Politis N°1558 Du 20 au 26 Juin 2019

(Nancy Kaufman) #1

D


ans la nuit du 14 au 15 avril 1912, le
Titanic heurte un iceberg et commence
à couler. l’orchestre du paquebot
jouera jusqu’au bout pour « prévenir les
effets de panique ». D’après Wikipedia,
« certains historiens considèrent que la
présence de l’orchestre a pu créer un
sentiment de sécurité qui a poussé les gens à ne
pas quitter le navire à temps ».
Des activistes climat non-violents ont décidé
d’interrompre l’orchestre du Titanic. Depuis
février dernier, ils entrent dans les mairies, y
décrochent les portraits officiels du président
Emmanuel Macron et laissent à leur place
une affichette indiquant : « Climat, justice
sociale, où est Macron ? » ils emportent le
portrait présidentiel, qu’ils sortiront par la
suite pour visiter tel chantier autoroutier ou tel
projet d’hypermarché incompatible avec une
trajectoire climat de + 1,5 °c ou + 2 °c, pour
constater les premiers signes tangibles du
changement climatique dans telle montagne
significativement affectée ou telle côte dont le
trait recule dangereusement, ou pour entendre
les revendications et la colère des personnes
qui luttent et se mobilisent, qui résistent et
construisent des alternatives pour sauver tout
ce qu’il est encore possible de sauver au niveau
social et écologique.
ces militants expliquent qu’ils ne volent pas
les portraits du président : ils ne font que
les décrocher pour signifier que c’est le
gouvernement Macron qui « décroche » des
objectifs de la cop 21, à savoir contenir le
réchauffement climatique en dessous de 2 °c,
voire 1,5 °c. ils assurent qu’ils les restitueront
le jour où l’équipe au pouvoir mettra en place des
politiques cohérentes avec ses beaux discours
sur le climat et les objectifs de l’accord de paris.
ils insistent sur l’aspect 100 % non-violent de ces
actions, menées à visage découvert.
pour certains, cela n’en reste pas moins un
vol, d’autant plus choquant qu’il concerne un
symbole démocratique, dans la mesure où celui-ci
représente le président légitimement élu, quoi
qu’on en pense. Et parce qu’il se déroule dans
une mairie, cellule de base de la démocratie, au
service de toutes et de tous, qui devrait donc
être sanctuarisée. j’entends ces critiques, mais
je pense néanmoins que les divers collectifs et
citoyen·ne·s qui décrochent ainsi les portraits
d’Emmanuel Macron ont raison de le faire et
doivent continuer plus que jamais.
le portrait présidentiel n’est pas une obligation
légale et ne représente pas la république,
la démocratie ou la souveraineté populaire,

symbolisées par le buste de Marianne. il est
plutôt le reflet de l’hyperpersonnalisation
caractérisant la ve république et son président-
monarque. Mais ce n’est pas pour cela que
je considère ces actions pertinentes, voire
indispensables. je crois tout simplement que
nous vivons une situation exceptionnelle – du
fait du péril climatique et de l’effondrement de
la biodiversité – en termes de gravité, d’enjeu et
d’urgence au regard de l’histoire et de l’intérêt
supérieur de l’espèce humaine et du vivant en
général. une situation tout à fait comparable au
choc du Titanic contre l’iceberg.
Nous sommes obligés de faire des choses non
convenues, en rupture avec la normalité et la

règle, car nos sociétés ne réagissent absolument
pas comme devrait le faire toute communauté
confrontée à un risque aussi grave que
l’emballement du climat. Elles devraient déjà être
en train de réaliser des changements massifs,
car il ne leur reste plus que quelques années pour
éviter un certain nombre de seuils critiques. or ce
n’est pas le cas. Nous sommes en train de perdre

des batailles décisives, et chaque seuil franchi a
et aura des conséquences dramatiques pour des
millions, puis des centaines de millions, puis des
milliards d’êtres humains.
ces actions, ainsi que les arrestations, gardes
à vue et procès (1) qu’elles provoquent, sont
autant d’alertes, de tribunes régionales pour
faire prendre conscience du caractère d’absolue
anormalité de la situation. Elles viennent en
complément des marches climat et des grèves
de jeunes, de l’affaire du siècle et des recours
juridiques, et de toutes les interpellations
scientifiques ou politiques.
Nous devons être des centaines, des milliers à
décrocher à notre tour ces portraits, à assumer

sereinement d’être jugés pour expliquer que
l’histoire exige aujourd’hui de nous ces actes de
rupture, pour déclencher les déclics salutaires,
pour sonner l’alarme, pour interrompre
l’orchestre du Titanic. a

(1) En à peine trois mois, 98 auditions, 60 gardes à vue et 10 procès
programmés dans lesquels doivent comparaître 36 militant·e·s climat.

Arrêtons l’orchestre du Titanic


Les décrocheurs de portraits du président Macron dans les mairies ne volent pas ces symboles démocratiques :


ils les empruntent pour signifier que c’est le gouvernement qui « décroche » des objectifs fixés à la COP 21.


Il est urgent de multiplier les actions de rupture avant que le bateau ne coule.


par txetx etcheverry / cofondateur d’alternatiba, militant de bizi! et d’action non-violente cop 21.

DR

le 15 mai, à Saint-Jean-de-la-Ruelle,
des militants embarquent un cadre
présidentiel, au risque de poursuites.

Politis 1558

20/06/
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