Nat Images N°57 – Août-Septembre 2019

(やまだぃちぅ) #1

Sri Lanka, l’autre pays de la panthère | Alain Fournier


contente d’admirer une dernière fois cette
fière allure à la démarche chaloupée.
Hypnotisé par son aura magnétique, on
ressent que le prédateur a une préférence
pour la discrétion. Cette façon d’apparaître
et de disparaître devient un véritable art de
l’effacement.
Parés d’or et de noir, les trois animaux se
jouent du clair-obscur. Leurs iris, éme-
raudes changeantes aux pupilles dilatées
telles deux billes d’ébène, boivent les ul-
times lueurs. De l’entrevue éphémère pro-
vient cette fascination teintée de mystère.
L’illustre peintre Robert Dallet ne s’y est pas
trompé, décrivant le léopard comme la plus
belle réussite de la nature.
Une fois de plus, la chance du dernier
jour vient de me sourire. Malgré le temps
maussade, je rentre avec une pluie
d’images. En voyant s’éloigner mon bagage
sur le tapis roulant de l’aéroport de Co-
lombo, la vision fugitive d’un regard vert
frappe mon esprit. Je comprends alors que
cette rencontre deviendra plus qu’un sim-
ple souvenir.
Alain Fournier

Retrouvez le photographe sur
http://www.alain-fournier.fr

Un tuk-tuk à l’effigie de Pirates des Ca-
raïbesfinit par me mener au seuil de Wil-
pattu, le plus grand parc de l’île (1316 km²).
Sa population de léopards est encore in-
connue mais, comme dans tout le pays, le
félidé se positionne en haut de la chaîne ali-
mentaire. Dôme essentiel à l’équilibre envi-
ronnemental, il n’a pas besoin de loger ses
proies en haut des arbres de peur de se les
faire dérober.
La technique de l’affût devient une
nécessité dans ce labyrinthe végétal où le
farouche félin peut difficilement courser sa
cible. Quatre fois plus petit qu’un tigre, le
léopard possède une force inouïe et frappe
avec une précision chirurgicale. D’un bond,
il peut fondre sur un cerf puis l’étouffer en
un éclair.
Le lendemain, la journée passe. Une
averse salvatrice donne une note silen-
cieuse et interrompt le chant des oiseaux.
Voir une panthère, c’est aussi débusquer
les signes de présence. Repérer son ca-
mouflage, même s’il est toujours difficile de
saisir l’insaisissable.
Une tache particulière, un éclat plus
doré, un œil de jade derrière un épineux ou
une ombre chinoise perdue dans un figuier.
Cette attitude alanguie, à l’abri de l’astre
solaire, est assez hallucinante tant le félin
donne l’impression que rien ne peut l’at-


teindre. Ce serait vite oublier une course à
la survie dans un univers en perdition où sa
peau a longtemps paré celles des “femmes
cougars” du grand monde. Dans les an-
nées 1960, tous les ans en Afrique, pas
moins de 60 000 spécimens étaient sacri-
fiés afin de combler la demande de la
mode. L’Asie, à l’instar du continent afri-
cain, souffre encore du braconnage.
Dans une odeur de terre mouillée,
je remarque ses empreintes inscrites sur
l’ocre de la terre.
La luminosité descend au plus bas. La
fatigue accumulée me pousse à fermer les
yeux. En les rouvrant, comme une halluci-
nation, j’aperçois une femelle sur ma
gauche s’approchant d’une cavité boueuse
retenant un peu d’eau. Elle est suivie de sa
portée, deux jeunes subadultes du même
sexe que leur mère. Leurs corps longilignes
se coulent avec aisance dans l’aridité du
paysage. La scène semble irréelle tant le
décor fut vide des heures durant. Sans en-
flammer le paysage, l’étoile de feu tombe
déjà derrière les arbres. Dans une fadeur
vespérale, les ISO grimpent vite pour une
vitesse qui peine à décoller. On pose le boî-
tier face aux prises de vues hasardeuses
pour se réfugier dans un bonheur contem-
platif. Alors que le jour s’éteint, on se

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