Première N°499 – Septembre 2019

(Nancy Kaufman) #1

©LES ARMATEURS


A

u départ, il y a le best-seller
de Yasmina Khadra, paru en


  1. Un brûlot qui dénonçait
    l’obscurantisme à l’œuvre du
    temps des talibans, en Afghanistan, véri-
    table laboratoire de l’intégrisme religieux
    qui s’est répandu au Moyen-Orient comme
    une traînée de poudre au tournant du siècle.
    L’écrivain algérien y décrivait le quotidien
    dramatique de deux couples: celui formé
    d’un côté par un gardien de prison (Atiq, un
    ancien moudjahidine) et sa femme malade
    (Mussarat), de l’autre par deux jeunes
    idéalistes (Mohsen et Zunaira) contraints au
    silence et à l’invisibilité. « Les hommes sont
    devenus fous ; ils ont tourné le dos au jour
    pour faire face à la nuit », écrivait Khadra
    avec une poésie folle, doublée d’une rage
    contenue. Comment traduire l’horreur en
    images? Comment illustrer cette Kaboul,
    ville où « les prières s’émiettent dans la
    furie des mitrailles»? En choisissant de
    tourner cette adaptation en animation
    plutôt qu’en prises de vues réelles pour
    commencer.


RÉUSSITE PLASTIQUE. Issue du cinéma
traditionnel (le film était prévu en live à
l’origine), Zabou Breitman n’a pas hésité
une seconde quand la production l’a
contactée, tant les préoccupations au cœur
des Hirondelles de Kaboul rejoignent les
siennes: l’incommunicabilité, la difficulté
d’être au monde, le poids du secret/du
deuil... Elle a choisi, pour l’accompagner
dans sa longue aventure (le film a été initié
en 2012, sa fabrication s’est étalée sur trois
ans), une jeune graphiste et animatr ice, Eléa
Gobbé-Mévellec, dont la maîtrise de l’aqua-
relle collait parfaitement à son envie d’abs-
traction et de contraste. Plastiquement, le
résultat est une mer veille. Les tons pastel un
peu étouffés et les traits éthérés atténuent,
voire contredisent, la barbarie du sujet et de
certaines scènes comme celle, insoutenable
mais fondamentale dans le récit, d’une lapi-
dation à laquelle Mohsen participe dans un
élan incontrôlable. La réussite du projet est
tout entière contenue dans cette séquence
qui parvient à montrer l’inmontrable tout en
privilégiant le point de vue de Mohsen, cet

intellectuel brisé par la charia et coupable
du pire. À partir de ce moment précis, le
film bascule dans le mélo pur, les destins
de Mohsen, Zunaira, Atiq et Mussarat se
trouvant irrémédiablement liés. Le talent
des réalisatrices consiste à ne pas chercher
à convaincre: l a réalité, connue, du régime
taliban n’est ici que la sinistre toile de fond
d’une histoire digne des plus grandes tragé-
dies où certaines trajectoires personnelles
se heurtent au mur de l’obscurantisme. Les
Hirondelles de Kaboul n’est en définitive
pas un geste politique (qui serait d’ailleurs
un peu antidaté) mais un film humaniste à
la portée bien plus universelle.

« RÉALISME » DE L’INTERPRÉTATION.
L’autre choix décisif a consisté à faire
jouer leurs rôles aux acteurs de doublage
en amont, performance dont Zabou Breit-
man a fait une captation. Vêtus de vête-
ments appropriés, se déplaçant comme le
feraient les personnages dans un espace
imaginaire, Simon Abkarian (Atiq),
Zita Hanrot (Zunaira), Swann Arlaud
(Mohsen) et Hiam Abbass (Mussarat) ont
servi de base aux animateurs. En résulte
une impression de réalisme inédite dans
la façon dont «vivent» les personnages à
l’écran, avec une économie de gestes et de
paroles typiquement cinématographique.
Là encore, le contraste avec l’univers visuel
extrêmement stylisé est payant. Audacieux,
ingénieux, bouleversant, Les Hirondelles
de Kaboul prouve que le cinéma d’ani-
mation pour adultes, trop confidentiel en
France (alors qu’il s’épanouit au Japon
depuis bien longtemps), a pleinement sa
place dans les salles. u CHRISTOPHE NARBONNE

4 SEPTEMBRE |


LES HIRONDELLES DE KABOUL

Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec signent un joli et puissant film contre l’intégrisme, qui bénéficie
d’un traitement graphique idoine. Une première incursion réussie dans l’animation pour la réalisatrice
de Se souvenir des belles choses.

ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Persepolis (2007),
Timbuktu (2014), Parvana (2018)

Pays France • De Zabou Breitman & Eléa Gobbé-
Mévellec • Avec les voix de Simon Abkarian, Zita
Hanrot, Swann Arlaud... • Durée 1h 20
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