plus âgés satisfaisaient ces
penchants. « J’étais bien plus excitée à l’idée

la « mauvaise fille » sur qui tout le monde a un
avis – et pas des plus amènes. « Même dans
mon milieu, tolérant, intellectuel, il y a encore
une méfiance puritaine à l’endroit de Zahia
sur le mode “est-ce qu’on a envie de glorifier
une fille qui a gagné de l’argent en vendant
son corps ?”, décrypte Rebecca Zlotowski.
Alors, à toutes les étapes du film, il a
fallu que je convainque autour de
moi que travailler avec Zahia n’était
pas un snobisme de ma part, mais
une idée sincère et inspirée. »
Zahia, néanmoins, réussira à tour-
ner l’opprobre à son avantage. Ni
mea culpa télévisuel, ni révélations
tonitruantes, ni contre-offensive, ni
rien du tout. Elle a laissé la curiosité,
plus ou moins malsaine, se cristalli-
ser autour d’elle sans jamais la satis -
faire. « Zahia a su organiser sa
rareté tout en étant l’ado la plus
célèbre de France, dit, admiratif,
Hugo Lopez, qui lui a consacré un
documentaire en 2013, “Zahia de
Z à A“. On lui a proposé des tonnes
de télé-réalités et d’interviews mais
elle a tout refusé en bloc. Elle a su,
aussi, s’entourer de qui il fallait. »
Et quel entourage! Deux ans après
le scandale, la voilà métamorpho-
sée en petite reine menant grand
train dans un hôtel particulier de
l’Ouest parisien avec tout un tas de
petites mains autour d’elle, qui pour
la maquiller, qui pour la coiffer, qui
pour la conduire ou pour gérer ses
relations publiques. Qui tient les cor-
dons de la bourse? On parle alors
d’un émir qatari ou d’un oligarque
russe. Son protecteur serait en fait
Yves Bouvier, homme d’affaires
suisse qui fit fortune dans le com-
merce d’ar t. La Zahia de ces années -
là, d’ailleurs, en pince pour les
ar tistes de tout poil, qui le lui rendent
bien. Quand elle entre en contact avec Pierre
et Gilles, c’est par l’entremise d’un agent qui
laisse planer mille mystères : « Quelqu’un
souhaiterait vous rencontrer », lance-t-il aux
photographes, interloqués. « Qui donc? » « Je
ne peux pas vous le dire. » De cette fille qui
débarqua chez eux « comme une apparition »
quelques jours plus tard, ils feront une muse, la
grimant en Marie-Antoinette ou en Marianne.
Elle posera encore pour Karl Lagerfeld ou

ON S’ACHARNE TOUJOURS
SUR CELLES QUI AFFICHENT
UNE FÉMINITÉ EXACERBÉE.
ALORS, JE SUIS SEXY
PAR RÉVOLTE.

ZAHIA DEHAR
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