La nouvelle réforme fait porter aux plus précaires la responsabilité des dysfonctionnements du
marché du travail. Une politique moralement et financièrement contestable.
La macronie sacrifie
les chômeurs
assurancE-chôMagE
z Erwan
Manac’h
L
a CFDT « abasourdie par
une réforme profondément
injuste », la CGT « extrê-
mement en colère »... À
midi, ce 18 juin, l’amertume
défile dans la cour de l’hôtel
Matignon. Au même ins-
tant, quelques marches plus haut, le Premier
ministre et la ministre du Travail égrènent
les mesures d’économie (3,4 milliards au
total), sans laisser aux partenaires sociaux
la politesse des premières réactions devant
les journalistes. Pour la première fois depuis
presque quarante ans, l’État réforme seul
l’assurance-chômage. Et selon les premiers
calculs de coin de table des syndicats, ce sont
300 000 chômeurs, parmi les plus pauvres
qui perdront le droit à une indemnisation.
« Cette politique vise deux choses : forcer
les gens à accepter des emplois précaires
et les dissuader de s’inscrire à Pôle emploi
pour faire baisser les chiffres du chômage »,
s’indigne Jean-Christophe Sarrot, membre
d’ATD Quart Monde.
L’argumentaire déployé pour justifier
ce durcissement des règles s’appuie sur une
lecture malhonnête des chiffres. La ministre
du Travail, Muriel Pénicaud, épaulée dans sa
croisade par Pôle emploi, a répété qu’on pou-
vait gagner plus au chômage qu’en travaillant.
Pour produire cet artifice, le gouvernement
a dû comparer des salariés à temps partiel
avec des salariés collectionnant des contrats
courts. À durée de cotisation égale, les deux
exemples ont des droits similaires, mais les
salariés enchaînant les CDD percevront une
indemnité plus élevée mais plus courte dans
le temps. C’est le résultat d’un mode de calcul
imaginé pour compenser une précarisation
accrue du travail.
Le gouvernement s’indigne également que,
lorsqu’un salarié qui collectionne les petits
boulots a suffisamment cotisé pour ouvrir des
droits, il améliore temporairement son niveau
de vie. Le voilà sur le point de découvrir la
définition même du chômage : un salaire
différé destiné à compenser la privation
d’emploi. Est-il nécessaire de rappeler que
ces allocataires perçoivent des droits pour
lesquels ils ont cotisé? En stigmatisant cette
réalité, le pouvoir s’attaque à la philosophie
même de l’assurance-chômage et prône une
économie de débrouille pour lutter contre la
pauvreté, fondée sur une collection de mini
jobs. « Demain, on souscrira des assurances-
chômage privées », cauchemarde Tennessee
Garcia, de la CGT-Chômeurs.
D’autres données viennent contredire l’ar-
chétype du chômeur calculateur : 41 % des
allocataires qui cumulent un (petit) boulot avec
une (petite) allocation chômage ignoraient,
avant d’y avoir droit, la possibilité de cumu-
ler (1). Ces « cumulards » gagnent en moyenne
quelle part de leurs
droits les allocataires
consomment-ils?
quelle est
l’évolution du nombre
d’allocataires qui
travaillent ?
combien de demandeurs d’emploi sont
couverts par l’assurance-chômage?
2,6 millions
d’allocataires
indemnisés
6,3 millions
de demandeurs
d’emploi
5,6 millions
de demandeurs d’emploi
tenus de rechercher un
emploi
dont 58,9%
sont couverts par l’assurance-
chômage, soit 3,3 millions de
personnes
Pour l’ensemble des
sortants d’indemnisation,
67%
de leurs droits aux
allocations ont été
consommés en moyenne
au moment de
leur sortie
sur 3,6 millions
d’allocataires indemnisables
Soit
10 mois
d’allocations chômage
en moyenne
22%
1995
2017
46%
(1) Enquête Unédic
juin 2018 auprès de
5 000 allocataires.
Politis 1558
20/06/
l'évéNEMENT