Politis N°1558 Du 20 au 26 Juin 2019

(Nancy Kaufman) #1

P


our éviter le plus possible les drames écologiques
et humains qui s’annoncent, bien des politiques
doivent être engagées : en finir au plus vite avec
les énergies fossiles, investir massivement dans
des modes de transport peu émetteurs et la
réhabilitation thermique des logements et bâtiments, passer
à l’agroécologie et manger autrement, et surtout faire de
la sobriété matérielle et énergétique une norme collective
compatible avec la justice des efforts requis.
or rien de tout cela ne se fera – avec une ambition
suffisante – sans d’énormes pressions citoyennes, lesquelles
dépendent de l’ampleur de la prise de conscience des
périls (et des solutions) par les peuples, au sein desquels la
jeunesse est appelée à jouer un rôle majeur et croissant,
ce qui a commencé. ainsi que l’écrit Marie Duru-bellat (1),
« le défi du climat doit être aussi un défi pour l’école ! ».
Il existe de multiples thèmes croisant des savoirs
écologiques, sociaux, économiques, historiques et
géographiques, philosophiques, statistiques, littéraires, etc.,
pouvant constituer, en les adaptant à chaque cycle
d’enseignement, des programmes pluridisciplinaires de
formation sur le climat et la biodiversité, sous l’angle des
constats et des causes,
mais aussi sous celui des
solutions en débat. le
socle des connaissances
est désormais large et
solide pour la formation
d’une conscience sociale-
écologique citoyenne.
il appartiendrait à des
collectifs composés
d’enseignants et de
chercheurs, de membres de l’administration et d’oNG
spécialisées, de définir les contenus et les modalités de ces
enseignements obligatoires. certains y ont déjà réfléchi.
c’est ainsi que le collectif les Enseignant·e·s pour la planète
a lancé un appel, signé par plus de 5 000 profs, avec des
propositions pour « verdir » profondément l’enseignement.
Extrait : « Canicule, sécheresse, inondations, migrations,
déstabilisations politiques ou encore effondrement de la
biodiversité tissent désormais la trame de l’actualité dans
le monde, et nous constatons avec effroi que le discours
institutionnel, le contenu des programmes n’en dit pas un
mot : tout se passe dans l’Éducation nationale comme si rien
ne se passait sur Terre. »
on peut aussi s’appuyer sur ce texte de jeunes (2) exigeant
que le climat et la biodiversité soient « vraiment enseignés
à l’école », ainsi que sur une tribune parue dans Mediapart
le 15 décembre 2018, « assurons à nos lycéens une
solide éducation scientifique au climat et à la biodiversité »,
cosignée notamment par valérie Masson-Delmotte, paléo-
climatologue, et Gilles bœuf, président du conseil scientifique
de l’agence française pour la biodiversité.
au lieu de cela, Macron met en place, quelques jours
avant les élections européennes, un « conseil de défense
écologique » entièrement à sa botte et présidé par lui,
regroupant en fait une collection de ses ministres dans divers
domaines (3). presque tous les grands ministères sauf
celui... de l’éducation nationale !

L’Éducation nationale


à contre-climat


(1) Cahiers pédagogiques, 3 décembre 2018.
(2) « Nous, étudiants, voulons que le climat soit vraiment enseigné à l’école », Reporterre,
21 décembre 2018.
(3) Voir le blog de Michel Abhervé, 23 mai 2019.

l’écONOMIE à cONTRE-cOuRANT
par JEAN GAdREy /professeur émérite de l’université lille-I

sécheresse,


migrations,
biodiversité... les

programmes n’en


disent pas un mot.


Ricc

ARDO Mil

Ani/HAns lUc

As/AFP

La confiance peut-elle s’imposer
par une loi? Ça n’est pas un sujet du
bac 2019 mais un des intitulés affi-
chés par les enseignants grévistes le
17 juin, jour des épreuves de philoso-
phie. En référence à la loi sur l’école de
la confiance qui mobilise enseignants,
parents d’élèves et élèves depuis sep-
tembre. Ce texte se surajoute aux
réformes du lycée et de l’entrée à l’uni-
versité, qui génèrent beaucoup d’an-
xiété depuis l’an dernier. « Bloquons
Blanquer », se nomme le mouvement
soutenu par une large intersyndi-
cale qui rassemble aujourd’hui de la
maternelle à la fac les citoyens révol-
tés par le programme du ministre
de l’Éducation. « D’une cohérence
redoutable, annoncé dans son livre
L’École de demain, il ne promet rien
d’autre qu’une école de la ségrégation
sociale », lâche Julien, professeur de
lycée à Melun.
Maxime, instituteur de CE2 à
Chelles (Seine-et-Marne), ne craint
pas d’impact immédiat sur son quo-
tidien de travail, « sauf la mutuali-
sation des auxiliaires de vie scolaire
déjà trop peu présents auprès des
enfants handicapés ». C’est l’esprit
des réformes Blanquer qui l’inquiète :
évaluations orientées dès la mater-
nelle, orientation dès la seconde avec
la disparition des filières au profit
d’un pack de spécialités selon dis-
ponibilités, bac à 40 % en contrôle
continu, faisant exploser la logique
nationale, sélection à l’université...
« Des avancées ont été obtenues :

suppression des établissements des
savoirs fondamentaux [fusion école-
collège], de l’obligation de formation
sur les vacances, de l’interdiction de
sortie pour les mères voilées et de
la menace sur les allocations fami-
liales... » Mais le cadre reste, de même
que les EPLEI, établissements inter-
nationaux pour l’élite, et l’article 1 qui
imposera un « devoir d’exemplarité »
aux enseignants, bloquant les rébel-
lions comme cette semaine de « fête
à Blanquer ». Des grévistes ont tout
de même reçu des appels des rensei-
gnements généraux anticipant des
blocages, des rappels à l’ordre, voire
des convocations des inspections
d’académie. Et les parents d’élèves,
des emails des chefs d’établissement
rappelant l’obligation scolaire.
Mais point de perturbations pour
les bacheliers : rassemblements sans
blocages, manifestations calmes...
Le ministère a annoncé 5,4 % de
grévistes dans le second degré le
17 juin. « Attention! C’est un calcul
en fonction du total d’enseignants
dans un établissement et non du
total de profs convoqués, apprend
Julien. Avec le bon calcul, le pourcen-
tage de grévistes monte à 25 % dans
mon lycée... » Le mouvement a été
reconduit le 18 juin par endroits. Les
grévistes marquent par leur détermi-
nation : « Affiches, chansons, vidéos,
rassemblements... on se bat comme
des lions! » Face à un ministère qui
maintient le passage en force
Ingrid Merckx

éducAtion


Les profs


« comme des lions »

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