Politis N°1558 Du 20 au 26 Juin 2019

(Nancy Kaufman) #1

de Denis Sieffert


Ľ'éditorial


s


ommes-nous à la veille
d’une nouvelle « guerre
américaine » au Moyen-
Orient? L’attaque contre
deux tankers, le 13 juin
dans la mer d’Oman,
immédiatement attribuée
à l’Iran, et les réactions qu’elle a suscitées ont
donné consistance à cette funeste hypothèse.
Après la publication, en guise de preuve, d’une
série de photos, aussi floues politiquement que
techniquement, l’envoi lundi par Washington
d’un millier de soldats dans la région nous
rapproche un peu plus du désastre. Cela
ressemble bigrement à une machination. De la
dépêche d’Ems à la fiole vide de Colin Powell
qui, en 2003, servit de prétexte à l’invasion
de l’Irak, on ne compte plus les guerres qui
ont été provoquées par ce genre de coups
tordus. Cette fois encore, les risques, sont
considérables. Y compris pour les pyromanes
et leur économie pétrolière.
Quand deux bombinettes qui ont entaillé les
flancs de monstres des mers ont suffi à faire
grimper les cours du pétrole, on imagine ce
que ferait un conflit généralisé. Ce serait un
bien grand paradoxe de paralyser le détroit
d’Ormuz pendant des mois au prétexte d’avoir
voulu le « sécuriser ». Mais nous sommes
assez instruits par le passé pour savoir que la
raison n’est pas toujours au pouvoir. Car trois
pays au moins rêvent de régler son compte au
régime des mollahs, quel qu’en soit le prix :
les États-Unis, l’Arabie saoudite et, à peine
plus à l’écart mais pas moins pousse-au-crime,
l’Israël de Benyamin Netanyahou et des
colons.

ceux-là n’ignorent pas que les risques ne
sont pas seulement économiques. Les États-
Unis de George Bush n’ont eu, certes, aucun
mal à faire tomber Saddam Hussein, mais
leur victoire a provoqué des catastrophes
en cascade dont le monde n’est pas près de
se remettre. Malgré cela, l’idéologie, façon
« choc des civilisations », inspire toujours
des personnages de l’entourage de Trump,
comme le secrétaire d’État Mike Pompeo, et

son collègue de la Sécurité nationale, John
Bolton, l’homme qui prévoyait en 2017
que l’on « célèbrerait » la fin du régime des
mollahs « avant 2019 ». Un chercheur du
très indépendant think tank International
Crisis Group, Ali Vaez, ne prend d’ailleurs
pas la menace à la légère. Pour lui, il serait
« miraculeux » qu’une guerre n’éclate pas
« dans les deux ans ». En attendant, la
machination suit son cours. Certes, tout est
possible, y compris une provocation des

gardiens de la Révolution voulant mettre en
difficulté le régime de Téhéran. Mais il est
infiniment peu probable que le pouvoir iranien
lui-même ait organisé une attaque contre un
pétrolier japonais au moment où le président
Rohani recevait le Premier ministre japonais,
Shinzô Abe, venu jouer les médiateurs. Une
médiation dont les Iraniens ont bien besoin
alors que le blocus organisé par Trump
commence à les asphyxier.

Il faut évidemment souhaiter, comme
Shirin Ebadi (lire notre dossier page 21), un
autre système pour le peuple iranien. On
peut rêver d’une vraie démocratie, comme
on pouvait appeler de nos vœux la fin de
Saddam Hussein en Irak. Mais nous savons
que les « révolutions » exportées par les
docteurs Folamour américains sont pires que
le « Mal » qu’elles prétendent combattre.
Toute la complexité du monde actuel est dans

cette histoire. Le Bien et le Mal, ces catégories
que les intégristes de tout bord aiment tant
exalter, sont décidément trop intimement
mêlées. Car si le régime iranien est dans le
collimateur des États-Unis, ce n’est surtout
pas pour de bonnes raisons. Ce n’est pas parce
qu’il a été complice de Bachar Al-Assad, le
pire criminel du Moyen-Orient, ni parce qu’il
opprime son peuple. Le régime iranien n’est
pas pire que la dynastie des Saoud. Les grands
principes proclamés par Donald Trump et ses
amis n’ont en réalité que deux motivations :
le pétrole, dont les États-Unis veulent avoir
la maîtrise, comme leur allié saoudien, et le
soutien aux colons israéliens qui rêvent de
liquider le Hezbollah pro-iranien pour mener
à bien leur éternel projet d’en finir avec la
question palestinienne.

accessoirement, les événements actuels
risquent d’alimenter encore un peu plus la
paranoïa complotiste, cette gangrène morale.
Certains y verront sûrement la « preuve » que
les attaques chimiques contre le peuple syrien
n’étaient pas l’œuvre de Bachar Al-Assad,
mais des rebelles et de la CIA. Qui ment un
jour, ment toujours. Et ils feront bien d’autres
démonstrations tout aussi alambiquées... Et
puis, il y a l’Europe. En face des boutefeux,
on pourrait espérer une réaction. Les
Européens n’ignorent pas que l’enchaînement
des événements actuels n’a qu’un point de
départ : la dénonciation par Donald Trump
de l’accord sur le nucléaire iranien signé par
son prédécesseur. Tout le reste découle de
cette décision unilatérale imposée à la terre
entière. Ils en sont aussi les victimes. Ce qu’on
osait, autrefois, appeler « l’impérialisme » est
ici à son comble. Mais l’Union européenne
étale une impuissance qui ressemble à de la
soumission. Ses dirigeants préfèrent « mettre
en garde » l’Iran contre la reprise du chantier
nucléaire. Les mêmes se taisaient lorsque
le régime des mollahs, allié à la Russie,
anéantissaient la rébellion syrienne. Ce qui
s’appelle être toujours du côté du manche.

la poudrière


moyen-orientale


les grands principes


proclamés par trump et


ses amis n’ont en réalité


que deux motivations :


le pétrole et le soutien


aux colons israéliens


qui rêvent de liquider le


Hezbollah pro-iranien.


Politis 1558

20/06/
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