Causette N°103 – Septembre 2019

(National Geographic (Little) Kids) #1

LIVRES


En ville, Tony découvrait le mépris de
classe. Dès les premières pages, l’auteur
brossait un portrait exceptionnel de
Marseille dans un style gouailleur tel
que je n’en avais jamais lu et, surpre-
nant le lecteur, l’entraînait en mer sur
la trace des pirates de Somalie.
C’était un texte indéfinissable, impos-
sible à résumer, à enfermer, plein de
charme et de fantaisie, insolent, accro-
cheur, indécent, rageur. Comme dans
tout texte original, il y avait aussi des
points de fracture : certains passages
semblaient décousus, inégaux, digres-
sifs, mais c’était cette folie qui me le
rendait si attachant. J’aimais les œuvres
imparfaites, décalées qui laissaient
apparaître des aspérités et révélaient
des éclats de génie. Très vite, je voulus
en savoir plus. J’appris que l’auteur
était charpentier et musicien de jazz.
Quelques semaines après avoir rendu
ma note de lecture, un éditeur de la
maison m’annonça que Gallimard allait
publier ce texte à la rentrée littéraire.
Dès le lendemain, je repris mes lec-
tures, espérant découvrir une nouvelle
pépite. J’avais fait miens les mots de
Tony, le héros du
livre : « Dès que j’ai
fini mon boulot, je lis
[...]. Tout le reste, ça
me gonfle. » U
Pirates,
de Fabrice Loi.
Éd. Gallimard/coll. Folio,
2015, 368 pages,
7,90 euros.

En librairie


Chaque mois, un·e auteur·e que
Causette aime nous confie l’un
de ses coups de cœur littéraires.


Il y a quelques années, j’ai été lec-
trice aux éditions Gallimard. J’aimais
ce moment où je découvrais le texte,
sans rien savoir de son auteur, de son
histoire. Je l’avoue, les chocs littéraires
étaient rares. En deux ans, j’en connus
deux : Neige sur la forge, de Jean-Loup
Trassard, et Pirates, de Fabrice Loi.
Ce dernier avait choisi un autre
titre à l’origine – l’éditeur ne l’a pas


conservé – et je me souviens d’avoir
pensé dès les premières lignes : « Quel
écrivain ! » La langue était d’une
incroyable singularité – mêlée d’ar-
got, ça claquait à chaque page : j’étais
impressionnée par ce texte à forte
charge politique. Les thèmes abordés
m’avaient d’emblée happée. L’histoire
mettait en scène Tony Palacio, un
forain, trompettiste de jazz, qui arrivait
à Marseille où il rencontrait un ancien
militaire reconverti dans l’expertise
en balistique, Max Opale, qui allait
l’initier à la politique et à la violence.

Les Choses humaines
On entre dans ce roman (le onzième de Karine Tuil) par cette phrase choc : « La déflagration extrême, la com-
bustion définitive, c’était le sexe, rien d’autre – fin de la mystification [...]. » On y découvre Claire Farel, quadragénaire
franco-américaine, ancienne stagiaire de Bill Clinton à la Maison-Blanche, désormais essayiste féministe reconnue à
Paris. Puis son ex-mari, Jean Farel, son aîné de vingt-sept ans, journaliste politique vedette, vieux beau et amateur de
jeunes fessiers. Chacun a désormais refait sa vie, et leur fils Alexandre est un brillant polytechnicien qui s’apprête à étu-
dier aux États-Unis. Jusque-là, c’est un roman sur les milieux de pouvoir médiatiques et politiques. Puis tout s’accélère
autour de deux agressions sexuelles : Jean a « forcé » une jeune stagiaire et Alexandre est accusé de viol par une jeune
fille. Le récit emballe alors la machine médiatico-judiciaire. L’auteur passe d’un personnage à l’autre à chaque nouveau
chapitre, donnant une envergure et une universalité implacables à sa fiction. UHubert Hartus
Les Choses humaines, de Karine Tuil. Éd. Gallimard, 352 pages, 21 euros.

de Karine Tuil

© F. MANTOVANI – DR X 2
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